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Les origines des étudiants en médecine

II- Origine sociale

Pour définir un contexte d'ensemble de ce corpus, il est indispensable d'établir l’origine sociale des origines de ces carabins, ne serait-ce que pour vérifier s'il s'agit, pour la plupart des familles, d'un vecteur d'ascension sociale ou, ce qui n’est pas compatible, d’ « une voie possible d'une forme précoce de méritocratie »96, comme le souligne Patrick Ferté.

Dans notre étude, le clergé est le seul ordre qui n’est pas représenté. Bien que le monde religieux soit très présent dans le domaine des soins au corps97, l’exercice de la médecine lui reste fermé.

95 Carte du diocèse du Carcassonne, estampe par C. Aldring, 1781, BNF, Gallica.

96 FERTÉ (Patrick), Répertoire géographique des étudiants du midi de la France (1591-1793), t.1, p.25.

97 Olivier Faure analyse l’ambivalence du rapport médecine-religion en soulignant l’omniprésence de celle-ci dans le milieu médical. Les confréries de pénitents qui prodiguaient des soins ou encore les religieuses dans les hôpitaux. Voir FAURE (Olivier), « Médecine et religion : le rapprochement de deux univers longtemps affrontés » in Chrétiens et sociétés, 19, 2012, pp.7-17.

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Sur l’ensemble des professions retrouvées, (106 au total), les médecins sont majoritairement issus de la bourgeoisie.

Figure 10 : les origines socioprofessionnelles des étudiants de notre corpus (1707-1793)

Médecins

Autres professions

de la santé

Bourgeoisie

d’office Marchands Bourgeoisie Artisanat

24 16 20 19 20 7

Bourgeoisie98 ou plutôt bourgeoisies : la bourgeoisie libérale, la bourgeoisie d’office et la bourgeoisie de marchands. On les retrouve dans chaque diocèse et dans chaque université. De par sa faible fréquentation, l’université de Cahors ne compte que quelques représentants de la petite bourgeoisie.

La prépondérance des professions médicales :

Si néanmoins on procède à un autre découpage, en regroupant non pas les bourgeoisies (dont font partie les médecins), mais l’ensemble des professions de la santé, il apparaît que la majorité relative des étudiants en médecine perpétue cette spécialité familiale : les origines médicales sont les plus représentées dans le cadre de notre corpus avec 40 individus soit 37,7%. Les fils de médecins représentent vingt-quatre individus soit 22,6% des éléments retrouvés. Nous les retrouvons dans chaque diocèse de notre aire géographique sauf celui de Lavaur. Jean-François Rouques, originaire de Rabastens, diocèse d’Albi, et docteur de la faculté toulousaine en 1752, est fils de Bertrand Rouques, médecin de la même ville. Jean Carton, natif de Carcassonne et docteur de la faculté de Montpellier en 1748, est fils de Joseph Carton, médecin. Pierre Auzouy, natif de Rignac, diocèse de Rodez, et docteur de Montpellier, est fils de François Auzouy médecin. Jacques Gasc, originaire de Castres et docteur de Montpellier en 1759, est fils de Pierre Gasc, médecin de la même ville.

Les autres professions de santé représentent seize individus dont dix fils de maîtres-chirurgiens et six fils d’apothicaires. Barthélémy, François Jaybert, originaire de Rabastens et docteur de la faculté toulousaine en 1780, est fils de Barthélémy Jaybert, maître chirurgien.

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Antoine Patricot, natif de Lavaur et docteur de Toulouse, est le descendant d’une famille médicale de La Pin en Isère. Son père François Patricot, originaire de La Tour-du-Pin et chirurgien militaire, s’est installé à Lavaur . Joseph-Guillaume Virenque, natif de Rodez et docteur de Montpellier en 1781, est fils de Guillaume Virenque, chirurgien.

Jean-Antoine Seconds, originaire de Rodez et docteur de l’université de Cahors en 1725, est fils de Jean-Antoine Seconds, maître apothicaire de Rodez. Jean Reboulh, natif de Carcassonne et docteur de la faculté de Montpellier en 1776, est fils de Pierre Reboulh, maître apothicaire. Jean Lamothe, natif de Cordes, diocèse d’Albi et docteur de Montpellier en 1749, est fils de Charles Lamothe maître apothicaire. Antoine Portal, originaire de Gaillac, diocèse d’Albi et docteur de Montpellier en 1774, est lui aussi fils d’apothicaire.

Il s’agit là d’une trajectoire typique de la volonté d’ascension sociale dans l’Ancien Régime. Elle ne relève pas forcément d’un choix, mais plus d’une logique sociale, que les Mémoires pour l'Histoire des Sciences et des Beaux-Arts présentent explicitement en 1750, à propos de la Peyronie, fils d'un chirurgien de Montepellier, qui dût lutter pour rester chirurgien comme son père, ce qu'il voulait « par goût, par choix », mais contre la pression familiale – « on vouloir le faire Médecin 99». Au-delà des questions de vocation, Portal, l’un de nos médecins, souligne qu’il faut quelques dispositions pour y parvenir : dans son histoire de l’anatomie, dont il sera question plus loin, il indique ainsi, dans la courte bibliographie qu’il donne d’un chirurgien berrichon, explique que celui-ci dût se résoudre à rester dans la profession de son père, également chirurgien, car il « ne pouva[i]t s'astreindre à étudier le Latin 100». Ces anecdotes ponctuelles, hors de notre corpus, témoignent à la fois de la prégnance de ces stratégies familiales, mais aussi de la dimension toute consciente et volontaire de la mise en œuvre de ces logiques. Reproduction et ascension sociales : c’est donc sans surprise que la majeure partie de notre échantillon de médecins relève de ce schéma sociologique101.

