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Une vision coubertinienne des sports équestres

Chapitre 2. La professionnalisation des dirigeants bénévoles de la FFE, du lien amateur au lien professionnel

1. De l’amateurisme au bénévolat, une trajectoire identitaire conforme des dirigeants du cheval

1.2. Une vision coubertinienne des sports équestres

Le processus de sportification qui donna aux sports équestres une dimension sportive incontestable, se traduit, comme nous le rappelle un cadre administratif de la FFE, par la mise en place des règles sportives et des épreuves de compétitions : l’équitation devient un sport et « à cette époque là, s’organisent les disciplines modernes, c’est-à-dire le concours complet, le saut d’obstacles et le dressage »340. De l’avis de bon nombre de nos interviewés, le mouvement cheval est résolument tourné vers le sport et le haut niveau, s’intéressant peu aux activités qui sortent de ce champ. La délégation cheval, nous explique un des représentants actuels de la FFE, est alors tournée « pratiquement uniquement vers le sport, avec une orientation haut niveau »341. L’une des missions des dirigeants des sports équestres est alors d’extraire de la masse des pratiquants l’élite sportive conformément à une logique de sélections successives départementales, régionales puis nationales. A cette époque, nous explique un enseignant, « on était vraiment orienté vers le sport, c’est la masse qui finalement faisait fonctionner le haut niveau »342. Un ancien responsable technique nous dit encore à propos du mouvement cheval : « je pense que c’est une vision disons coubertinienne du sport avec des structures déconcentrées, avec des élus, avec une démocratie sportive qui a ses limites puisqu’elle passe souvent par des grands électeurs »343 (nous verrons d’ailleurs par la suite que ces grands électeurs sont alors majoritairement issus des anciennes ligues régionales). Cette vision « classique » du courant cheval rapportée dans nos entretiens nous conduit à préciser ce modèle traditionnel dit

« coubertinien ». Pour Chifflet, « l’idéologie coubertinienne » peut se

340 Entretien n° 1.

341 Entretien n° 8.

342 Entretien n° 2.

343 Entretien n° 4.

définir par l’emboîtement de plusieurs communautés : une communauté d’objectifs orientés vers la compétition et le haut niveau, une communauté d’organisations construites sur le modèle dominant de l’association, une communauté de cultures prônant le dépassement de soi et le goût de l’effort, enfin une communauté d’idéologies revendiquant la neutralité politique et le désintérêt bénévole. Pour cet auteur, cette idéologie conduit les dirigeants à ne considérer les licenciés que comme « la seule référence, sans plus se préoccuper de l’évolution du reste de la société »344. Partant de cette définition de Chifflet et à travers les questionnaires qui nous sont parvenus, peut-on mettre en évidence ce modèle « coubertinien » dans l’organisation sportive des sports équestres ? Peut-on dire que les dirigeants du cheval sont majoritairement attachés à ce modèle pyramidal dont parle Thomas345 ? L’exploitation des données recueillies par les questionnaires nous permet en tout cas de dégager quelques tendances : premièrement, il apparaît que les dirigeants du courant cheval ont une perception de leurs missions plutôt tournée vers le sport de haut niveau et s’attachent davantage à répondre aux demandes de leurs dirigeants de centres équestres et de leurs licenciés.

Leur intérêt serait plus marqué pour les sports de compétition à cheval qu’ils pratiquent et dont ils se sentent le plus proche. Deuxièmement, ils ont une expérience de pratiquants mais aussi de gestionnaires bénévoles de centres équestres associatifs. Pour eux, les relations restent difficiles entre le modèle associatif et le modèle professionnel du sport.

Une des questions de notre questionnaire portait sur ce que doivent ou devraient être, aux yeux des dirigeants, les missions de la FFE. Treize items étaient proposés et les questionnés devaient tous les classer par

