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Oui à la professionnalisation mais sous contrôle renforcé des ligues

2. Entre régionalisation et professionnalisation, un pouvoir partagé

2.3. Oui à la professionnalisation mais sous contrôle renforcé des ligues

Encouragé par son succès si attendu, Philippe Chatrier annonce son intention de changer l’équipe dirigeante de la fédération nationale.

« La réforme à accomplir est simple, écrit-il, il faut changer les quelques hommes qui prétendent depuis si longtemps faire de notre tennis une affaire personnelle sous le prétexte qu’ils ont beaucoup de temps à lui consacrer »492. Ces quelques hommes, dont parle Chatrier, sont en place depuis longtemps. Plus de la moitié au moins cumule les mandats sur les trois dernières Olympiades. L’attitude de la fédération française (lors du bras de fer entre la fédération anglaise et la fédération internationale) ayant irrité un certain nombre de dirigeants français, ces derniers en appellent désormais à une nouvelle politique fédérale et rassemblent, derrière Philippe Chatrier, une équipe de campagne. On compte parmi eux beaucoup de présidents de ligue dont à leur tête le président de la première région de province, la Normandie. Beaucoup de ces présidents entament alors un premier mandat et constituent la nouvelle génération des dirigeants « qui ne comprennent rien aux jeux surannés de la politique fédérale »493. Il y a également des professionnels écartés par les dirigeants en place à la fédération (c’est le cas notamment de l’ancien capitaine de l’équipe de

491 Chatrier P., «Les portes qui ne se refermeront plus », Tennis de France, n° 180, avril 1968, p. 3.

492 Chatrier P., « Le changement nécessaire », Tennis de France, n° 182, juin 1968, p. 5 -7.

493 Editorial de Paul Haedens, « Le « come back » de Marcel Bernard », Tennis de France, n° 188, décembre 1968, p. 13.

France de Coupe Davis). Leur programme politique énonce quelques grandes orientations devant permettre une augmentation substantielle des courts de tennis et des enseignants professionnels, une modernisation de la fédération, une décentralisation des pouvoirs en direction des régions « en donnant aux ligues régionales une grande autonomie »494 ou encore un développement de la politique sportive de haut niveau en s’en remettant « à la compétition la plus dure pour former des champions »495. Ils affichent leur intention de laisser les pleins pouvoirs au comité de direction pour qu’il traite des problèmes de politique sportive avec l’appui de quelques joueurs nationaux (dès son élection, il se réunira tous les deux mois et le bureau chaque semaine). Ils vont multiplier les rencontres avec les acteurs locaux pour expliquer leurs intentions et vont recueillir l’approbation de 21 présidents de ligue sur les 23 que compte la fédération (seules les ligues de Paris et de Bourgogne marquent leur désaccord). La préparation des élections prévues pour le 7 décembre 1968 est menée tambours battant. Pour Chatrier et ses proches, « il reste six mois pour accomplir la révolution » !496. C’est là que tout va se jouer. C’est là aussi que la nouvelle équipe conduite par Chatrier va remporter son premier grand succès. Le président sortant ne souhaitant pas se représenter, la voie est ouverte. La veille de l’assemblée générale, la plupart des présidents de ligue se réunissent et décident d’appuyer l’équipe de Chatrier. « Jeunes pour la plupart, les nouveaux présidents de ligue votèrent pour les jeunes », écrira plus tard Alain Bernard497. Chatrier et les siens sont élus avec une confortable majorité. Conformément à leurs intentions, c’est un ancien sportif de haut niveau, Marcel Bernard (vainqueur des Internationaux de France en 1946), qui est élu président de la fédération par 426 voix pour, 21 contre et 112 bulletins nuls. Après son éviction un an plus tôt, il est de retour sur la plus haute marche de l’organisation fédérale. Philippe Chatrier devient l’un des trois vice-présidents et pour éviter toute ambiguïté, il se retire du journal qu’il avait créé quinze années plus tôt. Au total, le comité de direction compte 28 membres dont 4 femmes et une moyenne d’âge en dessous des 50 ans plus jeune que précédemment. La nouvelle direction compte des délégués de 17 régions mais la région de Paris reste encore majoritaire avec 7

494 Politique générale présentée par Paul Haedens « Pour une fédération neuve », Tennis de France, n° 187, novembre 1968, p. 11.

