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Une identité de pratiquants amateurs en équitation

Chapitre 2. La professionnalisation des dirigeants bénévoles de la FFE, du lien amateur au lien professionnel

1. De l’amateurisme au bénévolat, une trajectoire identitaire conforme des dirigeants du cheval

1.5. Une identité de pratiquants amateurs en équitation

L’analyse des questionnaires montre que les présidents de ligue issus du mouvement cheval sont à près de 90 % des pratiquants ou d’anciens pratiquants (comme le sont d’ailleurs bon nombre de dirigeants cheval). En revanche, la plupart reconnaît ne pas être ou avoir été enseignant d’équitation (ils sont 83 % et on obtient, pour l’ensemble du groupe des dirigeants cheval, des non enseignants à 64 %), ni détenir de diplôme d’Etat d’équitation (67 %). De plus, parmi ceux qui néanmoins sont diplômés, très peu en définitive déclarent avoir fait un usage professionnel de leurs diplômes. Au bout du compte, sur les 18 anciens présidents de ligue de la délégation cheval qui nous ont répondu, un seul détient un diplôme d’Etat d’équitation dont il aurait fait un usage professionnel. Une autre caractéristique mérite notre attention, il s’agit des liens de parenté qui peuvent expliquer en partie l’investissement des présidents de ligue.

383 Entretien n° 5.

Le fait que leurs enfants ou petits-enfants pratiquent ou aient pratiqué un sport équestre peut ou a pu inciter ces retraités à s’investir au sein de l’institution fédérale. C’est pourquoi nous les avons interrogés sur ce point. Il apparaît que, de tous les dirigeants équestres, ce sont les anciens présidents de ligue cheval qui ont le plus de liens de parenté dans le milieu équestre. Ils sont près de 78 % à avoir eu au moins un membre de leur famille pratiquant une activité équestre. Cette parentèle, pour la plupart d’entre eux, est celle de leur épouse mais aussi et surtout celle de leurs enfants ou petits-enfants. Il semble donc, et nos entretiens tendent à le confirmer, que les motivations de l’engagement des présidents de ligue dans des postes nationaux aient pu venir à la fois de leur passé de pratiquants et de responsables bénévoles élus d’associations équestres et à la fois aussi du passé de pratiquant de leurs enfants ou petits-enfants qui, en faisant de l’équitation, les ont incités (en quelque sorte par procuration) à s’investir dans des postes fédéraux de direction.

Dès lors, à partir des données que nous avons pu recueillir, il est possible d’ébaucher une sorte de profil des dirigeants du courant cheval et en particulier des anciens présidents des ligues de la délégation cheval. Les dirigeants du courant cheval sont des hommes âgés de 40 à 69 ans. De niveau scolaire élevé, ils sont des chefs d’entreprise ou des directeurs de centre équestre. Pratiquants réguliers de CCE (concours complets), CSO (concours de sauts d’obstacles) et dressage, ils ne possèdent pas le diplôme d’Etat sportif en équitation.

De ce fait, ils ont peu enseigné. S’ils ne sont pas en général des professionnels de l’équitation, ils ont des liens de parenté forts dans le milieu équestre qui peuvent expliquer leur investissement bénévole comme gestionnaires élus dans des centres équestres puis à la fédération d’équitation. Quant aux anciens présidents de ligue réunis au sein d’un collège, ils constituent un groupe identitaire très homogène par leur culture, par leur situation sociale. Ils sont des retraités se consacrant à temps plein à leurs missions de bénévole.

Leur lien avec l’activité équestre apparaît davantage être un lien de sociabilité dans la mesure où il permet à ces retraités de maintenir un tissu de relations sociales entre personnes partageant un même style de vie. Cette tendance fréquente qu’a l’homme à se rapprocher de ceux qui lui ressemblent et à se méfier de ceux qui sont à ses yeux différents, explique que les individus se soient regroupés au sein d’organisations plus ou moins homogènes. Plus ces groupes sont socialement homogènes et plus ils sont stables et durables. Plus les stratégies de ces groupes servent celles des membres qui les

