• Aucun résultat trouvé

Une confrontation de deux logiques de fonctionnement

Chapitre 2. La professionnalisation des dirigeants bénévoles de la FFE, du lien amateur au lien professionnel

3. La FFE : L’exemple d’un conflit culturel sous fond de professionnalisation des dirigeants

3.2. Une confrontation de deux logiques de fonctionnement

Au bout du compte, les dirigeants du poney et du tourisme sont davantage des professionnels qui opposent une culture managériale à ceux qui, peu diplômés dans le milieu équestre, n’ont eu comme seule référence culturelle qu’une référence de pratiquants et aussi de membres bénévoles occasionnels puis permanents. Les réponses à la question d’opinion posée dans notre questionnaire illustrent ces clivages entre les dirigeants équestres. Pour le dirigeant du cheval, la FFE est devenue « un organisme administratif et financier à son propre service », pour un autre, « un syndicat professionnel au détriment du sport dont 80 % des professionnels n’ont que faire ». Un autre dirigeant regrette qu’elle « devienne professionnelle et politique », soulignant la gravité de la situation. Dans un des questionnaires, on peut lire que « le fossé se creuse entre les trois délégations au détriment du haut niveau ». La fédération doit « rester une fédération sportive », insiste un questionné tandis qu’un autre s’emporte contre le « pouvoir décisionnel trop important des

salariés ». « La FFE subit l’influence des considérations commerciales et financières au détriment de l’éthique et de l’esprit sportif », commente encore un autre dirigeant. Les professionnels

« oublient la vraie mission de la fédération qui n’est pas d’être une société de service pour les clubs (…) mais d’organiser un enseignement de qualité et des compétitions respectant l’éthique sportive ». Une autre personne demande avec virulence « qu’on arrête la démagogie » et qu’on ne néglige pas le haut niveau « qui doit, par ses résultats, être le moteur de l’équitation ». « Un sport ne peut se développer que s’il produit des champions » affirme encore un autre membre tandis qu’on peut lire ailleurs qu’il faut une « séparation des licenciés pro et des licenciés amateurs ». Un autre encore relève la diversité des cultures particulières dont sont imprégnés les dirigeants et qui nuit à l’unité fédérale. Il faut se tourner vers l’avenir, préconise un président de CRE428 et « renforcer les liens entre les différentes familles ». On peut mesurer, à travers tous ces commentaires, la crainte exprimée par de nombreux dirigeants du mouvement cheval de voir la fédération perdre sa vocation sportive et compétitive au profit d’intérêts économiques et commerciaux à leurs yeux incompatibles avec l’esprit sportif. Les préoccupations des dirigeants du poney sont plus axées sur le sport loisir. L’un d’eux regrette une « politique trop sportive » qui ne prend pas suffisamment en compte « la dimension loisir » de l’activité. Un autre se félicite du rapprochement des délégations mais souhaite qu’on ne privilégie pas « le sport de haut niveau par rapport à la base ». Un président de CRE souhaite qu’on trouve « une médiane entre les différentes sensibilités », un autre propose d’attendre avant de juger. Un membre du tourisme met en garde contre les « vieux démons de la DNSE » et regrette une démarche trop hésitante. Un autre du même comité craint pour sa part qu’ « on se dirige vers une impasse » dès lors qu’on négligerait les professionnels qui apportent un grand nombre de licences. Pour un autre de nos interlocuteurs, ce sont « deux idées de fonctionnement en fait complètement différentes (…) et les problèmes d’entente, bien souvent, partent de petites choses de terrain comme ça, qui sont des vues différentes des choses qui amènent les différents protagonistes à vraiment ne pas pouvoir s’entendre et fonctionner ensemble »429.

428 Depuis la réforme fédérale de 1999, les comités régionaux d’équitation (CRE) remplacent les anciennes ligues et délégations régionales du cheval, du poney et du tourisme.

429 Entretien n° 2.

Il apparaît que le débat de fond porte sur un rapport de concurrence, dans un contexte de forte professionnalisation de l’organisation, alimentant une lutte de territoire et probablement de classe entre ceux qui entendent maintenir leur souveraineté et ceux qui prétendent la leur retirer. C’est d’un côté la logique associative défendant les valeurs sportives traditionnelles et de l’autre côté la logique économique suscitée par les nouvelles demandes des pratiquants. Ces deux logiques vont s’opposer et conduirent ceux qui les portent à développer des stratégies pour défendre leurs propres visions de l’équitation.

