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Une reconstruction au milieu de la Guerre Froide : entre pression et collaboration

catastrophe occultée (1971)

C) Une reconstruction au milieu de la Guerre Froide : entre pression et collaboration

L’étape d’urgence après la catastrophe dura quelques mois, la réponse du gouvernement d’Allende à la catastrophe a commencé rapidement et continua ainsi lors du processus de reconstruction. À l’époque, le Chili disposait d’une « banque » de panneaux préfabriqués pour bâtir rapidement des logements d’urgence qui était créée sous le gouvernement de Frei mais modifiée par le gouvernement de l’Unité Populaire. Elle était appelée de Système de Préfabrication Légère et elle permettait d’obtenir des logements de

transition de 36 à 40 m273. Aussi, l’État chilien avait atteint une certaine « maturité »

concernant la construction des logements populaires, notamment depuis la création des institutions chargées formellement du logement telles que la CORVI qui ont fixé les critères

de référence pour le droit au logement274. La convergence entre la catastrophe et la

gouvernance de l’Unité Populaire permit d’incorporer les sinistrés dans une politique de logement d’autant plus que le droit au logement portait sur l’accès au logement des sujets les plus vulnérables. Comme le signale Jadue, pour la première fois dans l’histoire chilienne fut promue la construction de logements sociaux dans des quartiers dotés d’infrastructures et équipements de services, ainsi les plus pauvres ont pu accéder à des logements dans des

secteurs mieux desservis275. Dans le cas de la reconstruction, pour certaines zones qui

jusqu’au moment de la catastrophe étaient plutôt rurales, l’intervention a signifié un tournant urbanistique.

273 Rubrique d’opinion de Miguel Lawner sur le site du Centre de recherche journalistique chilien CIPER sur le lienhttp://ciperchile.cl/2010/03/22/el-dia-despues-del-terremoto-%C2%BFque-reconstruir-y-como-hacerlo/

(consulté septembre 2017)

274 Article de presse de la Faculté d’Architecture et Urbanisme de l’Université du Chili “El derecho a la vivienda en Chile: deuda que heredamos de la dictadura” sur le site officiel de l’Université du Chili sur le lien

http://www.fau.uchile.cl/noticias/115045/el-derecho-a-la-vivienda-en-chile-deuda-que-heredamos-de-la-dictadura (consulté en septembre 2017)

275 JADUE, Oscar Daniel (2006). Sustentabilidad y Política de Vivienda en el Chile de la Concertación. Tesis pour obtenir le degré de Sociologue de l’Université du Chili. Pag. 65 sur le lien http://repositorio.uchile.cl/bitstream/handle/2250/113565/cs39-jadueo291.pdf?sequence=1 (consulté en août 2017)

104 Comme le signale Lawner, non seulement le discours de l’UP sur l’égalité et l’inclusion est arrivé dans les zones de catastrophe mais il a également provoqué des changements des modes de vie des sinistrés :

« … ce que je soulignerais le plus, c’est qu’elle (la reconstruction) s’est étendue à de nombreuses localités modestes. Je te donne par exemple Salamanca, Illapel pour mentionner quelques-unes, où le tremblement a eu une certaine force. Pour la première fois, je te dirais, en matière de logement est arrivée la modernité, ils sont arrivés vers nous « les blocs », les fameux blocs industrialisés, rationalisés, qu´avait la Corvi, 1010 et 1020. Tu peux aller les voir, ils sont encore là, un fait singulier dans ces zones, parce que jusque-là on ne concevait pas ceci dans ces localités. Comme je t’ai dit, on ne construisait que des bâtiments d’un étage. Ce fut un processus important, on a dû persuader les gens qu’on ne peut pas élargir indéfiniment la ville et que les bâtiments de moyenne hauteur comme le sont les immeubles de 4 étages sans ascenseur étaient absolument raisonnables. »276.

