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Répartition des diplômés de médecine au XVIIIème siècle

IV- L'évolution des vocations au cours du siècle

1. Une tendance générale : une progression continue

L’évolution des graduations est continue tout au long du XVIIIe siècle. Cela ne signifie pas pour autant qu’elle est homogène. En effet, on observe des variations à des périodes données. Nous avons scindé la période en trois phases de 30 ans : début, milieu et fin de siècle. Nous nous proposons d’analyser ces trois tranches par université d’abord puis par diocèse.

Lorsque l’on observe les figures 12 et 13, deux pics marquent une baisse entre 1720 et 1730 puis entre 1750 et 1760.

De nombreuses propositions peuvent être avancées pour expliquer cette progression au cours du XVIIIe siècle compte tenu des bouleversements démographiques et politiques. En prenant en considération ces différentes données, nous pouvons nous interroger sur l’influence positive ou négative qu’ils ont pu avoir sur les vocations et le recrutement médical.

• 1707-1737 : un lent démarrage dans une période mortifère

Ce premier tiers de siècle s’avère difficile pour le recrutement médical. L’année 1707 marque l’application de la réforme universitaire. Rappelons que la médecine, sauf pour la seule université de Montpellier, reste la mésestimée des universités au détriment du droit, et l’intérêt pour la théologie s’amenuise tout au long du XVIIIe siècle, comme en témoigne Patrick Ferté: "la médecine est longtemps restée en dehors des préoccupations socioprofessionnelles de l'élite, et les facultés de médecine sont restées les parentes pauvres de l'université avant le XVIIIe siècle155". A Cahors, la médecine ne suscite que peu d’intérêt. Quant à l’université de Toulouse, le recrutement connut son âge d’or au siècle précédent156. Premier constat, on enregistre une baisse significative durant la décennie 1720-1730 à l’exception de Cahors. Bien que le nombre de gradués soit minime au sein de cette faculté, la

155 FERTÉ (Patrick), Répertoire géographique, op. cit., p.103.

156 Voir les travaux de Patrick Ferté, L’université de Toulouse, op. cit., et Anaïs LEWEZYK, L’université de

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tendance est plutôt à la hausse157. Cette remarque s’applique aux cinq diocèses de notre étude pour lesquels cette même décennie est la plus critique. Le diocèse de Castres ne compte aucun gradué au cours de cette décade. Les diocèses de Lavaur, Carcassonne et Albi ne comptabilisent qu’un à deux docteurs. Seul le diocèse de Rodez enregistre plus de dix docteurs. Doit-on y voir une quelconque influence de l'Édit de Marly ? La véritable raison est en fait tout autre.

L’ensemble du XVIIIe siècle, plus particulièrement la première moitié, a été marqué par de nombreuses crises et épidémies, les unes laissant parfois la place aux autres. Par crises, on entend crises frumentaires ou crises de subsistance. Les hivers ont été très rudes, engendrant de mauvaises récoltes, comme le mentionne Georges Frêche dans sa thèse citant les années 1709, 1719, 1739-1743158. Une période de disette sévit en Languedoc dans les années 1712-1713. En effet, la crise de 1709 fut sans précédent dans l’ensemble du royaume159. Si l’on regarde les graphiques des cinq diocèses, on remarque que la proportion de gradués baisse significativement dans le diocèse d’Albi passant de 3 à un seul docteur. L’Albigeois a été particulièrement malmené par cette crise, comme en témoignent les écrits des registres de délibérations : à Albi où « tous les jours il meurt une infinité de monde de misère 160» ou à Gaillac où « ces temps fâcheux de maladies publiques [qui] ravagent la présente ville et [qui] ont déjà enlevé une partie de nos concitoyens 161». Le diocèse d’Albi est d’ailleurs le seul à enregistrer une baisse de ce type. La ville de Castres est également touchée.

Les autres diocèses enregistrent une baisse à partir de 1720 et ce jusqu’en 1729. Seuls les diocèses de Rodez et de Lavaur se démarquent, celui de Lavaur restant stationnaire. Quant à celui de Rodez, il est en hausse dès 1700 et de façon croissante. Doit-on y voir une quelconque influence de la peste qui sévit à Marseille ? Nous y reviendrons plus loin.

