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Un moyen d’appropriation des critères par la preuve

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ne double difficulté dans son parcours le conduisant auprès du juge traverse le requérant. Comment apporter la preuve de la discrimination et sur quels critères fonder la demande ?

Un moyen d’appropriation des critères par la preuve

L

e justiciable peut considérer qu’il a fait l’objet d’une discrimination mais pour que le comportement fautif soit sanctionné encore faut-il le prouver. Pour l’éventuel justiciable, rechercher les preuves de la discrimination invoquée constitue un bon moyen de se l’approprier ; d’autant que la difficulté peut encore varier selon la discrimination en jeu. La preuve d’une discrimination syndicale, par exemple, s’avère plus complexe à faire admettre qu’une discrimination fondée sur l’âge. Se pose alors la question d’un régime spécifique en matière probatoire pour l’éventuel requérant victime ou supposé l’être d’une discrimination. D’autant que la recherche de la preuve diffère selon le juge saisi. Dans le domaine administratif, la juridiction dispose d’un pouvoir inquisitorial et évalue la valeur des preuves avancées.

On pourrait imaginer que le principe d’égalité se prêterait mieux aux actes réglementaires, tandis que le principe de non-discrimination serait plus efficace pour lutter contre les actes individuels accusés d’instituer des différences directes ou indirectes de traitement.

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La décision Perreux précise que le mécanisme défini dans son considérant de principe trouve à s’appliquer lorsqu’il est « soutenu qu’une mesure a pu être empreinte de discrimination15 ». En réalité, pour le justiciable cette formulation n’est guère exploitable car en matière d’acte règlementaire, la preuve n’entre pas en jeu et dans l’hypothèse d’une décision individuelle, cette solution n’est pas nécessairement appliquée par le juge. Dans une affaire Lambois, le requérant invoquait l’incompatibilité de la limite d’âge imposée au corps des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne avec les objectifs de la directive n° 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 200016. Était ainsi en jeu une décision individuelle, et le Conseil d’État a traité le litige sans que la jurisprudence Perreux ne soit citée. Pour autant, il mène des mesures d’instruction de manière à déterminer si l’âge choisi, 57 ans, pouvait être considéré comme discriminatoire.

Aussi, dans un tel contentieux, il semble aisé d’admettre que ce sont les motifs qui vont faire l’objet d’une intention particulière et ainsi conduire le justiciable à prouver leurs inconsistances. Or, c’est en réalité par l’erreur de droit que le juge administratif est amené le plus souvent à traiter des questions de preuve. Dans le contentieux de l’excès de pouvoir, le juge doit apprécier le caractère fondé du motif allégué par l’administration, pour mettre ou non en évidence une discrimination.

Le juge ne sanctionne donc pas directement la mesure en tant qu’elle est discriminante ou discriminatoire, mais parce que les justifications non convaincantes de cette mesure (c’est-à-dire ses motifs) ne détruisent pas l’invocation de la discrimination.

On retombe ici sur la question de l’intention. Pour le juge, il n’est pas question de rechercher si l’autorité a eu l’intention de discriminer, mais simplement si sa décision est juridiquement fondée. Dès lors, peut se poser pour le requérant, la question de la pertinence des modes de preuves. Il ressort de la jurisprudence que les délibérations du défenseur des droits ne constituent pas un élément suffisant de présomption. Certes, le juge s’appuie, parfois, sur ce dernier pour considérer certains faits comme établis.

Parmi les modes de preuve, la méthode comparative est, dans certains cas, utilisée par le juge. L’arrêt Perreux, l’illustre. Ainsi, à l’instar du Défenseur des droits, le juge administratif, se fonde sur des panels de comparaison de carrière. Toutefois, ce mode de preuve peut être inconfortable pour le justiciable lorsque la situation ne se révèle pas comparable selon le juge.