Conclusion

L’ensemble de l’étude ci-dessus exposée nous permet, en conclusion, de confirmer d’une part que la professionnalisation de la fédération est une réalité et concerne les dirigeants bénévoles et d’autre part que ce processus conduit à distinguer deux cultures identitaires bénévoles, celle professionnelle s’affirmant de plus en plus à coté de celle amateur traditionnelle (tableau ci-après). De notre point de vue, le mouvement cheval présente un système de fonctionnement fermé. Ses dirigeants nationaux, issus pour beaucoup des PCS les plus aisées, conçoivent leurs missions au sein de la fédération en fonction de la représentation qu’ils ont du milieu équestre et plus largement du milieu sportif. Dans leur vision coubertinienne du sport, ils ont la volonté de répondre à la demande des dirigeants de structures équestres qui, comme eux, sont des bénévoles pratiquants et ne considèrent essentiellement que leurs seuls licenciés. C’est la culture identitaire de l’amateur bénévole défendant les valeurs sportives et associatives traditionnelles. C’est celle du notable, du chef d’entreprise, de l’industriel, de la profession libérale (les plus représentés dans les anciennes ligues régionales) qui pratiquent en tant qu’amateurs et dirigent en tant que bénévoles dans le milieu équestre.

Ces dirigeants dénoncent un « lobbying interne » trop important et soulignent l’ambiguïté de la fédération qui « ne sait pas si sa mission doit être de défendre les intérêts des utilisateurs (cavaliers) ou ceux des exploitants ». Le lien de ces dirigeants bénévoles avec le milieu équestre est un lien amateur. A l’opposé, les dirigeants du poney et du tourisme équestre sont davantage attachés à une identité d’enseignants professionnels de l’équitation. En prenant davantage en compte les demandes des dirigeants d’établissement équestres commerciaux, ce qu’ils sont eux-mêmes, ils s’attachent aussi à répondre à la demande du public pratiquant intéressé par une activité sportive de loisir. Cette

culture identitaire du professionnel résulte de la rupture avec le modèle préexistant du dirigeant amateur. C’est celle de l’enseignant d’équitation, du directeur de société équestre qui, en accédant à des postes d’élus, acquièrent une légitimité jusque là contestée et parviennent à modifier la politique fédérale. Bénévoles de la fédération mais professionnels de l’équitation, ils tendent à transformer le modèle fédéral associatif en un modèle d’entreprise. Ils privilégient ainsi un système de fonctionnement ouvert sur le marché de l’équitation qui les fait vivre. Ils conçoivent d’autant mieux ce marché économique que celui-ci leur ouvre des perspectives d’ascension sociale. Ils tendent alors à transformer le modèle fédéral associatif en un modèle d’entreprise, où la politique fédérale ne peut être cantonnée à une politique du haut niveau mais doit être ouverte au secteur des loisirs sportifs. Dans un environnement fortement marqué par une demande de consommation sportive, les professionnels de l’équitation vont peu à peu accéder à des postes de dirigeants élus au sein des instances décisionnelles de la fédération et siéger à côté des dirigeants traditionnels jusqu’à parvenir à réellement influer sur la politique de la fédération. La rivalité entre ces deux catégories de bénévoles ainsi que le besoin de se différencier entre eux vont conduire les individus à marquer leur appartenance à tel ou tel groupe de référence. Cette distanciation alimentée par un besoin de distinction va opposer les groupes et en quelque sorte les catégories socioprofessionnelles voulant occuper les mêmes positions dans l’organisation. Il est très intéressant de noter que beaucoup de nos interviewés n’ont su précisément nous donner des raisons permettant d’expliquer l’opposition persistante entre les dirigeants du cheval et ceux du poney. Chaque fois que nous posions la question « mais alors, pourquoi ces conflits ? », beaucoup de nos interlocuteurs répondaient ne pas trop savoir « l’opposition, elle venait pas des clubs, elle vient de la direction (…) c’est là que ça ne marche pas »430. Toute notre étude a donc été de comprendre l’origine de ces conflits. Nous avons ainsi tenté de montrer que ces conflits trouvent une explication dans la crise identitaire que génère la professionnalisation de dirigeants bénévoles. Cette crise est aussi alimentée par les rapports de forces et de pouvoirs entre des dirigeants présentant des profils différents, certains ayant un lien amateur avec le milieu équestre et d’autres un lien professionnel.

430 Entretien n° 7.

Tableau n° 1 : Les cultures identitaires des dirigeants bénévoles de

L’histoire de la FFE est l’histoire de la construction d’une fédération devenue depuis l’une des premières fédérations sportives de France en nombre de licenciés. Les agitations internes qu’elle connaît encore actuellement, montrent que les crises ne sont toujours pas éteintes et que la cohabitation entre les cultures bénévoles reste difficile.

Pourtant, l’issue des conflits semble résider dans la capacité des dirigeants à reconstruire un projet fédérateur autour d’un modèle nouveau qui pourrait prendre la forme d’une « entreprise-associative »431. Cela traduirait un nouvel ordre fédéral entre culture associative et culture managériale, entre culture amateur et culture professionnelle et donnerait les moyens à la fédération de faire de sa diversité culturelle une force plutôt qu’une faiblesse.