495 Ibid.

496 Chatrier P., «Le changement nécessaire », Tennis de France, n° 182, juin 1968, p. 7.

497 Bernard A., « La FFLT a 50 ans », Tennis de France, n° 207, juillet 1970, p. 12.

délégués. La fin de l’année 68 particulièrement agitée pour le pays va être le point de départ d’une rénovation en profondeur des instances fédérales du tennis. Pourtant, les débuts sont difficiles notamment sur le plan sportif. Cumulant les charges de vice-président et de capitaine de l’équipe de France (après la démission rapide de son prédécesseur), Chatrier doit essuyer les défaites successives de son équipe en Coupe Davis battue à la surprise générale par les Yougoslaves puis ensuite par les Espagnols. Déjà, certaines critiques émanent de dirigeants de clubs qui se plaignent de « l’emprise fiscale, paperassière et autoritaire de la FFLT »498. A l’issue de son mandat, le président de la FFLT, Bernard, peut néanmoins afficher un bilan positif. Pourtant, il ne souhaite pas se représenter, évoquant « les raisons d’ordre professionnel et familial qui lui interdisent de continuer à assumer la charge de président de la fédération »499. Deux listes sont candidates pour la présidence. Elles incarnent deux conceptions opposées du tennis. A leur tête, ce sont « deux personnages, deux styles, deux conceptions, deux générations »500 qui vont s’affronter. La liste soutenue par la ligue de Paris conteste « l’idée du profit provenant du sport »501 et s’oppose à ce que le tennis puisse tomber entre les mains des « marchands ». La liste conduite par Philippe Chatrier, dont les positions pour la professionnalisation du tennis ont toujours été affichées, rappelle la nécessité de contrôler l’argent du sport sans nier son existence. C’est cette liste qui remporte les élections. Sur proposition du nouveau comité directeur comprenant 27 membres, l’assemblée générale désigne Philippe Chatrier, par 513 voix pour et 73 contre, pour occuper le siège de président de la fédération.

Quelques années plus tard, la ligue de Paris (elle comptabilise alors 100 000 licenciés502) est découpée en sept nouvelles ligues réduisant considérablement son poids et celui de son président. Commence alors pour Philippe Chatrier une nouvelle ère qui va durer deux décennies.

Philippe Chatrier va présider la FFLT de 1972 à 1993. Pour chacun de ses mandats, il obtient une majorité confortable et les oppositions au sein même de la fédération restent faibles. Aussitôt élu, il s’attache à rénover la fédération. Le nouveau comité directeur crée des groupes d’étude chargés de réfléchir à la modernisation de l’institution. Les réformes portent sur l’administration, l’équipement ou encore la

498 Haedens P., Editorial « Un œil neuf », Tennis de France, n° 194, juin 1969, p. 13.

499 Extrait du procès verbal de l’assemblée générale du 16 décembre 1972 (archives fédérales).

500 Ibid.

501 Ibid.

502 Voir le journal officiel de la FFT n° 28, 1976, P. 2.

formation et l’enseignement. Les pouvoirs du comité de direction sont renforcés. Aux membres siégeant au comité viennent s’ajouter des représentants des joueurs professionnels chargés de donner leur avis.

Outre l’informatisation des classements et l’amélioration des procédures administratives, le comité s’engage dans un processus de décentralisation des pouvoirs vers les ligues régionales. Le nombre de comités départementaux est augmenté pour renforcer les missions des présidents de ligue et des postes régionaux de cadres administratifs et techniques sont financés pour appuyer le nouveau dispositif. La fédération, déclare son président, doit porter ses efforts sur « le renforcement des pouvoirs des ligues régionales »503. Pour Chatrier, il faut que le pouvoir descende du siège national vers les régions, il faut augmenter leurs capacités d’action, pour que les présidents de ligue (ce sont eux qui l’ont élu) soient « les interlocuteurs directs (…) les patrons des régions »504. Pour cela, il procède à une forte augmentation du budget des régions. Suite à la décision d’augmenter la part des ligues sur les recettes des licences (le montant global des recettes devant être partagé à part égale entre les ligues et le siège fédéral), les ligues voient leur budget global croître entre 1981 et 1982 de près de 10 millions de francs, en raison également de l’augmentation du prix de la licence (celle-ci passe en effet à partir du 1er novembre 1981 de 40 à 50 francs pour les adultes et de 20 à 25 francs pour les jeunes). Entre 1981 et 1986, l’augmentation du budget régional dépasse les 500 %. En comparaison, le budget de la fédération croît sur cette même période de 347 %. Le compte-rendu de l’assemblée générale du 10 janvier 1981 montre d’une part la répartition en part égale des recettes de licences entre le siège fédéral et les ligues à compter de l’exercice 1982 et d’autre part la croissance importante des recettes due à l’augmentation régulière du prix des licences entre 1982 et 1986. Le président de la FFLT en profite également pour clarifier le rôle des bénévoles qui sont, explique-t-il, chargés de définir les grandes lignes de la politique fédérale tandis que les administratifs, cadres et employés, sont eux chargés de l’exécution des décisions votées par les élus. Reconnaissant la professionnalisation et la montée de l’argent dans le tennis, son souci est en même temps de protéger le tennis pour qu’il ne tombe pas sous le contrôle des groupes d’intérêt économiques. Pour cela, il veut

