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Une catastrophe naturelle soumet l’État à un défi d’une grande ampleur en termes des problèmes qu’il doit afronter et des réponses qu’il doit déployer. Pour Cardona, les désastres peuvent être définis comme :

« (…) un événement ou aléa qui se produit, dans la majorité des cas, de manière soudaine et inattendue, causant aux éléments soumis des altérations intenses, représentées par la perte de vies et de santé pour la population, la destruction ou perte des biens d’une collectivité et/ou des dégâts sévères sur l’environnement. Cette situation signifie la désorganisation des structures organisatrices de la vie, génère de l’adversité, de la détresse et de la souffrance pour les personnes, des effets

73 TIJOUX, María Emilia (2008). « Alucinación mercantilista, precarización de la existencia y audacia de la Sociología in Chile” in ¿De país modelado a país modelo? Una mirada sobre la política, lo social y la economía. De CEA, Maite et KERNEUR, Géraldine (coordinatrices).

74 HARDY, Clarisa (2005) citée par GARRETON, Manuel Antonio (2012). Neoliberalismo corregido y progresismo limitado: los gobiernos de la Concertación en Chile (1990-2010). Editorial Arcis, Santiago de Chile.

75 PNUD (2017). Desiguales: orígenes, cambios y desafíos de la brecha social en Chile. Programa de Naciones Unidas para el Desarrollo.

32 sur la structure socio-économique d’une région ou d’un pays et/ou la modification de l’environnement ; Ceci détermine la nécessité d’assistance et d’intervention

immédiate »76.

Comme nous avons signalé dans l’introduction de cette thèse, sur le plan de la comparaison internationale le Chili est un pays très particulier non seulement par ses caractéristiques politico-économiques mais aussi par les graves catastrophes qu’il a dû affronter, surtout au niveau sismique. De ce fait, comprendre comment les catastrophes naturelles sont gouvernées et accompagnées dans un contexte néolibéral peut être particulièrement intéressant car ce type de catastrophes exige des réponses rapides et très

complexes : « (…) elles impliquent les autorités locales et nationales, des organisations non

gouvernementales, des experts et des scientifiques, des agences multilatérales et les habitants eux-mêmes. Elles mettent en jeu des instruments et des dispositifs variés de la politique publique »77.

Bien que le sujet des risques et des catastrophes soit ancien, son traitement diffère selon les époques non seulement au Chili mais au niveau international. Effectivement, les premières études sociales sur ce type de phénomènes datent des années 40, vers la fin de la Seconde Guerre Mondiale et le début de la Guerre froide. C’était donc un domaine marqué par les problématiques sécuritaires et par la peur face aux nouveaux dangers (surtout nucléaire), très proches des travaux sismologiques et des ingénieries. Selon Cabane et Revet :

« À partir des années 1970, après les décolonisations, un courant critique principalement porté par des géographes et des anthropologues du développement en Grande-Bretagne et en France, contribue à l’émergence de la notion de vulnérabilité qui permet de montrer en quoi les catastrophes résultent aussi des activités de développement conduites par des pays, et pas seulement des aléas naturels. Ces travaux vont progressivement déplacer la définition et les échelles d’action sur les catastrophes en liant ces phénomènes aux enjeux de pauvreté et de développement, privant ainsi du monopole les sciences techniques et naturelles »78.

76 CARDONA, Omar Darío (1993). Evaluación de la amenaza, la vulnerabilidad y el riesgo: “Elementos para el Ordenamiento y la Planeación del desarrollo” in MASKREY, Andrew (1993). Los Desastres no son naturales. La Red.

77 REVET, Sandrine. & LANGUMIER, Julien (2013). Le gouvernement des catastrophes. Paris: Editions Karthala.

78 CABANE, Lydie ; REVET, Sandrine . « La cause des catastrophes. Concurrences scientifiques et actions politiques dans un monde transnational », Politix, vol. 111, no. 3, 2015, pp. 47-67.

