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ès l’instant où un critère de discrimination est posé par loi, le juge administratif n’hésite pas à l’appliquer. C’est notamment le cas d’une discrimination fondée sur l’origine en matière de recrutement dans la fonction publique. En témoigne cet arrêt du Conseil d’État du 10 avril 2009 à propos du refus d’admission au concours interne d’officiers de la police nationale :

« considérant qu’aux termes du deuxième alinéa de l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires, dans sa rédaction résultant de l’article 11 de la loi du 16 novembre 2001 relative à la lutte contre les discriminations : aucune distinction, directe ou indirecte, ne peut être faite entre les fonctionnaires en raison de leurs opinions politiques, syndicales, philosophiques ou religieuses (ou) de leur origine (...) ; que s’il n’appartient pas au juge de l’excès de pouvoir de contrôler l’appréciation faite par un jury de la valeur des candidats, il lui appartient en revanche de vérifier que le jury a formé cette appréciation sans méconnaître les normes qui s’imposent à lui ; considérant qu’il ressort des pièces du dossier que, lors de l’entretien d’évaluation qui était au nombre des épreuves d’admission subies par M. B, le jury lui a posé plusieurs questions portant sur son origine et sur ses pratiques confessionnelles ainsi que sur celles de son épouse ; que ces questions, dont il n’est pas sérieusement contesté par l’administration qu’elles aient été posées à l’intéressé et qui sont étrangères aux critères permettant au jury d’apprécier l’aptitude d’un candidat, sont constitutives de l’une des distinctions directes ou indirectes prohibées par l’article 6 de la loi du 13 juillet 1983 et révèlent une méconnaissance du principe d’égal accès aux emplois publics ; que le jury a ainsi entaché d’illégalité sa délibération du 5 octobre 20076. »

Dans deux arrêts, certes assez isolés, le Conseil d’État pousse plus loin son analyse.

Étaient en cause des mesures réparatrices en faveur des orphelins des victimes des persécutions antisémites pendant l’occupation. Dans ces affaires, les requérants, orphelins de résistants, invoquaient des « discriminations à rebours » reposant sur des critères expressément prohibés par la Constitution. Ce moyen est écarté par le Conseil d’État. Ainsi, dans l’arrêt Pelletier7, il est jugé que le décret a pu, sans méconnaître « ni le principe constitutionnel d’égalité, ni la prohibition des discriminations fondées sur la race (...) », instaurer de telles mesures au profit des seuls orphelins des victimes de persécutions antisémites. C’est donc à une interprétation nouvelle de la prohibition des discriminations raciales et ethniques que se livre le Conseil d’État  : ce que la Constitution interdit, c’est la discrimination négative uniquement. Comme le relève le rapporteur public dans ses conclusions sur l’affaire Bidalou8 : « vous avez écarté [dans

6.  CE, 28 mai 2010, Bota et Opra, req. 337 840.

7.  CE, Ass., 6 avril 2001, M. Pelletier et autres, req. n° 224945.

8.  CE, 6 juin 2001, Bidalou, req. n° 214205.

DEUXIÈME PARTIE

l’arrêt Pelletier] le moyen tiré de ce que le recours à ce critère [racial] – serait contraire par nature au principe de non- discrimination ». Cette interprétation permet au juge de passer à l’étape suivante qui consiste à vérifier que les personnes se trouvent bien dans des situations différentes. C’est le caractère d’ « extermination systématique » caractérisant les persécutions antisémites qui le conduit en fin de compte à considérer que les mineurs dont un parent a été déporté dans ce cadre sont « placés dans une situation différente de celle des orphelins des victimes des autres déportations criminelles pratiquées pendant la même période ».

Il arrive également que le juge administratif esquive le débat sur la prise en compte d’une discrimination. Ce fut le cas dans l’affaire Landais9 portant sur la délivrance du passeport électronique. L’autorité administrative exigeait de produire une copie intégrale d’acte de naissance ou, à défaut d’acte de mariage. Or, cette obligation est plus ou moins facile à remplir pour certaines catégories de citoyens du fait de leur lieu de naissance.

Deux approches étaient possibles :

- soit appliquer le pacte international relatif aux droits civils et politiques et la Convention européenne des droits de l’Homme (EDH), et plus précisément les dispositions sur la prohibition des discriminations (articles 26 du Pacte et 14 de la Convention), combinées avec la liberté d’aller et venir (articles 12 du Pacte et 2 du quatrième protocole additionnel à la Convention). Invoquer ces dispositions internationales présentait en effet un intérêt pour les requérants qui dénonçaient en l’espèce des discriminations indirectes ;

- soit se placer sur le terrain de la liberté d’aller et de venir, ce qu’a fait le Conseil d’État10.

Ce n’est pas le seul arrêt dans lequel la question des discriminations commises à l’encontre d’une personne à raison de la race ou de l’origine ethnique est mise de côté au profit d’autres moyens ou d’autres discriminations. Pour contester le refus par un maire d’accueillir un enfant dans une classe de la commune, la mère de cet enfant faisait valoir que la mesure était discriminatoire car fondée en réalité sur sa nationalité bulgare, son origine rom et ses conditions d’hébergement en résidence hôtelière. Le juge ne retient que ce dernier critère pour annuler le refus du maire sans faire référence à l’origine de la requérante11.