344 Chifflet, 1990, p. 227.

345 Dans son ouvrage sur l’Histoire du sport (1991, p. 110-118), Thomas propose différents stades d’évolution, dont l’un des premiers se caractérise par une vision étroite qu’il qualifie de pyramidale et fédérale positionnant verticalement le sport de masse et le sport de haut niveau, le but du pratiquant étant de passer du premier niveau au second. D’après l’auteur, un tel système aurait facilité l’émergence d’un sport beaucoup plus ludique dès lors que le niveau sportif devenait inaccessible et l’entraînement ennuyeux. Cette forme de pratique s'est très vite détachée du modèle traditionnel à partir des années 60 et surtout après les événements de 1968, en rassemblant une masse grandissante de pratiques hygiéniques et récréatives faisant abstraction de toute forme de compétition réglementée. Au vu de l’analyse de Thomas et des entretiens que nous avons conduits, on peut imaginer que, face à une évolution de la demande du public, les dirigeants du cheval n’aient pas su s’adapter. Etant restés ancrés dans le modèle pyramidal identifié par Thomas, ils auraient permis indirectement le développement du poney et du tourisme équestre dans un domaine qui connaissait une forte progression du loisir sportif.

ordre de priorité. A travers les réponses, on perçoit quelques différences entre les trois courants équestres. Parmi les missions prioritaires qui figurent dans les quatre premiers choix faits par l’ensemble des dirigeants, il y a d’abord la volonté de répondre à la demande des dirigeants des centres équestres (cela concerne 55,5 % des dirigeants cheval, 86 % des dirigeants poney et 54 % des dirigeants tourisme). Il est vrai que beaucoup d’entre eux sont ou ont été eux-mêmes des dirigeants (nous verrons par la suite que ce statut de dirigeants n’est pas nécessairement le même, certains ayant un statut de bénévole, d’autres de professionnel). En revanche, si les dirigeants du cheval ne tendent à considérer que la demande de leurs seuls licenciés, les dirigeants du poney préfèrent prendre en compte le public pratiquant (pour les dirigeants du cheval, respectivement 46,5 % et 26,5 %, pour ceux du poney, 33 et 71,5 %). Dans le premier cas, l’offre serait censée répondre à la seule demande des licenciés alors que dans le second cas, l’offre prendrait en compte une demande élargie à l’ensemble des pratiquants licenciés ou non. De la même manière, tandis que les dirigeants du cheval tendent à privilégier le sport de haut niveau (à 49 %), les dirigeants du poney (qui ne choisissent le sport de haut niveau qu’à 14 %) accordent plus d’importance à la formation sportive et à l’éducation par le sport (il est vrai que les dirigeants poney sont en majorité, nous le verrons, des enseignants d’équitation). Notons également que le choix de la défense de l’éthique sportive n’est relevé que chez les dirigeants du cheval346. Il faut souligner par contre que pratiquement aucun dirigeant ne classe la prise en compte de la demande des ministères de tutelle ou le respect de la tradition (à peine 10 et 5 % des réponses) parmi les missions prioritaires de la fédération, et aucun n’opte pour le spectacle. Pour les dirigeants du tourisme, le sport de haut niveau ne leur paraît être qu’une mission tout à fait secondaire (cette mission ne comptabilise que 4 % des réponses). Si on considère les pratiques sportives avec lesquelles les dirigeants se sentent proches, ceux du mouvement cheval désignent en majorité les trois disciplines traditionnelles de compétition, le concours de sauts d’obstacles (CSO) à cheval, le concours complet d’équitation (CCE) à cheval et le dressage. Ce sont d’ailleurs ces disciplines qu’ils pratiquent ou ont pratiqué régulièrement. On peut remarquer que ces mêmes disciplines pratiquées à poney connaissent peu d’intérêts parmi les dirigeants

346 et notamment d’ailleurs chez les anciens dirigeants en poste avant 1988. Cette éthique sportive est celle propre au modèle coubertinien que nous avons défini précédemment.

cheval. Les dirigeants du tourisme choisissent majoritairement pour leur part le TREC (Technique de randonnée équestre de compétition) et le tourisme puis l’attelage et l’endurance. Quant aux dirigeants poney, les choix apparaissent beaucoup moins tranchés. Ils vont aux activités CSO, CCE et dressage du poney mais aussi du cheval, ainsi qu’aux activités tourisme. En résumé, les dirigeants se sentent surtout proches des activités équestres gérées par leurs composantes respectives. Si ce marquage apparaît fort pour les pratiquants à cheval ou du tourisme, il est beaucoup plus diffus chez les cavaliers à poney.

