• Aucun résultat trouvé

Guerre Froide et catastrophe : la reconstruction change son orientation

plus forts jamais enregistrés dans l’histoire de l’humanité

D) Guerre Froide et catastrophe : la reconstruction change son orientation

Malgré l'augmentation constante des conflits politiques et sociaux après la catastrophe de 1960, Alessandri Rodriguez a essayé de maintenir son programme politique et surtout continué à croire que l’État ne devait pas tout prendre en charge. En outre, une fois l’urgence passée, il fallait commencer au plus vite les différents processus de reconstruction. Pour ne pas créer de nouvelles institutions bureaucratiques, il a élargi certaines responsabilités de CORFO et CORVI pour les impliquer davantage dans le processus de reconstruction et il a ainsi transformé le Ministère d’Économie en Ministère d’Économie, Développement et Reconstruction. En parallèle, comme le signale Gil-Ureta, Alessandri a présenté son plan de reconstruction qui portait une dimension très libérale face au Congrès :

« CORFO was in charge of national and regional planning, and the Ministry of Public Works (through CORVI) was in charge of city planning. They created regional offices in the regions affected by the earthquakes and gave contracts to

224 Hebdomadaire El Siglo (de gauche proche au PC) , le 22 Juin de 1960, sur le site de mémoire Terremoto 1960 sur le lien http://www.terremoto1960.cl/index.php/prensa/el-siglo?lang=es

225 AUCAPAN-MILLAQUIPAI, Bernardita (2015). De damnificados a pobladores: historia local de la población Menzel de la ciudad de Valdivia. Thèse pour obtenir le diplôme d’Anthropologue, Faculté de Philosophie et Humanités de l’Universidad Austral de Chile, pp. 71

226 Journal La Prensa du 23 Mai 1961, sur le site de mémoire Terremoto 1960 sur le lien http://www.terremoto1960.cl/index.php/prensa/la-prensa?lang=es

89

consulting firms to design regional development city maps (…). All of these institutions were governed by a new committee, the only new organization allowed by Alessandri. Named the Committee of Economic Cooperation and Reconstruction (Comité de Cooperación Económica y Reconstrucción, COPERE), it was in charge of organizing the different actors implementing reconstruction plans on the ground »227.

Néanmoins, dans le contexte international de la Guerre Froide, les membres du Congrès ont fait pression pour faire changer cette orientation. D’ailleurs, le Chili ne pouvait pas faire face au processus de reconstruction sans les aides internationales, surtout sans les aides financières et les États-Unis le savaient. Les USA s’inquiétait des tensions à l’intérieur du Chili, redoutaient les répercussions politiques des aides envoyées par l’Union Soviétique, l’Allemagne et en particulier Cuba, d’autant plus que Fidel Castro a été un des premiers dirigeants à faire appel à collaborer avec le Chili après les catastrophes de 1960, et non seulement il a envoyé des coopérations et dons, mais aussi une équipe de médecins et professionnels de la santé dont le responsable fut le docteur et le politicien socialiste Salvador Allende228 qui avait été candidat aux élections présidentielles en 1952 et 1958.

Si la catastrophe de 1939 fut l’opportunité pour le gouvernement de Aguirre-Cerda de développer le pays, le cataclysme de 1960 donna aux États-Unis l’occasion d’influencer directement les décisions du gouvernement chilien. Alessandri s’est vu obligé de suivre les consignes américaines, principalement celles d’orientation des réformes et de continuer à encourager le développement planifié de l’économie chilienne229. Selon Gil-Ureta, l’Ambassade des États-Unis fut très directe sur ce point :

« This dependency on foreign financing made the Chilean government very

vulnerable to the pressures of international lending institutions and the United

States. And this pressure, more than the pressure from Congress and the creation

of the new Ministry, forced the Chilean government to accept the idea of development planning in spite of its initial strong liberal ideology (Dominguez

227 GIL-URETA, Magdalena (2016). Catastrophe and State Building : Lessons from Chile’s seismic history. Thèse doctorale pour obtenir le degré de Doctor of Philosophy, Graduate School of Arts and Sciences, Columbia University, p.134.

228 Information sur le site cubain officiel de mémoire de Fidel Castro sur le lien

http://www.fidelcastro.cu/es/internacionalismo/chile (consulté en septembre 2017)

229 À l’époque du tremblement de terre et tsunami, il gouvernait encore Eisenhower mais vers la première année de reconstruction, John Kennedy était déjà au pouvoir.

90

1981). Embassy officials informed Alessandri´s administration « words alone would not be enough to obtain funds from the United States. Steps toward economic development and reforms that would eventually have positive effects on the social system will be necessary » »230.

