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Le mouvement cheval héritier de l’équitation militaire Quand on lit des documents de l’époque ou quand on écoute les

Chapitre 2. La professionnalisation des dirigeants bénévoles de la FFE, du lien amateur au lien professionnel

1. De l’amateurisme au bénévolat, une trajectoire identitaire conforme des dirigeants du cheval

1.1. Le mouvement cheval héritier de l’équitation militaire Quand on lit des documents de l’époque ou quand on écoute les

propos de nos interviewés, on ressent très vite le poids de l’histoire d’une fédération chargée de tradition militaire et dont la délégation cheval se veut être l’héritière. Comme nous le rapporte un de nos interviewés : « L’équitation traditionnelle était issue des sports militaires et (…) c’étaient effectivement plutôt des gens nantis qui montaient à cheval. (…) Les clubs équestres, c’était un lieu où la bourgeoisie locale se retrouvait entre elle »318. Organisée au début par les cadres de l’armée, l’équitation acquiert progressivement, comme nous l’avons expliqué dans le chapitre précédent de notre analyse, une dimension sportive au moment où la cavalerie militaire perd de son utilité : les sports équestres, nous explique un ancien responsable technique de la fédération sont « issus d’une conception militaire parce que l’équitation française, pendant un grand moment, a été gérée par les militaires et encadrée par les militaires »319. Pour un autre de nos interlocuteurs et ancien membre de la FEF de l’époque, il ne fait aucun doute que « la fédération, à l’origine, c’était la suite de l’organisation de l’équitation militaire »320. Chargés de réaliser cette mutation vers le sport et la compétition, les militaires dotent alors le monde équestre d’institutions fédérales nationales puis internationales.

Jusqu’à ce qu’elles soient dissoutes, la FEF puis la délégation cheval vont fonctionner comme une administration avec rigueur, avec rigidité mais aussi avec lenteur. C’est « une organisation assez rigide, un fonctionnement très rigide, très droit »321 nous commente un conseiller technique du ministère de la jeunesse et des sports. Un autre interviewé ne dit pas autre chose : c’est « une machine ancienne avec des rouages administratifs importants »322. Cette organisation

« classique », aux yeux de la plupart de nos interviewés, à bon nombre de fédérations sportives, fonctionne avec ses organes déconcentrés et un code électoral qui donne un pouvoir très fort aux grands électeurs siégeant à l’assemblée générale de la FFE. La tradition militaire se perçoit particulièrement bien dans les anciennes méthodes pédagogiques d’apprentissage de l’équitation. Assurant « la jonction

318 Entretien n° 8.

319 Entretien n° 4.

320 Entretien n° 11.

321 Entretien n° 2.

322 Entretien n° 8.

entre pratique traditionnelle et pratique sportive »323, les militaires investissent le corps enseignant et marquent de leur empreinte les contenus de l’instruction (on a pu constater d’ailleurs la forte présence d’officiers au sein de la FFSE lors de sa création en 1921). Lagoutte relève cette persistance des instructeurs militaires, « formés dans le moule de la troupe, coups de gueule pour les novices et coups de fouets pour les chevaux »324, à ne penser l’enseignement équestre que par la contrainte et la répétition. Pendant des décennies et jusqu’à l’entre-deux-guerres, l’équitation reste réservée à quelques pratiquants privilégiés issus des classes bourgeoises ou de la grande famille militaire. Intégrer cette dernière est souvent alors, note Alligier, « la seule manière d’approcher l’équitation »325 pour les classes peu fortunées, la seule façon de la pratiquer et de l’apprendre.

L’apprentissage est très austère et très rigoureux. Il s’inscrit dans un cadre protocolaire immuable. Il suit scrupuleusement un ordre déterminé où la tenue, la gestuelle, la discipline doivent répondre à des normes et à des modèles qui ne laissent que très peu d’initiative à l’élève apprenant. Ces normes, nous explique un enseignant, sont à l’époque « très draconiennes pour tout, tout est absolument réglementé »326. L’enseignement de l’équitation, nous raconte un autre enseignant équestre « était initialement et presque exclusivement réservé à des adultes, où, dans un temps très bref, il fallait faire en sorte que des recrues puissent tenir à cheval pendant un temps assez long, donc, toute une conception pédagogique de l’activité qui était très très militaire (…) c’était une équitation de la pédagogie du coup de gueule : « je ne veux voir qu’une tête ! », enfin de la pédagogie de la meule (…) on faisait en sorte que les gens tiennent à cheval, (…) il fallait être dans le moule, quelque part, et il y avait bien le moule, c’était pas un vain mot, (…), c’était réciter par cœur la position du cavalier à cheval, (…) y a des cases, y a des prototypes, y a des normes, y a des règlements »327. L’important est de savoir contrôler le cheval et cela passe par une pratique intensive et peu de théorie : la doctrine en vigueur : « pas de discours mais de la pratique, écrit encore Alligier, l’équitation, « ça rentre par les fesses, pas par la

323 Marry. P., « L’activité équestre, un outil de l’action sociale », février 1983 (archives fédérales).

324 Lagoutte, op. cit., p. 221.

325 Alligier J., « Soixante ans d’enseignement équestre », revue L’Eperon, n° 153 de décembre 1996-janvier 1997.

326 Entretien n° 2.

327 Entretien n° 4.

tête » »328. Il faut tenir sur le cheval coûte que coûte. La méthode d’enseignement étant globale329, elle ne s’embarrasse pas des détails ou des connaissances pédagogiques qui commencent pourtant à se développer. Avant, nous relate encore un autre interviewé ayant exercé des fonctions importantes à la fédération : « on disait « tiens toi droit sur un cheval » et on vous donnait une photographie en la décrivant avec des mots de quelqu’un la tête droite, « tiens toi droit, les coudes comme ça, les mains comme ça, sois comme ça ! », en figeant les gens dans cette position là, on fabriquait des piquets très très raides parce que, comme le cheval bouge, il passe son temps à défaire donc on amenait les gens à la chute, on amenait les gens à la crispation »330. La plupart des cours sont dispensés dans des manèges et l’apprentissage de l’équitation est alors un art jalousement protégé.