Hélène Berlan, dont la thèse porte sur le devenir professionnel des étudiants de la faculté de médecine de Montpellier, a noté la même tendance. Son étude est basée sur le nombre d’inscrits tout comme le sont les travaux de Patrick Ferté162 , de Dominique Julia et de

157 Patrick Ferté précise que le nombre d’inscrits est de 15 par an au XVIIIe siècle, (voir FERTÉ Patrick, L’université de Cahors…)

158 FRÊCHE (Georges), Toulouse et la région Midi-Pyrénées au siècle des Lumières vers 1670-1789, Paris, Cujas, 1974.

159 Emmanuel Le Roy Ladurie rappelle que « la grande gelée de l’hiver 1709 s’inscrit dans les traditions du petit âge glaciaire, observées dès la fin du XVIe siècle », in DUBY Georges, WALLON Armand, Histoire de la

France rurale 1540-1789, t.2, Paris, Seuil, 1975, p.389.

160 ADT G485, Délibération du 8 mai 1710

161 ADT G485, Délibération du

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Jacques Revel163. Hélène Berlan remarque la même baisse significative en 1709 et en 1721. Deux périodes qui coïncident avec des évènements tels que les aléas climatiques et les crises cités plus haut. Hélène Berlan ajoute que l’année 1721 est la plus critique concernant le recrutement de la faculté de Montpellier.

Figure n°22 : Les docteurs en médecine originaires du diocèse d’Albi (1707-1793)

Cette première période est la plus critique quant à la formation des futurs médecins de notre étude. Les éléments naturels ne suffisent pas à justifier ce faible taux de graduation et le faible attrait pour la science d’Esculape. La profession souffre depuis le XVIIe siècle d’une réputation des plus déplorables. Molière n’en est pas le seul détracteur. Dans l’œuvre anonyme quercynoise Scatabronda164, le médecin est décrit comme un incapable usurpateur.

Au cours du XVIIIe siècle, l’image et le rôle du médecin deviennent tout autre. Les fléaux rappellent que sa présence est nécessaire. De plus, la vision de la science n’est plus la même.

163 REVEL (Jacques), JULIA (Dominique), Histoire sociale des populations étudiantes, op. cit.

164 FERTÉ (Patrick), Scatabronda, un brulot libertin occitan dans l’université de Cahors, Cahors, Carcin – Terra d’oc, 1983. L’auteur a procédé à l’étude historique de cette œuvre dépeignant les travers de la société cadurcienne sous le règne de Louis XIV. Ainsi cette comédie met en scène un docteur en médecine de l’université de Cahors en mal de réussite sociale. Ce dernier convoite la dot de la fille du docteur régent en droit qu’il finit par obtenir. Son beau-père, Maître Berrié, déçu de cette union, va mettre en place un stratagème pour céder sa place d’agrégé au sein de ladite université et le rendre ainsi digne de son rang. Ce récit, dont la réalité a été démontrée par Patrick Ferté, révèle au-delà de l’imposture universitaire, la vision négative que portait alors la société sur les médecins. En effet, « le père riche n’acceptera pas in extremis un gendre sans le sou, pas plus que l’amante ne préférera un gueux à la fortune de papa », p.150

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Figure n°23 : Docteurs en médecine originaires du diocèse de Castres (1707-1793)

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Figure n° 25 : Les docteurs en médecine originaires du diocèse de Lavaur (1707-1793)