503 Article « Tennis : plan de quatre ans pour renforcer les ligues régionales et augmenter le nombre de terrains couverts », La dépêche du midi du 15 mars 1973 (archives fédérales).

504 Ibid.

renforcer le pouvoir des dirigeants élus et réaffirmer le rôle prépondérant de la fédération dans le contrôle du tennis et de son évolution. La nouvelle équipe restructure les procédures administratives. Une association chargée d’aider les associations locales à financer de nouveaux équipements est créée en 1975 ; c’est l’Association pour le développement de tennis (ADT). Dans la foulée de l’immense succès des Internationaux de France, le stade de Rolland Garros est étendu. Les travaux d’agrandissement et de rénovation, qui dureront jusqu’en 1992, vont contribuer à amplifier le rayonnement mondial de ce lieu mythique. Avec l’aide de l’Etat (dont les contributions atteignent près de deux cents millions de francs sur dix ans), la fédération peut en 1990 se vanter d’avoir multiplié par six le nombre de ses courts de tennis (en 1970, on comptait 5 500 courts, en 1990, il y en aura plus de 33 500). En matière d’enseignement, la politique fédérale entend développer de front sport de masse et sport de haut niveau, car « l’un ne va pas sans l’autre »505. Des écoles de tennis se multiplient, un lycée sport-études ouvre ses portes en 1970 à Nice. Jean-paul Loth est nommé directeur technique national en 1976 et bénéficie d’une marge de manœuvre confortable pour développer la politique de haut niveau. Une politique de formation va permettre également d’accroître le nombre d’enseignants professionnels. Ceux titulaires d’un brevet d’Etat passent de 345 en 1968 à 821 en 1975 et les brevetés fédéraux de 230 à 3 200 sur la même période.

Comme nous avons eu l’occasion de le souligner, l’histoire politique de la fédération montre maintes fois, lors de votes déterminants en assemblée générale, l’importance des présidents de ligue. C’est le cas lors de l’élection de Marcel Bernard en 1968 puis de Philippe Chatrier en 1972. De la même manière, lors des élections de 1997, le candidat à sa réélection et lui-même ancien président de ligue doit en partie son maintien à la présidence grâce à l’appui d’une majorité de ligues.

L’équipe qui se met en place en 1972, bien que favorable au tennis professionnel, affiche toutefois son souci de le contrôler et tend notamment à renforcer le pouvoir de la fédération et de ses ligues. Les statuts actuels, votés par l’assemblée générale de la FFT les 1er et 2 février 1997, confirment le rôle primordial des ligues dans le processus d’élection des membres de l’assemblée générale et du comité directeur de la fédération. Ils nous renseignent notamment sur la composition de l’assemblée générale de la fédération. Celle-ci « se

505 Extrait de l’article de Laborderie R., « Tennis : Chatrier en quête de techniciens professionnels » Le Parisien Libéré, 20 décembre 1972.

compose de représentants des groupements sportifs (…) à raison d’une délégation par ligue. Ils sont élus par l’assemblée générale de la ligue »506. Chaque ligue, peut-on lire dans les statuts, « constitue l’unité administrative de la fédération. Elle bénéficie, à ce titre, d’une gestion autonome »507. Chaque délégation de ligue comprend à la fois des délégués issus directement de cette ligue (trois au total dont le président) et des délégués issus directement des comités départementaux (à raison d’un représentant par comité départemental).

Quant aux nombre de voix que représente l’ensemble des membres des délégations de ligue (ce nombre est proportionnel au nombre de licences détenues par chaque ligue), les 3/5e sont attribués aux trois délégués de ligue répartis en trois parts égales et les 2/5e restant sont attribués aux délégués des comités départementaux.