33 Durant les années 1990, deux points de vue coïncident pour proposer une approche théorique de catastrophe et du risque. Les travaux sur « La société du risque » d’Ulrich Beck et « Les conséquences de la modernité » d’Anthony Giddens ont fait le lien entre la modernité et les dangers qu’elle produit. Selon Beck les enjeux politiques seraient liés à l’existence d’une « culture du risque », dont la conscience permettrait de « coloniser le futur ». Pour Beck : « La société du risque désigne une époque dans laquelle les aspects négatifs du progrès

déterminent de plus en plus la nature des controverses qui animent la société »79. Ces deux

auteurs ont obtenu une notoriété internationale, et ils sont souvent cités dans les travaux consacrés à la « prévention des risques » ou lorsque on évoque la « culture du risque ». Selon Revet et Langumier, ces concepts trouvent leur traduction :

« auprès des acteurs impliqués dans la prévention des risques ou les secours en cas de catastrophe – qu’ils agissent dans le cadre de politiques publiques ou pour le compte d’organisations internationales ou non gouvernementales. Ils résument bien deux formes d’injonction existantes dans le domaine. La première entérine l’existence d’une culture du risque experte prétendument détenue par l’ensemble des acteurs mandatés pour intervenir, qu’elle suppose formés dans cette perspective. (…) La seconde injonction tente de dépasser cette posture. Elle est le plus souvent formulée par des chercheurs, des praticiens et des militants qui, proches des espaces locaux, tentent de faire reconnaître les savoirs et pratiques que les habitants utilisent

pour se protéger face aux risques ou en cas de catastrophe »80.

Du côté latino-américain, la confluence des apports des diverses institutions de sciences sociales a impulsé le développement d’une nouvelle approche. En effet, jusqu’à la fin du XXe siècle, l’Amérique Latine fut le terrain d’intervention d’organismes de secours, et le sujet de recherche d'institutions étrangères qui échouèrent à élaborer des approches sociales

propres à ce continent concernant les désastres. C’est ainsi que s’est créée en 1992, la Red de

Estudios Sociales en Prevención de Desastres en América Latina (Réseau d’Études Sociales en Prévention de Désastres en Amérique Latine, La Red), portée par des chercheurs latino-américains sociologues, urbanistes, anthropologues, etc, et des institutions du Pérou, Mexique, Costa Rica, entre autres. La Red a développé des concepts et des notions qui ont

79 BECK, Ulrich (2001). « La politique dans la société du risque », Revue du MAUSS (no 17), p. 376-392.

80 REVET, Sandrine & LANGUMIER, Julien (2013). « Introduction », in Sandrine Revet et al., Le gouvernement des catastrophes, Editions Karthala « Recherches internationales », pp. 9-30.

34 permis d’élargir l’analyse des catastrophes comme des phénomènes socialement construits, en remettant en question l’hégémonie des savoirs experts de l’époque précédente tout en valorisant les expériences et savoirs locaux. Pour la Red, les phénomènes de la vulnérabilité observés lors des désastres socio-naturels invite à s’interroger sur les causes historiques, politiques, sociales et économiques de ceux-ci :

« Être vulnérable face au phénomène naturel signifie être susceptible de souffrir d’un préjudice et avoir des difficultés se relever de celui-ci. (…) Si les hommes ne créent pas un « habitat » sûr pour vivre, c’est pour deux raisons : la nécessité extrême et l’ignorance. Ces deux raisons ont à leur tour des causes détectables et modifiables, certaines d’entre elles font partie de la même structure sociale et économique d’un pays. D’un autre côté, les conditions économiques précaires sont aussi par elles-mêmes des conditions de vulnérabilité, étant donné que l’ampleur du dommage réel est plus grande lorsque la population n’a pas des ressources à partir

desquelles elle puisse faire face à la catastrophe » 81.

En suivant cette ligne argumentative, Hewitt signale que les catastrophes ne sont pas une

rupture de l’ordre normal des choses mais bien un produit de cet ordre82.

Vers la fin des années 1990, les catastrophes deviennent un enjeu de gouvernance internationale. Pour Cabane et Revet : « le passage de ces savoirs par les arènes internationales contribue à leur légitimité et lui donne du poids localement en transformant le paysage de l’expertise et de la connaissance sur les catastrophes »83. C’est ainsi qu’en 1999, l’ONU adopte la Stratégie Internationale pour la réduction des catastrophes, et est créé le Bureau des Nations Unies pour la Réduction du Risque des Catastrophes UNISDR (par ses sigles en anglais). Ce bureau est chargé de mettre en œuvre les mandats des Nations Unies concernant le risque des catastrophes et de plus, de coordonner l’aide humanitaire et les aides socio-économiques de l’ONU en cas de catastrophe. Dans les années 2000, avec l’inquiétude globale due au changement climatique, le sujet de risque de catastrophes trouve son expression au niveau international comme un enjeu majeur. En 2015, après la catastrophe de Fukushima de 2011 au Japon, l’ONU accorde et définit que l’UNISDR devra :