De plus la reconstruction, initialement rapide, paradoxallement fut favorisée par le contexte de Guerre Froide, car l’URSS que Cuba offrirent une coopération étroite pour la reconstruction afin d’appuyer leur allié le Chili. Pour ce faire, l’URSS a offert à l’UP une usine de Construction avec des grands panneaux KPD (par ses sigles en russe) qui permettait de produire des panneaux de béton préfabriqués avec l’objectif de construire rapidement des

bâtiments, une technologie inédite pour l’époque277. Pour sa part, Cuba a aidé le Chili de

différentes façons, entremêlant très clairement des objectifs politiques avec la collaboration de l’après catastrophe comme c’était déjà le cas pour le cataclysme de 1960. Dans un discours officiel, Fidel Castro explique que l’aide cubaine est très liée au fait que le Chili se trouve dans un processus révolutionnaire :

« (…) le peuple chilien, sans doute, se confronte également, comme tout autre peuple révolutionnaire, et devra se confronter aux difficultés du processus révolutionnaire. Car les révolutions ont leur prix. Les révolutions ne naissent pas pour profiter de ce qui est fait. Les révolutions se font pour créer ce qui n’existe pas. Et plusieurs fois il faut le faire sur les bases de la pauvreté, de la misère, du sous-développement (…). (…) cette année également, au motif des malheureux

276 Entretien à Miguel Lawner, 20 juin de 2017.

277 Article de presse de la Faculté d’Architecture et Urbanisme de l’Université du Chili

http://www.fau.uchile.cl/noticias/115045/el-derecho-a-la-vivienda-en-chile-deuda-que-heredamos-de-la-dictadura (consulté en septembre 2017)

105 événements naturels au Chili, un autre tremblement de terre, notre pays a pu envoyer rapidement une modeste aide, qui incluait l'approvisionnement en plasma sanguin, qui est un des produits qui s’utilise d’urgence dans ces types de cas. Les Comités de Défense ont participé également aux tâches de construction et réparation en réalisant les activités suivantes : réparation des logements, 34.400 ;

peinture de maisons, 58.200 ; remise en état des écoles, 2.700 »278.

Mais la collaboration de Cuba et d’autres pays latino-américains ne s’est pas restreinte qu’à l’urgence. Vers la fin de 1971, le Chili reçut un prêt de 20 millions de dollars pour la reconstruction de la part du gouvernement argentin, et Fidel Castro rendit une visite officielle au pays pendant 24 jours pour réaffirmer le compromis cubano-chilien et leur engagement envers le socialisme. Dans ce cadre, un accord de coopération pour 20 ans fut signé entre le

Chili et Cuba279.

Néanmoins, tandis que le processus de reconstruction avançait, la radicalisation politique et la pression internationale se sont firent sentir à tous les niveaux. Sur les premières difficultés du processus, Lawner signale que le soutien obtenu par l’UP de la part de la Démocratie Chrétienne (DC) fut important pour avancer au début du gouvernement, mais que l’éloignement définitif entre ces deux formations politiques à partir de 1972 a eu un impact direct sur l’économie nationale et bien sûr, sur le processus de reconstruction :

« (…) en définitive la DC s’est associée à la droite, à partir de là ont commencé les difficultés en général : l’économie, la grève des camionneurs, etc., qui ont causé les problèmes dans le domaine de la construction, surtout l’approvisionnement de matériaux de construction ou le transport. Il faut reconnaître que ceci explique, par exemple, que certains travaux de reconstruction vers la fin du gouvernement étaient insuffisants, (...). En conséquence, les difficultés dans le processus de reconstruction sont devenues des difficultés politiques, qui ont toujours été inhérentes à tout le processus économique au Chili »280.