Alessandri et son équipe présentèrent alors le Plan Décennal de Développement Économique 1961-1970 (Plan Decenal de Desarrollo Económico) qui suivait des mesures impulsées par l’Alliance pour le Progrès. Celle-ci cherchait à éloigner les pays latino-américains des destins révolutionnaires comme celui du Cuba, et pour ce faire, les États-Unis finançaient des plans de développement visant l’amélioration des conditions sociales et économiques par des projets tel que l’assainissement, l’accès à l’éducation, l’amélioration de la production agraire, l’accès au logement et un contrôle strict de l’inflation231. En 1961, dans son bilan officiel face au Congrès, Alessandri-Rodriguez présenta ainsi son Plan en se référant à l’Alliance pour le Progrès et s’approcha des États-Unis232 :

« Le Mandataire nord-américain a fondé son programme sur l’approche que l’aide internationale peut seulement atteindre la plénitude de ses objectifs si les pays latino-américains réalisent des profondes transformations sociales qui enlèvent les obstacles empêchant une croissance plus dynamique de l’économie et la distribution plus équitable de la richesse entre les divers groupes sociaux. Pour ma part, je suis pleinement d’accord avec ces appréciations et, en fait, mon gouvernement a mis et met actuellement tous ses forces pour mener de profondes réformes, principalement, dans le domaine agraire, dans l’éducation et l’amélioration de conditions sociales».

Avec ce Plan, l’orientation qu’avait le processus de reconstruction a changé vers une approche dédiée principalement au logement et au développement agraire. Même si dans langage courant on appelle la réforme agraire conçue par Alessandri comme la « réforme du

230 GIL-URETA, Magdalena (2016). Catastrophe and State Building : Lessons from Chile’s seismic history. Thèse doctorale pour obtenir le degré de Doctor of Philosophy, Graduate School of Arts and Sciences, Columbia University, p.135.

231 Information obtenu sur l’article “El impacto de la Guerra Fría en Chile. La Alianza para el Progreso” sur le site internet de la Bibliothèque Nationale du Chili “Memoria Chilena” (mémoire chilienne) sur le lien

http://www.memoriachilena.cl/602/w3-article-94594.html (consulté en septembre 2017)

232 Extrait du Message du Président Jorge Alessandri Rodriguez du 21 mai 1961 sur le site internet de la Bibliothèque Nationale du Chili “Memoria Chilena” (mémoire chilienne) sur le lien

91

pot »233, car il ne voulait pas élargir les compétences de l’administration de l’État le Plan

décennal l’obligeait à créer des nouveaux organismes chargés de cette question. C’est ainsi qu’en pleine période de reconstruction ont été fondés la Corporation de la Réforme Agraire CORA (pour surveiller le processus d’expropriations), le Conseil Supérieur de Développement Agroalimentaire CONFSA (pour garantir l’utilisation efficace de la terre), et l’Institut de Développement Agroalimentaire INDAP pour fournir une assistance technique et

accorder des crédits aux agriculteurs234. Ces mesures ont éloigné les classes dominantes qui

avaient soutenu Jorge Alessandri au début de son gouvernement. Les zones de catastrophe étaient des territoires dominés par des familles « latifundistas » (grands propriétaires terriens), la classe la plus conservatrice du pays. En outre, les technocrates de la révolution des

managers ont commencé à démissionner, pour Silva235 cela met en évidence l’échec de

l’expérience technocratique d’Alessandri puisque les groupes dominants et les industriels non pas voulu ou n’ont pas pu se transformer en une force de développement social et économique chilien. De plus, le secteur industriel avait aussi des problèmes comme le mentionnent

Espinoza et Zumelzu236 :

« Le tremblement de terre de 1960 est également, en termes urbanistiques, le début de l’expansion territoriale de la ville vers sa périphérie et fut la principale cause que celle-ci se détache de la rivière, en outre ce qui précède paralysa la majeure partie de l’activité productive. (…) Le tremblement de terre fut la pierre tombale de l’économie industrielle de la ville ».

C’est ainsi que vers 1961, la Société du Développement Industriel SOFOFA (Sociedad de Fomento Fabril) retira son soutien au gouvernement. Pour Cavarozzi237, ceci est un point d’inflexion historique puisque les secteurs socio-économiques dominants ont commencé à considérer la démocratie et la participation populaire comme l’une des principales menaces pour leurs intérêts.

233 Les actions menées par le gouvernement d’Alessandri ne furent pas à la hauteur des attentes, et donc l’appellation ironique « réforme du pot », car ses mesures étaient si petites qu’elles tenaient dans un pot de plante.

234 INDAP est la seule de ces institutions qui existe encore et qui continue de faire pratiquement les mêmes tâches assignées par le gouvernement d’Alessandri

235 SILVA, Patricio (2010). En el nombre de la razón: Tecnócratas y Política en Chile. Ediciones Universidad Diego Portales, p. 125

236 ESPINOZA GUZMÁN, Daniel; ZUMELZU SCHEEL, Antonio (2016). “Valdivia y su Evolución Post-terremoto 1960: Enfoques, Factores Escalares y Condicionantes”. Urbano, núm. 33, pp. 14-29

237 CAVAROZZI cité par SILVA, Patricio (2010). En el nombre de la razón: Tecnócratas y Política en Chile. Ediciones Universidad Diego Portales, p. 126

92

Dans le domaine du logement et de l’urbanisme, pour Valdivia, la reconstruction a induit la modernisation et l’amélioration urbanistique mais aussi la construction d’une ville plus sûre pour ses habitants. Lawner238 souligne que le tremblement de terre a donné un élan pour le développement du logement et de l’urbanisme par la promotion de lois qui ont exigé des constructions plus résistantes aux tremblements de terre. Il faut évoquer ici l’héritage de la CORVI en matière de logement, emblématique jusqu’à nos jours par sa qualité avec les exemples tels que la Villa Olímpica à Santiago, le quartier Hurtado de Mendoza à Puerto Montt ou le quartier Remodelación Paicaví à Concepción.