431 Cf. infra quatrième partie.

Troisième partie

Etude de la Fédération Française de Tennis

Le tennis est, selon une enquête récente, l’un des sports les plus pratiqués par les Français432. Il est aussi l’un des plus appréciés433. La Fédération Française de Tennis (FFT) est chargée de son développement. Association régie par la loi de 1901 et délégataire d’une mission de service public par décision ministérielle, la FFT a pour mission de promouvoir, d'organiser et de développer le tennis en France, de diriger l'enseignement, l'entraînement, la compétition individuelle et par équipe et les championnats de France, de réunir les clubs affiliés, d'encourager et soutenir leurs efforts, de coordonner leurs activités. Elle représente la France par l'engagement de ses équipes nationales dans les grandes rencontres officielles (Coupe Davis, Fed Cup, Jeux Olympiques...) et assure l’organisation de grands tournois comme les Internationaux de France de Roland Garros et le « BNP Master’s Series »434 de Paris. La FFT, en 2003, c’est 1 065 000 licenciés dont 382 500 compétiteurs, c’est aussi 3 500 enseignants professionnels, 280 000 joueurs classés, 15 000 initiateurs de clubs et 33 400 courts435. Elle est administrée par près de 300 salariés permanents dont 80 pour le seul tournoi de Roland Garros auxquels il faut rajouter plus de 1 500 vacataires embauchés pendant la période des Internationaux de France. Elle se compose de 36 ligues, de 84 comités départementaux et de 9 100 clubs affiliés. Son assemblée générale comprend près de 200 délégués élisant les 45 membres du comité directeur et les 12 membres du bureau. Ses services fédéraux sont organisés autour de 5 directions selon 3 axes : un axe pour la technique, la formation, l'entraînement et la compétition avec les cadres techniques, un axe pour le développement, l'équipement et l'animation avec les conseillers en

432 L’enquête MJS/INSEP de juillet 2000 montre que le tennis est le 9ème sport le plus pratiqué par les Français âgés de 15 à 75 ans (3,6 millions de pratiquants) dont 32 % de femmes.

433 Selon une étude de la société de conseil « média Carat Sport » portant sur les sports auxquels les Français portent le plus d'intérêt (4068 enquêtes conduites d'avril à juillet 2001 auprès de personnes de 15 ans et plus), le football intéresse 43% des Français, le tennis arrive en deuxième position avec 35% de la population française intéressée (à égalité avec le patinage artistique). Le tennis devance notamment la natation (31%), la Formule 1 (30%), le cyclisme (27%), et l'athlétisme (27%).

434 Suite à l’arrêt du contrat entre la FFT et le groupe ISL, la BNP devient, à partir d’octobre 2002, le partenaire principal du tournoi qui prend désormais le nom de « BNP Master’s series ».

435 Informations tirées du site officiel de la FFT.

développement, enfin, un axe pour l'administration et la gestion avec les responsables administratifs. La FFT est née en 1888 sous le nom de « Commission de Lawn Tennis » rattachée à l’Union des Sociétés Françaises de Sports Athlétiques (USFSA). Ce n’est qu’en 1920 (au moment de la disparition de l’Union) que la commission prend le nom de « Fédération Française de Lawn Tennis » (FFLT) puis définitivement celui de « Fédération Française de Tennis » (FFT) en 1976. Comme beaucoup d’autres fédérations sportives, la FFT a connu une forte accélération du nombre de ses licenciés dans les années 60-80. Dans les années 75, il s’agit même d’un

« développement explosif »436. Depuis 1987 toutefois, la progression s’est stabilisée et le mouvement tennis connaît le même phénomène que connaissent la plupart des fédérations : une progression des licenciés beaucoup moins forte et une pratique qui se développe hors institution.

Pour aborder l’étude de cette fédération, il nous faut d’abord connaître son histoire et préciser les grandes étapes de son évolution. C’est ce que nous proposons de faire dans le premier chapitre. Notre intention est aussi de vérifier notre première hypothèse. En tentant d’élaborer un modèle de cycle de vie adapté à la fédération de tennis, nous souhaitons conduire notre démarche vers une réflexion sur sa professionnalisation et à travers cela, sur les formes qu’elle a pu prendre depuis que le tennis s’est institutionnalisé voilà plus d’un siècle. Cette analyse macro-sociologique constitue la première étape d’une étude qui s’intéressera davantage ensuite aux individus et aux groupes d’intérêt qu’ils constituent (chapitre 2).

Chapitre 1 : Histoire politique et institutionnelle de la fédération

Outline

Documents relatifs