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Les années 1980 : Entre refondation du pays, première reconstruction néolibérale et résistances

2.4 Conclusions du Chapitre

La catastrophe de 1985 a eu lieu en pleine dictature et dans un moment politique particulier, entre crise économique et sociale. Mais à l’époque le pays était déjà très différent

de ce qu’était l’État de compromis : les militaires et les Chicago Boys avaient réussi à

transformer le Chili en un pays néolibéral. Par conséquent, la réponse de l’État concernant l’urgence et la reconstruction va suivre ce sentier : réduction de l‘intervention directe de l’État, présence du secteur privé, partenariat avec des ONG, dépendance des aides internationales, etc. Comme le souligne Lawner :

« (…) au lieu que ce soit l’État qui veille sur le bien commun, il profite de ces circonstances, pour mettre en œuvre les projets en fonction de son propre intérêt parce que dans certains cas on a fait des interventions pas pour venir en aide aux familles sinistrées mais pour ouvrir la voie aux initiatives privées ».

Le modèle néolibéral qui s’installe dorénavant face à la catastrophe correspond à celui d’un État subsidiaire dont le but est surtout d’appuyer et de consolider des marchés. À ce

sujet, Klein442 signale que le néolibéralisme a comme stratégie politique une « doctrine du

choc » où tant les catastrophes comme les interventions militaires constituent des opportunités pour implémenter des actions de promotion du libre marché. Cependant, dans le cas du Chili,

en comparant les différents processus de reconstruction entre ceux de l’État de compromis et

celui de la dictature en 1985, on remarque que bien que les buts que poursuivent les actions

442 KLEIN, Naomi (2007). La Doctrina del Shock. El Auge del capitalismo del desastre. Paidós Ediciones, pp. 701.

157 publiques sont différents, tous les gouvernements ont profité de ces moments pour faire passer des réformes et/ou des politiques qui en temps « normal » auraient été difficiles à mettre en place. Si bien qu’on ne peut qu’être d’accord avec Klein qu’en contexte néolibéral les efforts de l’État et des acteurs de pouvoir sont plutôt concentrés sur la possibilité d’élargissement des postulats idéologiques qui tendent à accroître les marchés existants et en créer d’autres.

À partir des réformes du logement et des mesures adoptées pendant la reconstruction,

on observe alors l’apparition de ce que Pulgar443 appelle des « villes néolibérales » où la

ségrégation domine et le marché détermine l’accès au logement. La construction de ce genre de ville a transcendé le contexte de dictature et prévaut encore malgré les réformes et l’occurrence d’autres catastrophes, comme on verra plus loin. De plus, certaines initiatives de l’époque seront utilisées comme réponse à d’autres catastrophes postérieures, notamment pour faire face à la période d’urgence, on mobilisera le Télethon pour collecter des fonds et on se servira majoritairement de « mediaguas » comme solution au logement.

Malgré les efforts des ONG et les acteurs de la résistance (tels que le Front du Logement), le sociologue Tomás Moulian a une vision très critique de ce que l’opposition à Pinochet a pu atteindre finalement :

« Dans les luttes politiques de la période 1980-86, spécialement dans la période 1983-84, s’est joué le sort de la transition chilienne. Synthétiquement, on peut dire que la coupole pinochétiste a été conservée, même dans les moments de fusion entre crise économique et crise politique, une grande capacité d’initiative stratégique, et que les oppositions démocratiques (celle du MDP, celle de la AD et celle du Acuerdo Nacional) n’ont pas su créer les conditions pour agir face aux

tactiques du régime et pour déployer leurs propositions »444.

Vers août 1985, le régime militaire avait négocié avec l’Alianza Democrática AD (Alliance

démocratique) qui rassemblait le centre-gauche chilien. Grâce à cette négociation, quelques

membres civils soutenant le régime et l’Alianza Democrática ont signé un compromis pour

faire une transition vers la démocratie qui devait rétablir les libertés, en finir avec l’exil,

443 PULGAR, Claudio (2013). “Chile: ciudades neoliberales y vulnerables. Entre reconstrucción post-desastres y resistencias “in ¡La Tierra es nuestra! Por la función social de la tierra y la vivienda. Collection Passerelle, pp. 33-40

444 MOULIAN, Tomás (1994). “Limitaciones de la transición a la democracia en Chile” en Revista Proposiciones Vol.25, Ediciones SUR , Santiago de Chile

158 réformer la Constitution de 1980. Implicitement, avec cela ils légitimaient Pinochet au

pouvoir (au moins jusqu’à 1990)445. Cet accord impliquait aussi de faire un plébiscite vers

1988 et fut contesté par le Mouvement pour la Démocratie MDP qui rassemblait un autre groupe de centre-gauche (notamment des militants du Parti Communiste, interdit à l’époque).

Finalement le 5 octobre 1988, Pinochet perd le plébiscite et des élections doivent se tenir en 1989 où il ne peut pas se présenter en tant que candidat. La coalition de centre gauche

Concertación de partidos por la Democracia gagne l’élection présidentielle avec un candidat de la Démocratie Chrétienne, Patricio Aylwin qui va devenir ainsi le premier Président de la République de la transition démocratique chilienne qui commença en 1990. Pour Moulian, cette transition pactée est la preuve de l’échec de l’opposition car pour lui :

« Les autoritaristes ont réussi à imposer leur propre stratégie de sortie car ils ont su conduire de manière adéquate les deux crises politiques sévères qu’ils ont dû affronter, celle de 1983-84 et celle de la défaite plébiscitaire. Dans aucune des deux, il ne se sont laissés mener par la panique et ils ont su combiner pouvoir,

répression, projet et légitimation segmentaire »446.

En effet, comme on le verra plus loin, l’État chilien contemporain trouve encore ses bases dans les réformes menées par la dictature, et malgré quelques modifications, le Chili continue d’être un pays profondément inégal bien que performant d’un point de vue économique. Quant aux réponses face à d’autres catastrophes, les mesures appliquées aujourd’hui se trouvent encore sur plusieurs points communes avec ce qui a été fait dans cette période.

445 Article “Movimiento social” sur le site de Mémoire de la Bibliothèque Nationale du Chili sur le lien

http://www.memoriachilena.cl/602/w3-article-92408.html (consulté en novembre 2017)

446MOULIAN, Tomás (1994). “Limitaciones de la transición a la democracia en Chile” in Revista Proposiciones Vol.25, Ediciones SUR , Santiago de Chile

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PARTIE II

Gouverner et accompagner les catastrophes en