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Chapitre 3. Essai de détermination d’un modèle de cycle de vie des organisations sportives fédérales

5. Vers un nouvel ordre sportif fédéral ?

« La place de l’organisation, écrit Ballé, est indissociable des transformations qui ont modelé le monde contemporain »185. Avec la révolution industrielle et la naissance des grandes organisations bureaucratiques et industrielles, les pensées les plus diverses vont tenter de trouver une explication à l’extraordinaire complexité des rapports humains au sein de ces organisations intégrées dans la société. Ces organisations vivent régulièrement et de manière plus ou moins tragique des conflits, des tensions entre des groupes d’intérêt, mais malgré cela, la plupart continue d’exister, les membres qui les constituent continuent à collaborer et se développer. Comme le rappelle Rocher, « ce qui devrait nous étonner, ce n’est pas qu’il y ait des conflits et des luttes, mais bien plutôt qu’un certain ordre subsiste au-delà de toutes les causes de désorganisation de l’action

185 Ballé, 1990, p. 7.

individuelle et collective »186. Alors quel est cet ordre et dans le domaine qui nous intéresse, est-il amené à se transformer et à se professionnaliser ? La professionnalisation ne va-t-elle pas remettre en cause durablement cette « cléricature sportive » 187 dont parlent Ramanantsoa et Thiéry-Baslé quand ils comparent l’organisation sportive fédérale à une « véritable Eglise moralisatrice et disciplinaire »188 ? Peut-on penser que la professionnalisation est susceptible de diversifier les cultures identitaires des détenteurs du pouvoir et de favoriser au bout du compte un nouvel ordre sportif plus prompt à conjuguer avec la logique d’entreprise et la dimension économique du sport ? Pour répondre à nos questions, nous devons connaître ces dirigeants qui s’investissent et tenter de comprendre leurs motivations. Forment-il, comme le pensent Loirand et Suaud,

« une administration de notables »189 créant les conditions de l’immutabilité de leur ethos de classe »190 ? Que dire quand un rapport parlementaire souligne que « la sociologie des responsables d’associations sportives ne reflète pas celle de l’ensemble de la population » puisque les cadres et professions supérieures et intermédiaires y sont surreprésentés191 ? Cela revient à considérer l’espace fédéral comme n’importe quel autre espace social. Il est un lieu où s’exercent certes la passion du sport mais aussi les pouvoirs et les rapports de domination entre groupes d’intérêt soumis aux évolutions de l’environnement et du marché. Il s’organise autour d’une structure politique fortement hiérarchisée et ordonnée qui n’est en somme qu’un des miroirs de la société des hommes.

186 Rocher, 1972, p. 51.

187 Ramanantsoa et Thiéry-Baslé, op. cit., p. 198.

188 Ibid., p. 243.

189 Loirand, 2001, p. 278.

190 Suaud, 1996, p. 30.

191 Le rapport Asensi, « Rapport et propositions pour une réforme des statuts des fédérations sportives », avril 2000, p. 28. Sur les 1,5 millions de bénévoles qui s’investissent dans les 170 000 associations sportives, le rapport mentionne que 32 % sont des simples adhérents, 52 % sont des participants actifs et seulement 16 % exercent des responsabilités importantes. Parmi ces derniers, certaines PCS sont surreprésentées et d’autres sont sousreprésentées. Ainsi, 15,9 % des dirigeants bénévoles sont des cadres et professions intellectuelles supérieurs (alors qu’ils ne représentent que 11,1 % de la population), 20,9 % sont issus des professions intermédiaires (ils ne représentent pourtant que 12,9 % de la population). Les ouvriers qualifiés ne sont en revanche que 20,4 % (23,9 % de la population) et les artisans commerçants ne sont que 5,3 % (6,3 % de la population).

Conclusion

En conclusion de cette première partie, plusieurs points sont à retenir.

A travers le cycle de vie de l’organisation fédérale que nous avons construit, nous avons posé l’hypothèse que les fédérations suivaient un processus commun d’évolution. Nous pensons que certaines d’entre elles sont désormais entrées dans une période critique de crise et de tension parce que le modèle entrepreneurial porté par les professionnels du sport tend à remplacer le modèle associatif dirigé traditionnellement par les bénévoles amateurs. Si le pouvoir des dirigeants bénévoles est plus ou moins affirmé selon les cas, nous pensons que la professionnalisation tend à en modifier la nature, en privilégiant la compétence et la technicité au détriment de l’amateurisme et de la « gestion familiale ». Ces moments de conflits intenses opposent des groupes d’acteurs dans leurs finalités, dans leurs cultures, dans leurs intérêts. Chacun use de son influence pour maintenir ou améliorer sa position dans l’organisation. La notion de pouvoir y est très présente même si ce pouvoir politique évolue dans la partie cachée de l’iceberg et n’est connu, comme le notent Ramanantsoa et Thiéry-Baslé, que « par les initiés»192.

Pour éclairer notre questionnement et répondre à nos hypothèses, il nous faut maintenant interroger ces initiés et découvrir la face cachée et informelle de l’iceberg fédéral. Pour cela, nous allons procéder à l’étude de deux fédérations sportives qui, pour être toutes les deux sensibles à la professionnalisation du secteur sportif, n’en présentent pas moins des caractéristiques différentes qui doivent nous permettre de faire progresser nos recherches. Nous proposons d’aborder ces études de cas dans les deux parties suivantes de ce travail.

192 Ramanantsoa et Thiéry-Baslé, op. cit., p. 194.

Deuxième partie

Etude de la Fédération Française d’Equitation

L’histoire des sports modernes est l’histoire de leur institutionnalisation. La Fédération Française d’Equitation voit le jour en 1987, mais elle est le fruit d’un long processus d’institutionnalisation des organisations équestres dont l’origine peut être en partie située dans le contexte militaire du début du siècle. La fonction du cheval, notamment militaire, commence alors à changer.

C’est une époque où le cavalier militaire devient moins influent, où la motorisation se développe dans l’armée et où les blindés commencent à remplacer les régiments de cavalerie à cheval. « Le déclin, écrit Pierre Chambry, s’amorce dès 1920, et se poursuit lentement mais sûrement »193. C’est en partie pour compenser la perte d’influence de la cavalerie militaire que l’équitation se tourne vers le sport et la compétition et crée de ce fait la première fédération d’équitation en 1921 ; elle s’appelle la Fédération Nationale des Sports Equestres (FNSE). Modifiée plusieurs fois, elle donne naissance à la Fédération Française d’Equitation (FFE) en 1987. Cette partie consacrée à l’étude de la fédération d’équitation comprend deux volets ; Un premier chapitre est relatif à l’histoire politique et institutionnelle de la fédération. Pour aborder cette étude, nous avons eu recours à la consultation d’archives et à des entretiens exploratoires. Notre intention est de voir si le modèle de cycle de vie que nous avons construit précédemment peut s’adapter à la fédération d’équitation et confirmer ainsi sa professionnalisation (chapitre 1). Le second chapitre est consacré à l’analyse et à la comparaison sociologiques des dirigeants bénévoles qui jouent ou ont joué un rôle important dans l’organisation fédérale depuis une trentaine d’année. Notre but est d’étudier les trajectoires et profils des dirigeants bénévoles et de vérifier s’il y a bien émergence d’une culture bénévole plus professionnelle (chapitre 2).

Chapitre 1. L’histoire politique et institutionnelle de la fédération

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