• Le deuxième tiers 1738-1769 : la pérennisation du cursus médical

Le premier tiers de la période étudiée marque le long démarrage du cursus médical qui s’accélère au cours du deuxième tiers. Les années 1740-1750 sont dures en Languedoc. La disette fait rage. Les registres de délibérations de communes comme Lavaur en témoignent165. Les denrées se font rares et la gestion de leur commerce est une vraie problématique pour le pouvoir local. Pour autant de 1738 à 1750, la fréquentation ou plutôt le nombre de graduation est en augmentation dans les trois universités. Cette remarque est valable pour les diocèses sauf celui de Castres qui enregistre, à l’aube de 1740, la plus forte progression au cours de la période étudiée avec 6 docteurs166. Entre 1751 et 1768, les tendances s’inversent entre les universités de Toulouse et de Montpellier. L’université de Cahors dont la suppression survient en 1751 n’est plus concernée par cet aspect. Alors que la faculté de Montpellier voit ses gradués réduire entre 1750 et 1760, pour ensuite les voir doubler la décennie suivante, la faculté toulousaine connaît le phénomène inverse. Huit docteurs sont gradués de la faculté languedocienne entre 1750 et 1760 puis on en compte seulement quatre entre 1761 et 1769. Les diocèses d’Albi, Castres et Rodez suivent la tendance montpelliéraine en doublant le nombre de docteurs, sauf le diocèse castrais qui reste stationnaire avec trois docteurs. En revanche, les diocèses de Lavaur et de Carcassonne, à l’image de la faculté toulousaine, voient leurs effectifs considérablement réduits. Le diocèse de Carcassonne frôle le néant avec un seul docteur contre sept la décennie précédente.

165 AML, FF17, 1740-1785, Jugements au sujet de la disette des suifs dans la commune de Lavaur, La vente de

blé illicite.

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Ce second tiers fluctue et reflète une prise de conscience à l’encontre de l’art de guérir. Cependant les variations entre les deux universités languedociennes suscitent l’interrogation. En effet, qu’est ce qui peut expliquer une telle variation entre 1750 et 1769 ? Si l’attrait de la faculté de Montpellier est notoire, qu’est ce qui justifie une baisse de ses gradués alors que ceux de sa voisine augmente ? Matthieu Echard167 souligne le fait qu’à chaque pic dans le recrutement toulousain correspond la création d’une nouvelle chaire. Bien qu’il ne s’agisse pas de la fréquentation mais de graduation, peut-on penser que la décennie 1750-1760 ait pu être moins attrayante à Montpellier ? La comparaison n’est pas vraiment représentative car l’on parle de huit docteurs à Toulouse contre vingt à Montpellier. La légère augmentation de gradués de la faculté toulousaine peut-elle attribuée à la suppression de la faculté cadurcienne ? Bien que le nombre d’étudiants cadurciens soit faible, c’est une donnée à prendre en considération. Les chiffres donnés par Hélène Berlan corroborent nos propos sur l’aspect général, à savoir l’augmentation constante, mais le décalage entre la fréquentation et les graduations attire notre attention sur d’éventuelles pratiques estudiantines.

• Le dernier tiers 1770-1793 : l’envolée médicale

Ce dernier tiers marque la plus forte progression des graduations de cette étude. De manière générale, la voie médicale atteint son paroxysme au XVIIIe siècle. Pour les universités, la décennie 1770-1780 est la plus fructueuse : presque 50 docteurs à Montpellier contre 11 à Toulouse. Ces effectifs se réduisent progressivement jusqu’en 1793. A l’aube de leur extinction, Toulouse ne compte qu’un seul docteur alors que la faculté de Montpellier en gradue 21.

Cette même tendance s’observe au sein des cinq diocèses. Durant la décennie 1770-1780, le diocèse rouergat comptabilise 30 docteurs, le double de son voisin albigeois et quasi cinq fois l’effectif des autres diocèses de notre aire. Une baisse est à noter durant la décennie 1780-1789. Celle-ci peut s’expliquer par les mauvaises récoltes récurrentes vers 1788-1780-1789. En revanche, à compter de 1790, seuls les diocèses de Lavaur, Albi et Rodez comptent encore des docteurs.

Les effectifs tendent vers une hausse importante à compter de la deuxième moitié du XVIIIe

siècle. L’engouement pourles sciences et l’art de guérir est un premier élément d’explication

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de l’explosion des vocations médicales. Les histogrammes des diocèses suivent la tendance de celui de l’université de Montpellier. L’attrait des facultés méridionales peut s’expliquer par la diversité des enseignements proposés, en particulier à Montpellier. Les cours privés proposés ont leur importance. S’ils sont nombreux à Paris, ils le sont aussi à Montpellier. La faculté toulousaine n’est pas en reste puisque le nombre de chaires est augmenté au cours du XVIIIe

siècle.