Il est d’ailleurs intéressant de souligner que le programme du brevet d’Etat d’équitation, tel que défini en 1974331, comporte des épreuves pédagogiques portant notamment sur la capacité du candidat à organiser une séance d’équitation, sur sa tenue, son attitude, sa place et celle des élèves. Il doit adopter un ton de voix conforme aux attentes en matière d’autorité, de correction et de « commandements réglementaires »332, nous disent les textes. Et plus loin on peut lire que le candidat est jugé notamment en fonction de son « respect de la doctrine équestre française »333. On perçoit bien là l’influence du corps militaire. Cette doctrine est portée en partie par l’école de cavalerie de Saumur. Avant de devenir l’Ecole Nationale d’Equitation (ENE), l’école de Saumur incarne plus que jamais la rigueur militaire de l’enseignement de l’équitation. Tout enseignant, précise encore Alligier, se doit d’y être formé et de porter l’uniforme réglementaire.

Quant à la pratique compétitive, elle reste réservée aux membres du corps militaire, notamment les officiers. Comme on peut s’y attendre, la rigueur de l’enseignement conduit à un abandon important des apprenants : « le décalage avec les attentes des jeunes cavaliers est tel qu’un déchet énorme se produit entre les premières leçons et la fin

328 Alligier , op. cit.

329 On pensera également à l’article de Marry P. critiquant la « doctrine équestre » et sa

« pensée descriptive » définie par l’écuyer en chef du cadre noir dans les années 80 (Marry, 1988, p. 180).

330 Entretien n° 5.

331 Il s’agit de l’arrêté du 8 mai 1974 paru au B.O. n° 23 du 6 juin 1974.

332 Annexe de l’arrêté du 8 mai 1978, B.O. n° 9 du 6 mars 1975, p. 888.

333 Il s’agit de l’annexe de l’arrêté du 6 février 1987 paru au B.O. n° 5 du 18 mars 1987 portant sur le programme de l’examen final.

d’une seule année », note ainsi Lagoutte334. De plus en plus de voix s’élèvent et demandent qu’on démilitarise l’enseignement équestre335. Il devient urgent, pour un certain nombre de pédagogues, de proposer des modèles d’enseignement nouveaux et d’en finir avec « la force de l’autorité des anciens, le poids de la tradition et le manque d’ouverture sur d’autres savoirs »336.

Avec les années soixante et la progressive démocratisation de l’équitation, les méthodes pédagogiques vont se modifier. Elles vont devenir plus ludiques et se développer malgré les réticences de certains dirigeants qui y voient une baisse du niveau technique des pratiquants et critiquent des méthodes pédagogiques qui s’éloignent de plus en plus de la tradition équestre. Pour un de nos interviewés breveté d’Etat, si les dirigeants des sports équestres ont la volonté de développer leur sport, tout ça doit se faire « dans le respect de la tradition, de l’équitation traditionnelle, et pas forcement le développement pour le développement »337. C’est en partie grâce à la réforme pédagogique que les enseignants poney notamment vont parvenir à captiver un public jeune et à fidéliser toute une clientèle (Vérène Chevalier montre d’ailleurs que le public le plus fidèle est le public jeune âgé de 10 à 13 ans et le public féminin338) davantage intéressée par une pratique équestre ludique et très éloignée des enseignements rigides et stricts des militaires. C’est aussi l’avis d’une ancienne pratiquante, occupant aujourd’hui des fonctions bénévoles importantes à la fédération, qui nous exprime ses regrets que cette équitation fût de son temps trop « académique » et les cours trop

« rasants » : « quand on montait à cheval, fallait être maso, moi je sais que je suis montée avec des militaires, c’était l’engueulade permanente, « baissez vos talons, le regard lointain ! », des trucs contraignants ». Pour elle, tout ça, c’est fini. Aujourd’hui, « on peut bien monter et se faire plaisir »339. Cette réforme va permettre en partie le renouveau de l’équitation. La vulgarisation de la pratique

334 Lagoutte,op. cit., p. 221. Ce thème est aussi celui de Vérène Chevalier qui montre que ces phénomènes d’abandon sont toujours d’actualité (Chevalier, 1994 et 1996).

335 Ce sera le rôle notamment de Guerinière qui s’opposera aux « adjudants » (Lagoutte, op. cit., p. 221), de Pluvinel et de l’école de Versailles qui tenteront de sortir l’équitation du modèle militaire.

336 Lagoutte, op. cit., p. 222.

337 Entretien n° 2.

338 Chevalier, 1996.

339 Entretien n° 8.

équestre va attirer de plus en plus de nouveaux adeptes qui vont grossir le rang des licenciés fédéraux.

Ainsi, le courant cheval porte, dès sa naissance, tout le poids de la tradition et de l’histoire de l’équitation française. Ce poids très lourd le conduit à maintenir les valeurs sportives issues de l’ancienne fédération équestre, au risque de ne pouvoir s’adapter à un environnement qui va pourtant se transformer.

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