81 ROMERO, Gilberto & MASKREY, Andrew (1993) in MASKREY, Andrew (1993). Los Desastres no son naturales. La Red.

82 HEWITT, Kenneth cité dans REVET, Sandrine (2012) « Catastrophes « naturelles », figures de vulnérables et moments de politique », Le sujet dans la cité 2012/1 (Actuels n° 1), p. 166

83 CABANE, Lydie ; REVET, Sandrine (2015). « La cause des catastrophes. Concurrences scientifiques et actions politiques dans un monde transnational », Politix, vol. 111, no. 3, pp. 47-67.

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« (…) Comprendre le risque de catastrophe, renforcer la gouvernance pour gérer le risque de futures catastrophes, investir dans la réduction des risques de catastrophes par la résilience, et augmenter la préparation pour ces types de désastres, afin de donner une réponse efficace et « reconstruire mieux » dans le cadre de la récupération, de la réhabilitation et de la reconstruction »84.

Pour sa part, la Banque Mondiale a également créé un dispositif pour faire face aux risques, elle possède un Fond Mondial pour la Réduction des Catastrophes et la Récupération (GFDRR par ses sigles en anglais) constitué par 41 pays. Elle soutient une gestion du risque effective et des reconstructions efficaces à travers le financement de rapports d’experts tel que

Natural hazards, unnatural disasters : the economics of effective prevention (2011) qui propose entre autres d’incorporer la gestion de risque des catastrophes dans les planifications pour le développement, finance ainsi l’assistance technique pour évaluer et réduire les risques, elle propose de l’aide technique et financière dans le cadre des processus de reconstruction. À ce sujet, Hewitt est très critique car il considère que :

« Les institutions les plus visibles et mieux dotées, responsables de la recherche et des préparatifs pour prévenir les catastrophes n’ont pas montré un intérêt majeur pour la compréhension sociale de ces phénomènes, et n’ont été capables d'inciter les actions sociales nécessaires qu’en de rares occasions. Ils ont cherché constamment des solutions dans la planification de haut niveau et dans les mesures officielles d’urgence. (…) D’une certaine façon, le problème majeur est la manière dont les conditions sociales – lorsqu’elles sont reconnues – sont considérées en termes de forces impersonnelles et déterministes, liées aux caractéristiques des populations concernées et de leur étape du développement économique, c’est-à-dire de la

« nature humaine ». »85.

Dans le cadre de cette thèse nous allons considérer qu’une catastrophe naturelle est un phénomène éminemment social, comme le fait Lavell lorsqu’il écrit :

« Un tremblement de terre ou un ouragan, par exemple, sont évidemment des conditions nécessaires pour qu’il existe, mais ne sont pas en eux-mêmes un désastre.

84 Sur le site officiel de l’UNISDR sur le lien www.eird.org (consulté en août 2017)

85 HEWITT, Kennet (1996). Daños ocultos y riesgos encubiertos: haciendo visible el espacio social de los desastres. Exposée présentée au Séminaire de La Red “Sociedad y prevención de desastres”, Méxique, 1994. Traduit par Allan Lavell et Elizabeth Mansilla. Version électronique obtenue sur le lien officiel de l’Organisation Panaméricaine de la Santé sur: http://www.bvsde.paho.org/texcom/cd050724/hewitt.pdf (consulté en juillet 2017)

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Nécessairement, ils doivent avoir un impact sur un territoire qui porte des caractéristiques spécifiques, une structure sociale vulnérable. Ces impacts et la différenciation interne de la société influent de façon importante sur les dommages subis et les groupes sociaux qui sont affectés à un degré majeur ou mineur. (…) L’emplacement et les formes de construction de logement, des unités de production et infrastructures ; la relation qui s’établit entre l’homme et son environnement physico-naturel ; les niveaux de pauvreté ; les niveaux de l’organisation sociale, politique et institutionnelle existantes ; les attitudes culturelles et idéologiques, entre autres, vont influencer la concrétisation et la définition du désastre et ses impacts »86.

6. L’État face aux désastres : gouverner la catastrophe et mobiliser