composent et plus ces groupes présentent une forte cohésion. Cette homogénéisation peut expliquer, comme l’écrit Pierre Bourdieu, la stabilité des pouvoirs exercés par ces groupes et une tendance naturelle à maintenir une logique de reproduction des privilèges acquis. Cette pérennisation d’un pouvoir fort qui caractérise particulièrement bien les anciens présidents de ligue réunis en Collège vient du fait qu’ils sont tous issus des catégories socioprofessionnelles supérieures. Ils veulent assurer le maintien de leur souveraineté et développer des stratégies conformes à la logique associative à laquelle ils sont pour la plupart attachés. Cela suppose un contrôle majoritaire des processus de prise de décision au sein de la fédération nationale et donc un allié fidèle en la personne du président, représentant la fédération auprès des pouvoirs publics (on ne peut qu’être étonné de voir comment certains présidents de la fédération ont pu être placés à la tête de cette dernière en étant entrés dans la délégation cheval quelques mois plus tôt et comment certains d’entre eux ont pu être conduits à la démission dès lors qu’ils entraient en conflit avec les présidents de ligue). Il ne fait guère de doute que, dans ces jeux de pouvoir, les présidents des ligues des sports équestres à cheval réunis en collège vont jouer un rôle essentiel en tant que pouvoir dominant puis contre pouvoir puissant capable d’influer fortement sur les choix politiques fédéraux. Pour cela, ils vont rechercher à concentrer leurs pouvoirs au sein de la délégation cheval et à prôner la fusion des trois composantes (nous avons vu comment les modifications statutaires de 1987 et 1991 ont pu conforter notablement leurs positions). Menaçant maintes fois de quitter la FFE s’ils n’obtiennent pas gain de cause, menaçant de couper les vivres de la FFE dont la manne financière dépend en grande partie de la délégation des sports équestres (c’est quand même cette délégation qui détient massivement à ce moment le pouvoir financier), les dirigeants de la délégation vont longtemps alimenter l’incertitude sur le devenir de la fédération. Leur stratégie est d’abord celle de la fusion car, étant toujours majoritaires par le jeu démocratique (même en 1998, ils représentent encore 57,5 % des licenciés de la FFE), la mise en conformité de la fédération avec la loi sur le sport leur permet en définitive d’absorber les composantes poney et tourisme. Lorsqu’ils vont se rendre compte que le mouvement poney comptabilise de plus en plus de licenciés et gagne chaque année des voix supplémentaires à la fédération, ils vont accentuer la décentralisation régionale de leur délégation, accroître le contrôle financier des ligues pour, expliquent-ils, qu’elles soient plus proches et plus à l’écoute de leurs licenciés. C’est que leur légitimité est de plus en plus contestée. Comment peuvent-ils prétendre diriger

seuls une fédération qui regroupe de plus en plus de professionnels ? Sont-ils toujours autant représentatifs des licenciés équestres ? Le mode de fonctionnement associatif de la délégation cheval relativement fermé puisqu’il tend à ne considérer que les seuls licenciés fédéraux, a l’inconvénient de ne pas prendre en compte l’ensemble des pratiquants équestres (on compte 500 000 licenciés et 1 million de pratiquants pour la plupart recensés dans les structures équestres disposant des moyens nécessaires à l’entretien des chevaux).

Il semble établi que la position occupée à ce moment ou auparavant par les dirigeants de la délégation cheval et notamment par les présidents de ligue va à certaines occasions faciliter certaines de leurs démarches dans l’espace politique et financier. Ne sont-ils pas issus des catégories socioprofessionnelles que Pierre Bourdieu dans son

« Espace des positions sociales » range dans la sphère du pouvoir ? Ils cumulent à la fois un capital économique élevé (c’est le cas des chefs d’entreprise et de ceux exerçant des professions libérales), un capital culturel important (leur niveau scolaire notamment est élevé), un capital symbolique dans la mesure où ils se positionnent comme les héritiers de la tradition équestre et les gardiens des valeurs sportives, enfin un capital social puisqu’il semble bien que les anciens chefs d’entreprise vont recourir à leur réseau étendu notamment au milieu industriel (c’est le cas de ce président de ligue qui m’explique comment il a pu obtenir un prêt bancaire important grâce à sa position d’ancien chef d’entreprise et aux liens de confiance qu’il a pu établir avec certains banquiers). Pourtant, malgré cette homogénéité qui leur garantit une forte stabilité, ces présidents de ligue vont être peu à peu obligés de prendre en compte les dirigeants poney alors en pleine ascension et présentant un profil bien différent du leur. C’est ce que nous proposons de voir dès à présent.

2. Du professionnalisme au bénévolat, une trajectoire identitaire

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