Les décisions juridictionnelles sont néanmoins trop peu nombreuses pour que l’on puisse en conclure que lorsque différents arguments sont invoqués, le juge préfère retenir ceux qui ne se rapportent pas à la prohibition des discriminations raciales ou ethniques.

Il en va autrement, en ce qui concerne l’âge. En effet, Le principe de non-discrimination fondée sur l’âge irrigue de façon impressionnante le droit positif depuis une dizaine

9.  CE, 30 mai 2007, Union nationale laïque des anciens supplétifs, C. Landais, ccls., « L’allocation de reconnaissance réservée aux harkis d’origine arabo-berbère n’est pas discriminatoire », A.J.D.A., 2007, pp.

1408- 1412.

10.  CE, 5 mai 2008, Mme Koubi, req. 293 934 et GISTI, req. 294056.

11.  TA Cergy Pontoise, 15 octobre 2013, req. 1101769.

Actes | Multiplication des Critères de Discrimination | 2018

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d’années avec un arsenal juridique très divers (l’article 21 de Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, l’article 10 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE), l’article 2 TFUE, la directive n°2000/78/CE) et une jurisprudence tant communautaire que nationale abondante.

La jurisprudence administrative s’inscrit dans le sillage du droit de l’Union européenne avec un certain nombre d’arrêts, qui, depuis quelques années, s’inspirent fortement du droit de l’Union européenne à deux égards :

- soit, elle s’appuie directement sur le droit de l’Union européenne comme le montre deux arrêts du Conseil d’État où dans le premier, le 4 avril 201412, le juge examine la conventionalité d’un décret pris sur la base d’une loi au regard de la directive n° 2000/78/CE et dans le second, le 27 octobre 2011, concernant le Revenu de solidarité active (RSA), il se réfère directement à l’article 21 de la Charte des droits fondamentaux13 ;

- soit, elle emprunte le syllogisme juridique du droit de l’Union qui déclenche un mécanisme en trois temps (l’existence d’une discrimination ; la recherche d’un objectif légitime qualifié d’exigence professionnelle ; la nécessité d’une proportionnalité entre l’exigence professionnelle et les moyens mis en œuvre créant la discrimination).

Certes, si en matière de discrimination, le juge administratif suit, souvent, la même démarche, la nature du contentieux façonne, toutefois, la manière d’appréhender le principe. Le même constat s’impose en matière de discrimination en raison des convictions religieuses. En effet, le juge administratif manie ce critère et l’aborde aussi bien sous son double aspect direct et indirect mais en réduit la portée et ne l’appréhende que dans sa mise en perspective avec le principe de neutralité ou de laïcité. Ce faisant, il devient difficile de voir prospérer la non-discrimination lors d’un contentieux. Ainsi dans l’affaire Akremi, une élève de terminale, exclue de son lycée pour port d’un signe religieux ostentatoire demande au juge administratif l’annulation de cette décision d’exclusion.

Dans ses conclusions, le rapporteur public explique que cette jeune fille s’est d’abord présentée à la rentrée scolaire la tête couverte d’un foulard islamique. À la suite d’un rappel au règlement, elle a ensuite remplacé ce foulard par un bandana. Considérant que cet accessoire vestimentaire était toujours contraire au règlement du lycée, elle a à nouveau modifié sa tenue en remplaçant le bandana par un béret. Cependant, le Conseil d’État valide la sanction d’exclusion en estimant qu’une telle sanction est prise, sans discrimination entre les confessions des élèves. Il convient d’ajouter que le rapporteur public a estimé que la Cour administrative d’appel avait « souverainement constaté que la jeune fille, qui avait accepté de remplacer son foulard islamique par un chapeau ou un béret qui ne pouvaient être qualifiés de discrets, refusait avec « intransigeance et détermination » de retirer ces coiffes malgré les demandes de l’administration. La cour a donc pu en déduire légalement que les conditions dans lesquelles ce couvre-chef était porté « étaient de nature à faire regarder l’intéressée comme ayant manifesté ostensiblement son appartenance religieuse14 ».

12.  CE., 4 avril 2014, req. n° 362785, 362788, 362806, 362811, 362813, 362815, 362817, 362819, 362821, Ministre de l’écologie, de l’énergie et du développement durable c. M. Lamblois.

13.  CE, 27 octobre 2011, CFDT et al., req. 343 974, 343 973, 343 943.

14.  CE, 6 mars 2009, Akremi, req. 307 764.

DEUXIÈME PARTIE

Les critères susceptibles de conduire à une discrimination connaissent, donc, un parcours différent dans le prétoire du juge en raison d’autres principes susceptibles d’être opposés. Le juge administratif conservant son ancrage sur les rives de l’égalité, il chemine moins allégrement aux abords de la discrimination.

Dès lors, le justiciable lui-même connaît quelques embûches pour apprivoiser ces critères et les faire fructifier dans le paysage du contentieux.

Une appropriation difficile