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Stratégies et tensions entre groupes d’intérêt 308

Chapitre 1. L’histoire politique et institutionnelle de la fédération d’équitation

4. Les institutions équestres et le poids particulier de l’histoire L’histoire de l’institutionnalisation fédérale de l’équitation, que nous

4.2. Stratégies et tensions entre groupes d’intérêt 308

A partir de l’analyse des entretiens exploratoires, nous pouvons tenter une synthèse présentée ci-après et dont l’objectif est de mettre en évidence les zones principales de tension entre des courants équestres autonomes formant, au premier abord, des blocs relativement homogènes réunis en leur sein par une « solidarité d’intérêts »309. Il s’établit entre ces blocs des rapports de forces plus ou moins équilibrés à partir desquels se construisent les jeux de pouvoirs.

A ce stade de notre étude, les informations collectées par les recherches documentaires et les entretiens exploratoires nous conduisent à faire les propositions suivantes : Premièrement, il apparaît que la FFE détient, malgré les apparences, des pouvoirs étonnamment faibles (en tout cas jusqu’à ce que soient votés ces

306 Les haras nationaux ont pour mission de réglementer et de réguler l’élevage et les courses de chevaux.

307 Le GHN, créé en 1969 et dénommé depuis 1998 Fédération des Etablissements Equestres de France (FEEF), est avant tout un groupement professionnel, chargé de fédérer et représenter les établissements équestres de tous statuts juridiques. Il est composé des employeurs, des personnels de l’enseignement et des cadres gestionnaires (sources : Statuts adoptés le 4 décembre 1998 et site internet du GHN).

308 Pour rappel, Offerlé définit le groupe d’intérêts comme un collectif d’individus « par lesquels les « intéressés » sont rassemblées et « intéressés » à leurs intérêts » (Offerlé, 1998, p. 44).

309 Nous avons emprunté cette expression à Max Weber (1921) 1971, p. 347.

nouveaux statuts en 1999) la rendant peu capable de construire une politique fédérale unitaire. Plus encore, il semble justifié de dire que la FFE, jusqu’en 1999, c’est essentiellement la DNSE, c’est essentiellement le courant cheval tant ce dernier apparaît occuper (tout au moins au début) une place hégémonique au sein de la fédération.

Deuxièmement, pour le courant du tourisme équestre, sa position reste marginale et, semble-t-il, voulue comme telle par ses représentants.

Elle fait partie institutionnellement de la FFE mais semble marquer son peu d’intérêt à ce qui se passe. De ce fait, elle ne nous intéresse que peu partant du fait qu’elle joue un rôle à priori mineur dans les conflits qui vont secouer régulièrement la fédération. Restent, troisièmement, les deux autres courants de l’équitation qui, au vu des entretiens exploratoires, vont retenir toute notre attention. Les forces en présence vont rechercher soit la centralisation, soit la décentralisation des pouvoirs selon les intérêts des acteurs en présence. Il nous semble que la stratégie des dirigeants du cheval va viser davantage à rechercher la fusion tant qu’ils sont majoritaires dans la fédération en appuyant leurs arguments sur les dispositions du législateur. Le développement du sport loisir les oblige à accélérer cette fusion fédérale car le facteur temps est en leur défaveur. Puis, face à l’impossibilité de parvenir à la fusion des composantes, il semble que le pouvoir, déjà fortement représenté au niveau régional, se soit renforcé plus encore au sein des anciennes ligues cheval représentant la tradition sportive. Ce processus de décentralisation trouve une légitimité, aux dires de ceux qui le revendiquent, par le besoin de se rapprocher des préoccupations des clubs et de leurs licenciés, par le besoin aussi de s’opposer à la logique économique que défendent les dirigeants du poney. A l’opposé, la stratégie des dirigeants poney va consister à développer la professionnalisation de l’activité équestre en encourageant l’adhésion des structures commerciales et en préférant « jouer la montre ». Ses dirigeants affirment leur légitimité à représenter une grande partie des pratiquants de loisirs équestres, pour qui la compétition n’est pas une priorité essentielle et encore moins une finalité. L’évolution des licences leur garantit une représentation de plus en plus forte dans les instances nationales et incite les dirigeants du poney à retarder le plus longtemps possible la fusion. La figure ci-après est une représentation simplifiée des relations existant entre les composantes de la fédération. Si le courant cheval développe plutôt une stratégie de la fusion tant qu’il est majoritaire, le courant poney opte avant tout pour une stratégie de la croissance par la reconnaissance des professionnels.

Quant au courant tourisme, il préfère la stratégie de la non participation en cultivant sa différence.

Figure n° 5 : Les stratégies et tensions entre les trois courants équestres

FFE

Axe fort FFE/courant cheval (jusqu’en 1999)

Courant cheval

Stratégie de la fusion

Zone de tension

très forte

Courant poney

Stratégie de la croissance

Courant tourisme

Stratégie de la non participation

Zone de tension faible

Rapports de forces importants Rapports de forces faibles

Ainsi, quelles que soient les stratégies imaginées par les différents acteurs du monde équestre, il semble bien que le débat de fond se soit établi sur un rapport de concurrence alimentant une lutte de pouvoir et probablement de territoire entre ceux qui entendent maintenir leur souveraineté et ceux qui prétendent la leur retirer. Comme semble

nous le confirmer un des personnes que nous avons interviewées ,

« quand deux animaux mangent dans le même râtelier, y a toujours un dominant et un dominé, c’est une loi de la nature (…) à partir du moment où les prestations s’adressent à un même public, donc y en a un qui essaye de raboter l’autre »310. Nous pouvons penser que les conflits vont s’alimenter de la confrontation entre une logique associative défendant les valeurs sportives traditionnelles et une logique économique suscitée par les nouvelles demandes sociales et marchandes des pratiquants. C’est cette confrontation entre deux visions différentes, voire deux cultures différentes (car il semble que ceux qui les incarnent n’ont, à priori, que peu de ressemblance) dans un contexte qui voit une forte professionnalisation des institutions fédérales qui va retenir notre attention et nous permettre de construire nos entretiens principaux. Il s’agit maintenant de s’intéresser aux différents groupes d’intérêt et mieux connaître les acteurs qui les composent. Peut-on légitimement, sans tomber dans une vision manichéenne et réductrice, opposer les anciens et les nouveaux, les puristes et les marchands, les traditionalistes et les modernistes ? Y voit-on là la simple confrontation entre un sport élitiste aristocratique et militaire et un sport loisir produit par l’ère de la consommation de masse ? L’opposition sur fond de professionnalisation de groupes culturellement différents et aux intérêts non concordants traduit-elle l’affirmation progressive du modèle entrepreneurial sur le modèle associatif dans le sport ?

C’est dans le chapitre suivant de notre étude que nous allons essayer de répondre à ces questions. Par une approche beaucoup plus individualiste, notre intention va être maintenant de porter notre regard sur ces groupes d’acteurs qui ont été partie prenante dans cette période récente de l’histoire de l’équitation et de tenter de comprendre les raisons de leurs querelles. Il nous faut analyser leurs motivations, leurs intérêts en jeu au sein de leur délégation d’appartenance et les stratégies qu’ils ont mobilisées pour affirmer la légitimité des pouvoirs qu’ils ont exercés au sommet de la fédération. Notre prochaine étape va chercher à mieux connaître les trois courants équestres qui composent la fédération et, à travers les profils et caractéristiques de leurs dirigeants bénévoles, de mieux cerner les raisons des conflits qui ont caractérisé les rapports entre ces derniers.

310 Entretien n° 9.

Chapitre 2. La professionnalisation des dirigeants bénévoles de la

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