La preuve statistique apparaît, dès lors, comme un support utile à la méthode comparative. Si l’on ne trouve pas de grands arrêts du Conseil d’État en la matière, on peut toutefois noter l’existence de quelques décisions qui apportent des informations se révélant utiles. Dans une décision du Conseil d’État du 25 janvier 2012, le fait que trois des six élèves non autorisés à redoubler soient des personnes handicapées ne suffit pas à démontrer l’existence d’une pratique discriminatoire17. Il y avait certes d’autres éléments qui allaient dans le sens d’une absence de discrimination. Toutefois, cette

15.  CE, 30 octobre 2009, Perreux, req. 298 348.

16.  CE, 4 avril 2014, Ministre EDDE, Lambois, req. 362 785.

17.  CE, 25 juin 2012, M. Bruno, req. 348 269.

DEUXIÈME PARTIE

décision permet de s’interroger sur la place que le juge administratif entend accorder à ce que l’on appelle la discrimination systémique ou structurelle. Le juge administratif ne semble pas, en effet, prendre en compte la dimension systémique de la discrimination, ni tenir compte de la vulnérabilité de certaines catégories de personnes.

La question de l’élaboration d’outils de preuve a priori se pose. Il s’agit de doter le justiciable de modes de preuve appropriés afin de démontrer la discrimination. Par exemple, les syndicalistes disposent de tableaux et de statistiques, car il existe une obligation légale des employeurs publics et privés d’établir de tels documents. Ces derniers s’avèrent, ensuite, très utile en matière de preuve.

Devant le juge administratif, les modes de preuve les plus souvent admis sont de nature « matérielle », tel un rapport de conseiller pédagogique responsable du stage d’aptitude d’une candidate à l’agrégation d’éducation physique et sportive, ou encore des témoignages. De manière classique, le juge administratif s’appuie également sur le récit non contesté du requérant et sur des faits constants, pour compléter les preuves matérielles.

Les preuves à produire par le défendeur restent modestes. En effet, la preuve de la discrimination ne se pose pas en matière d’acte réglementaire de la même manière qu’en cas de décision individuelle ou de comportement de l’administration, mais dans l’ensemble des cas, le défendeur n’est pas tenu d’apporter l’absence d’intention de discriminer, ce qui constitue un important avantage. En revanche, il ne peut se contenter de dénier les affirmations du requérant, par exemple, par les affirmations selon lesquelles la requérante n’apporterait pas la preuve de son engagement syndical.

Que se passe-t-il, lorsque le défendeur se contente d’une réponse sommaire.

Succomberait-il ? C’est ici qu’intervient alors la troisième étape du raisonnement probatoire : la conviction du juge et, en cas de doute, la mise en œuvre des pouvoirs d’instruction. C’est en effet la grande nouveauté de la jurisprudence Perreux. Le juge administratif se reconnaît enfin la possibilité de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d’appréciation de nature à établir sa conviction.

En principe, la mise en œuvre des pouvoirs d’instruction du juge présente deux intérêts.

Elle soulage le requérant et permet de lever le doute subsistant. Toutefois, on peut se demander si le système probatoire ne peut pas défavoriser le requérant. En effet, le doute ne profite pas nécessairement au justiciable. Ainsi, dans l’affaire Lambois, à propos des ingénieurs du contrôle de la navigation aérienne, le Conseil d’État a conduit une audience d’instruction et une visite des lieux avant de conclure qu’il n’existait pas de discrimination fondée sur l’âge dans ce cas de la dérogation à la règle générale de départ à la retraite des fonctionnaires. Il est plutôt amusant de constater que la Cour administrative d’appel (CAA) de Marseille, en ne sollicitant aucun supplément d’instruction, n’aboutissait pas au même résultat, et relevait l’existence d’une discrimination.

Le requérant devant le juge administratif navigue, en matière de preuve de la discrimination, entre le choix du ou des critères à soulever et la nécessité de démontrer, souvent par des faits matériels. Aussi, le système actuel produit un régime juridique

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de la discrimination complexe visant la recherche de la vérité judiciaire qui demeure, toutefois, toute relative.

Si prouver la discrimination reste un moyen de s’approprier le critère qui la fonde, une difficulté supplémentaire surgit lorsque les critères de non-discrimination se contredisent.