Figure n°26 : Les docteurs en médecine de la faculté de médecine de Montpellier (1707-1793)

La hausse de la démographie française est un autre facteur explicatif de cette tendance nationale observée sur l’ensemble du siècle168. En effet, la population française connaît de fortes croissances entre 1720 et 1737 puis entre 1745 et 1772169.

Le progrès dans la diffusion des sciences médicales est une des raisons qui peuvent expliquer cet engouement nouveau pour la science d’Esculape. Les médecins, autrefois concentrés en milieu urbain, vont être plus présents dans les campagnes au cours du XVIIIe siècle.

Les différents fléaux de la première moitié du siècle ont très certainement suscité des vocations en même temps qu’a émergé un nouvel intérêt pour la médecine et les sciences. Hélène Berlan explique également cette hausse d’effectifs par l’amélioration des voies de communication initiée dès le milieu du siècle, c’est en effet le cas au sein de notre aire notamment en Albigeois.

168 DUPAQUIER (Jacques), Histoire de la population française, Paris, PUF, 1988, t.2, de la Renaissance à 1789.

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Figure n°27 : Les docteurs de la faculté de médecine de Toulouse (1707-1793)

• Approche d’un point de vue socioprofessionnel

Si l’on se penche sur nos effectifs et que l’on se place d’un point de vue sociologique, peut-on observer un lien entre l’envolée des vocations et un quelconque ascenseur social ?

On serait tenté de se pencher dans un premier temps sur les fils de médecin (au nombre de 20 sur l’ensemble du corpus). Bien que ce chiffre paraisse peu représentatif, on remarque toutefois, et ce pour toutes universités confondues, que les fils de médecins sont plus nombreux à la fin du XVIIIe et en particulier au cours du dernier tiers de siècle. L’université de Cahors, prise en compte pour la première moitié du siècle, gradue quatre fils de médecin. On n’en compte que trois dans la faculté toulousaine à compter de 1752. En revanche, on remarque que les fils de médecin vont majoritairement prendre leur grade à Montpellier. Les famille audoises Sabatier et Fabre envoient leur fils étudier à Montpellier. La faculté a d’ailleurs gradué 1/5e des effectifs du corpus, seulement, au cours de la première moitié du XVIIIe siècle.

Les carabins issus des autres catégories socioprofessionnelles, y compris les professions paramédicales, sont beaucoup plus présents dans la seconde moitié du XVIIIe siècle. Une remarque est cependant à faire au sujet du diocèse de Carcassonne qui ne compte que 28 docteurs sur l’ensemble de la période étudiée. Dans un diocèse dominé par l’activité drapière constituée d’artisans, de marchands et de négociants, on ne doit pas être étonné par le peu d’engouement suscité par une carrière médicale. Ces étudiants carcassonnais confirment la règle de l’explosion des graduations dans la deuxième moitié du XVIIIe siècle.

Les diocèses de Rodez et d’Albi restent les plus grands fournisseurs d’étudiants de cette étude.

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A l’image des études déjà menées, et entre autres rassemblées par Jacques Revel et Dominique Julia, les vocations explosent au cours du XVIIIe siècle. Notre constat n’est pas une surprise mais corrobore les travaux déjà menés. Plusieurs raisons peuvent expliquer cet engouement pour les études médicales. D’un point de vue démographiques, la population française est à la fois confrontée à de nombreux fléaux mais aussi à une nette augmentation. D’un point de vue culturel et intellectuel, la population grandissante témoigne une demande plus importante à l’égard du corps médical. L’évolution autour de la profession médicale marque un changement au sein de la société et suscite un élan de vocations jusque-là inexistant. Pour autant, nous pensons que d’autres éléments peuvent être soulevés pour conforter l’évolution des vocations médicales.