Le modèle traditionnel du sport se perçoit aussi à travers sa forme associative dominante. L’analyse des questionnaires permet de mettre en évidence que, si les dirigeants du cheval déclarent à près de 57 % être ou avoir été des gestionnaires de centres équestres, ils ont majoritairement une expérience de gestionnaires d’associations (pour 53 % d’entre eux contre 27 % qui répondent avoir une expérience de gestion d’un établissement commercial, les autres répondants ne précisent pas le type de structure gérée). Bien que notre question n’ait pas été suffisamment précise (nous avions juste aménagé une case vide pour préciser les réponses), il apparaît que cette expérience de gestionnaire associatif s’est inscrite dans un engagement plus bénévole que professionnel en tant que président ou membre fondateur d’associations sportives équestres locales, départementales ou régionales (nous reviendrons sur ce point)347. Pour les anciens présidents des ligues de la délégation cheval, cette caractéristique est particulièrement forte puisque sur la moitié d’entre eux qui déclare être ou avoir été des gestionnaires, les structures équestres qu’ils ont gérées sont, dans 90 % des cas, des structures associatives.

Notre questionnaire comportait aussi une question ouverte dans laquelle nous sollicitions un avis personnel des dirigeants. Cette question d’opinion était relative à l’évolution de la FFE et nous invitions les questionnés à exprimer librement leur sentiment sur quelques lignes. Les critiques formulées par les dirigeants fédéraux étaient soit positives sans plus de commentaires, soit faisaient un constat négatif sur les évolutions de la FFE. Certains regrettaient la désorganisation des institutions fédérales (et reconnaissaient aussi leur propre démotivation). Au-delà de ces simples jugements de valeur, certains questionnés apportèrent plus d’éléments de réflexion et

347 Il faut noter d’ailleurs que bon nombre de dirigeants du cheval ont amalgamé naturellement la fonction de gestionnaire professionnel et celle de gestionnaire bénévole.

évoquèrent soit des problèmes d'intérêts personnels et de luttes de pouvoir, soit des problèmes relationnels entre sport associatif et sport professionnel348, soit enfin des problèmes relationnels entre sport de haut niveau et sport de masse. Il apparaît que certains thèmes reviennent plus souvent que d’autres selon les délégations. Ainsi, les dirigeants du mouvement cheval, s’ils font un bilan plutôt positif de leur fédération, regrettent que les problèmes que connaît ou a connu cette dernière, soient liés à des luttes de pouvoir et à une relation difficile entre le modèle associatif des bénévoles et le modèle commercial des professionnels. Pour les gens du tourisme, on voit de toute évidence que l’évolution de la fédération rassemble l’approbation du plus grand nombre, même s’ils ne nient pas non plus les luttes de pouvoir, les conflits d’intérêt et des rapports difficiles entre culture bénévole et culture professionnelle. Restent les dirigeants du poney qui portent un jugement globalement positif sur l’évolution de la FFE. Ils ne voient guère de conflits culturels mais plutôt des conflits entre individus aux intérêts différents.

En résumé, ces quelques exemples tendent à montrer que les dirigeants du courant cheval restent globalement attachés à certaines valeurs traditionnelles qui ont fondé leur mouvement (le sport de haut niveau, l’engagement bénévole associatif). Cette logique associative qui les caractérise semble être particulièrement forte chez les anciens présidents des ligues cheval. Si pour certains, ces ligues étaient des

« bastions » ou encore des « baronnies »349 tenues par des notables, pour leurs présidents, elles étaient un rempart permettant de préserver le sport des intérêts économiques. Leur rôle a été, à bien des moments de la vie de la fédération, déterminant. Elles ont acquis une position privilégiée dés lors que le sommet de l’organisation bureaucratique a connu un éloignement inéluctable de sa base. Le pouvoir de ces structures intermédiaires a été renforcé au moment où la fédération et le mouvement cheval ont été fortement déstabilisés. Ainsi, à travers leur très forte présence au sein des instances dirigeantes de la délégation cheval, les présidents de ligue vont marquer durablement cette dernière de leur empreinte.

348 Les commentaires des répondants font le plus souvent référence aux difficultés que représente à leurs yeux la professionnalisation de l’équitation à travers notamment le caractère de plus en plus commercial des établissements équestres et leurs relations avec le modèle associatif fédéral supposé désintéressé du sport.

349 Ces termes que nous reprenons ont été employés par certains de nos interviewés.

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