278 Extrait du discours de Fidel Castro du 26 Juillet 1971 à la Place de la Révolution à l’occasion de la commémoration de l’attaque à la caserne de Moncada obtenu du site officiel de Cuba sur le lien

http://www.cuba.cu/gobierno/discursos/1971/esp/f260771e.html (consulté en août 2017)

279 Sur le site de mémoire de l’Unité Populaire du Centre Documentaire Blest sur le lien

http://www.blest.eu/biblio/selser/1971.html (consulté en août 2017) 280 Entretien avec Miguel Lawner, 20 juin 2017.

106 La lutte pour le pouvoir entre l’UP et l’opposition chilienne de l’époque s’est tendue de plus en plus, renforcée par la pression internationale. Pour d’augmenter cette pression, les États-Unis ont adopté un rôle totalement différent à celui de la reconstruction des années 1960. Si sous le gouvernement de Jorge Alessandri les États-Unis ont facilité les prêts en obligeant le gouvernement à adopter des mesures pour améliorer la situation sociale du pays, en 1972, ils ont bloqué des aides non seulement pour les projets de l’UP mais aussi pour toute

la reconstruction281. Par exemple, Sigmund282 signale que les États-Unis, lorsqu’ils ont

découvert que la Banque Interaméricaine de Développement BID avait financé non seulement les projets du gouvernement chilien, mais aussi accordé un financement extraordinaire pour la reconstruction post-tremblement de terre, ont exercé un pouvoir de veto sur la BID pour empêcher qu’elle collabore avec le Chili.

Les problèmes financiers de l’UP ont commencé à devenir de plus en plus graves et cela a affecté non seulement le processus de reconstruction, mais également la vie quotidienne des Chiliens. Dans les rues on pouvait voir les manifestations des « casseroles vides » et le gouvernement accusa la droite d’être organisatrice puisque la plupart de manifestant

provenaient des quartiers aisés283. La mobilisation sociale arriva à un point critique avec la

pénurie de denrées alimentaires, de combustible et de médicaments. C’est ainsi que le ministre du Financement de l’UP créa la Comité d’Approvisionnement et Prix JAP (Junta de

Abastecimiento y Precios) pour lutter contre la spéculation et par éviter le stockage excessif284

mais malgré cette initiative, les prix continuèrent d’augmenter, poussés aussi par les blocages internationaux. Dans un effort de dénonciation de cette situation et cherchant du soutien, Allende prononça 4 décembre 1972 un discours devant les Nations Unies :

« Sur nous ne pèse aucune interdiction commerciale. Personne n’a déclaré une proposition de confrontation avec notre nation. Il semblerait que nous n’ayons pas plus d’ennemis que nos propres et naturels adversaires politiques internes. Ce n’est pas ainsi. Nous sommes victimes d’actions presque imperceptibles,

281 À partir des archives de la CIA, il est possible d’établir quelques stratégies du Président des États-Unis Richard Nixon et du Conseiller Henry Kissinger pour finir avec le gouvernement d’Allende. Archives disponible sur le site d’histoire NixonTapes sur le lien http://www.nixontapes.org/chile.html (consulté en février 2020). 282 SIGMUND, Paul (1974). “El bloqueo invisible y la caída de Allende”. Revista IEI sur le lien

http://www.revistaei.uchile.cl/index.php/REI/article/viewFile/17544/19704

283 Sur le site de mémoire de l’Unité Populaire du Centre Documentaire Blest sur le lien

http://www.blest.eu/biblio/selser/1971.html (consulté en août 2017)

284 Sur le site de mémoire de l’Unité Populaire du Centre Documentaire Blest sur le lien

107 déguisées généralement par des phrases et déclarations qui glorifient le respect de la souveraineté et de la dignité de notre pays. (...)

Cette asphyxie financière, (...) étant données les caractéristiques de l’économie chilienne, s’est traduite par une sévère limitation de nos possibilités d’approvisionnement en équipement, pièces de rechange, matériel de construction, produits alimentaires et médicaments. Tous les Chiliens, nous souffrons des conséquences de ces mesures, celles qui se traduisent dans la vie quotidienne de chaque citoyen, et naturellement, aussi, dans la vie politique

interne »285.