Effectivement, la politique de logement d’Alessandri-Rodriguez, bien qu’elle n’ait pas résolu définitivement le problème du logement chilien, est souvent évoquée comme une politique qui a collaboré à l’expansion de l’État de compromis. D’après Bravo et Martínez239, la politique de logement a été très marquée par le Plan Décennal et a rempli ses objectifs en apportant des réponses à l’augmentation de la population et bien sûr en construisant des logements pour les sinistrés :

« Pour cela, il a fallu définir des normes sur les logements selon la capacité économique des secteurs de la population, en rationalisant et diminuant l’investissement dans le logement, en laissant l’initiative entre les mains du secteur privé et en utilisant les secteurs les plus faibles dans la construction de leur logement ».

De fait, lors du processus de reconstruction, les familles sinistrées qui ne disposaient pas de Rucos finis obtenaient du Département Social des matériaux pour qu’ils puissent eux-mêmes terminer les travaux pour se protéger de la pluie et du vent240. Pour les logements définitifs, comme la plupart des sinistrés n’avaient pas les moyens économiques pour payer un crédit hypothécaire ni pour faire des économies, le gouvernement décida de leur vendre les matériaux des Rucos et/ou de faire des prêts pour l’auto-construction de leur logement241.

238 LAWNER, Miguel (2011). “Los arquitectos, de terremoto en terremoto” in CARES, Carolina; IMILAN, Walter et VERGARA, Paulina (2011). Reconstrucción(es) Sociedad Civil: Experiencias de Reconstrucción en Chile post 27F desde la sociedad civil. Fundación Heinrich Böll y Observatorio de la Reconstrucción de la Universidad de Chile. Editorial LOM, pp. 127-150.

239 BRAVO, Luis et MARTÍNEZ, Carlos (1993). Chile: 50 años de Vivienda Social (1943-1993), Universidad de Valparaíso, p. 14

240 AUCAPAN-MILLAQUIPAI, Bernardita (2015). De damnificados a pobladores: historia local de la población Menzel de la ciudad de Valdivia. Thèse pour obtenir le diplôme d’Anthropologue, Faculté de Philosophie et Humanités de l’Universidad Austral de Chile, p. 69

93

Mais cela a créé un nouveau problème car certaines familles ont quitté les campamentos pour atteindre leur futur site de logement, sans aucune construction ni service, se retrouvant ainsi en grande précarité.

Face à ces nouveaux problèmes, les sinistrés ont créé le Comando de Rucos qui

organisait les différents comités de sinistrés de chaque camp de Rucos242. Cette organisation a

même effectué des voyages à la capitale pour faire pression auprès des parlementaires et des autorités nationales afin d’obtenir des logements dignes et une meilleure qualité de vie. Toutes ces actions ont mené à ce que la reconstruction finisse assez rapidement, si on considère les vastes zones dévastées et la quantité de sinistrés par localités. En effet, grâce à la

pression sociale et l’organisation de ruqueños les premiers camps ont été évacués en 1962.

D’après Gil-Ureta, les catastrophes de 1960 ont affaibli Alessandri puisque les désastres auraient leur propre agenda243. Bien qu’il aurait voulu mettre en place une politique libérale conservatrice, il a dû réaliser des réformes plutôt progressistes. Pour sa part, Lawner244 souligne que même si le gouvernement d’Alessandri était un gouvernement de droite, il n’a pas renoncé à la responsabilité de l’État par rapport aux problèmes qui se présentaient dans le processus de reconstruction, à la différence de ce qui s’est passé avec la reconstruction de 2010 sous le gouvernement néolibéral de Piñera. Ceci pourrait s’expliquer car comme le remarque Foessel 245:

« On considère souvent le néolibéralisme comme une suite du libéralisme ou une de ses variantes. Or, si l’on considère leurs origines intellectuelles, leur représentation de l’individu, la place qu’ils réservent à l’État et leur conception de la rationalité, il faut reconnaître qu’il s’agit plutôt de deux courants de pensée différents, voire opposés ou antagonistes ».

242 Op.cit., p. 75

243 Entretien à Magdalena GIL-URETA, août 2017. 244 Entretien à Miguel Lawner, 20 juin 2017

245 FOESSEL, Michaël. (2008). « Néolibéralisme versus libéralisme ? ». Esprit, novembre, (11), pp. 78-97. doi:10.3917/espri.811.0078.

94

1.4 Tremblement de terre sous le gouvernement d’Allende : la