De ce fait, les ligues restent majoritaires en nombre de voix dans chaque délégation composant l’assemblée générale de la FFT. Ce sont les membres siégeant à l’assemblée générale qui élisent à scrutin secret ceux qui constituent le comité de direction. Ce dernier comptabilise 45 sièges, mais un petit nombre d’entre eux est réservé à des représentants de certaines catégories ; on compte les représentants des femmes (4 sièges), les représentants corporatifs (2 sièges), les représentants des sportifs de haut niveau (2 sièges) et un représentant des éducateurs sportifs. Il en découle des statuts que l’assemblée générale et à fortiori le comité directeur de la FFT sont composés en majorité de membres siégeant dans les ligues dont les présidents de ligue. En fait, cette représentation des présidents de ligue devient forte dès l’arrivée de Philippe Chatrier à la tête de la fédération. Elle ne fera que s’amplifier depuis. C’est d’ailleurs ce que rapporte le magazine Tennis info de 1979 quand il écrit que « les assemblées générales des fédérations sportives ne sont guère animées qu’une fois tous les quatre ans, c’est-à-dire l’année des élections »508. La raison évoquée est que ceux qui siègent à l’assemblée générale sont les mêmes que ceux qui siègent au comité de direction, c’est-à-dire les présidents de ligue et leurs proches : « l’assemblée générale est le reflet strict du comité de direction dont sont membres, en fait, 28 présidents de ligue sur 30, étant entendu que les deux présidents de ligue non membres assistent avec voix consultative aux séances du comité de direction.

(…) Il va de soi qu’un président de ligue, lui-même véritable

506 Article 9 des statuts de la fédération du 1er et 2 février 1997 (et modifiés les 15 et 16 février 2000).

507 Article 7 du règlement administratif de 1997.

508 Tennis info n° 5 du 1er février 1979.

administrateur de sa ligue, ne va pas avoir deux attitudes, l’une au comité de direction, l’autre à l’assemblée (ni) que les deux assesseurs d’un président de ligue votent différemment de leur président »509. Ainsi, si les présidents de ligue occupent 16 % des sièges au comité directeur de la fédération en 1922, ils en occupent 37 % en 1973 et 74 % en 1977. Depuis, le pourcentage de sièges détenus par les présidents de ligue au comité directeur de la fédération se situe entre 64 % et 71 %. Ainsi, le rôle des présidents de régions est essentiel dans la vie fédérale. Ils sont chargés de représenter la fédération dans toutes les régions de France, mais le nombre de licenciés, que chacun d’entre eux peut se prévaloir de détenir, conditionne également leur poids politique dans l’institution fédérale.

Au final, l’année 1968, c’est la rupture dans la gestion administrative et politique de la fédération. Une équipe nouvelle prend les rênes du pouvoir, elle se compose pour beaucoup de jeunes présidents de ligue qui veulent renforcer la régionalisation des pouvoirs contre le centralisme parisien. Après s’être battu pour la professionnalisation de leur sport, ses nouveaux dirigeants veulent en limiter maintenant la portée pour mieux la contrôler. Ils veulent également limiter la centralisation bureaucratique et être plus proches des associations locales. La fédération va modifier son fonctionnement et ses statuts pour tendre vers plus de décentralisation régionale. Nous y voyons là les caractéristiques de notre deuxième état avancé du cycle de vie fédéral où l’organisation sportive, trop centralisée et trop éloignée de sa base, va tendre vers la forme d’une bureaucratie de plus en plus décentralisée et concentrée à son niveau régional. Cette décentralisation aujourd’hui est bien établie et consacre aux ligues ce rôle d’ « éminence grise » dont parle un de nos interviewés : « On est déjà très décentralisé à partir du moment où nous sommes 36 ligues et autant de départements qu’il y en a dans la France, des ligues qui ont leur autonomie, on leur demande, et c’est un peu le problème dans le cadre des actions fédérales justement qui sont votées, que les ligues répercutent les actions fédérales pour qu’elles aillent dans les départements et dans les clubs, c’est les clubs qui mettent en place les actions fédérales, pas les ligues. Les ligues, c’est l’éminence grise de la fédération, une fois que c’est voté ici, elles doivent permettre dans les clubs ces actions fédérales510. Cette régionalisation des compétences apparaît d’autant plus importante pour la fédération que

509 Ibid.

510 Entretien n° 14.

les revenus des joueurs professionnels, dont les intérêts sont défendus par l’ATP (cf. infra), vont exploser. Les grands tournois « open » vont être de mieux en mieux dotés en prix. Face à une professionnalisation rapide du tennis, l’organisation fédérale tente de garder le contrôle du sport de compétition et s’oppose de plus en plus ouvertement aux investisseurs et organisateurs commerciaux de tournois privés qui veulent concurrencer l’institution fédérale et mettre à mal son pouvoir.

2.4. Les groupes d’intérêt économiques dans le tennis ou les revers

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