La bourgeoisie d’office :

La bourgeoisie d’office désigne les membres du Tiers exerçant des charges politiques liées à la vénalité des offices. Il s’agit généralement de charges liées à l’administration royale ou provinciale, comme les juges, les avocats au parlement. Cette strate d’officiers est nécessaire au bon fonctionnement administratif de l’état. Les médecins issus de la bourgeoisie d’office

99 Mémoires pour l'Histoire des Sciences et des Beaux-Arts, Paris, Briasson et Chaubert, octobre 1750, p. 2233.

100 Portal (Antoine), Histoire de l'Anatomie et de la Chirurgie, Paris, 1770, t. III, p. 581.

101 Cet aspect concernant le schéma d’ascension sociale au sein des professions médicales sera abordé dans le chapitre 5.

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sont au nombre de vingt dont douze fils d’avocat, trois fils de notaire, deux fils de procureur, un fils de meunier, un fils de juge et un fils de conseiller du roi. Cette bourgeoisie d’office est présente au sein des villes épiscopales et des villes moyennes. A Carcassonne, Jacques Gourc, père de François, occupe la fonction de procureur au sénéchal. Dans le diocèse de Rodez, à Campagnac, Paul Rossignol, père d’Etienne, est notaire royal. A Ambres, diocèse de Castres, Jean Nicolet est collecteur de tailles. Le père de Joseph Roques , Joseph, est avocat au siège. Joseph Roques est le troisième d’une fratrie de douze enfants. Il est l’aîné des garçons. A Rodez, Régis Boisse, docteur de Montpellier, est fils de Jean-François Boisse, procureur du roi. Marc-Antoine Falgayrac, père de Jean Falgayrac, docteur de Montpellier en 1785, est avocat au parlement et juge de district de Gaillac. Ces officiers sont aussi des membres de la bourgeoisie rurale. Pierre de Rozier, père de Bernard de Rozier, est avocat au parlement et fermier des droits de péage à Verrière dans le diocèse de Rodez.

La bourgeoisie des marchands :

Dix-neuf médecins sont issus de la bourgeoisie marchande : seize fils de marchand et trois fils de négociants. Cette catégorie de la bourgeoisie est présente principalement dans les diocèses de Rodez, Lavaur, Castres et Carcassonne. Outre les activités marchandes liées à la production locale de certaines denrées, présentées plus haut, ces quatre diocèses ont la particularité de contenir des zones de production d’une activité particulière : le textile . Le diocèse de Carcassonne constitue avec les diocèses de Corbières le secteur de la grande draperie. Cette activité est présente sur l’ensemble du diocèse de Carcassonne : Montréal, Montolieu, Saissac ou encore Mas-Cabardès. Jean-Louis Bonnet, natif de Montolieu et docteur de Montpellier en 1755, est fils de marchand. Jean-Raymmond Estribaud, marchand négociant et seigneur de Gauré, est le père de Jean-Charles Estribaud, docteur de Montpellier en 1780 et natif de Carcassonne. Dans les secteurs de Castres et Mazamet se trouve la plus importante aire de production de petites étoffes du Midi. Le père d’Antoine Lucadou, Jean, est marchand drapier à Castres. En Rouergue, Rodez, Villefrance-de-Rouergue et Espallion sont des centres de production de moindre importance. Jean-Jérôme Lobinhes, natif de Villefranche-de-Rouergue et docteur de Montpellier en 1767, est fils de marchand drapier. L’activité marchande est également présente dans d’autres villes comme Millau ou Albi, et dans des villes moins importantes comme Réquista.

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Les autres membres de la bourgeoisie :

Pour vingt individus, dans certains documents, le père est signalé comme bourgeois. Nous ne pouvons certifier qu’il s’agit de bourgeoisie dite « passive » des rentiers mais cette éventualité n’est pas exclue. Claude Lalbejot de Montplanqua, natif de Saissac dans le diocèse de Carcassonne, est fils de Jean-Jacques Lalbejot, bourgeois. Montplanqua est en réalité le nom de l’une des métairies de son père. Amans Palous, père d’Antoine102, est signalé comme bourgeois de Labarthe Saint-Sauveur. Jean Maignal, père d’Antoine103, originaire du Verdier, est présenté comme bourgeois et marchand. Antoine est le troisième garçon d’une fratrie de treize enfants. On retrouve dans ces familles un schéma familial commun : l’aîné n’est généralement pas celui qui poursuit des études, sauf dans certaines familles aisées où un cursus en droit est de rigueur pour occuper certaines charges. En effet, dans la logique de cette bourgeoisie de marchands, l’aîné reprend la suite de son père. Rien de surprenant dans des villes comme Carcassonne ou Castres où l’activité textile est importante.

L’artisanat :

Sept médecins sont issus du milieu de l’artisanat. Jean-François Sacombe, originaire de Carcassonne, est fils d’artisan doreur. Jean-Victor Bach, natif de Villefranche-de-Rouergue, est fils d’un artisan forgeron aisé. Antoine Albert, natif de Carcassonne, est fils de maître gantier. Jean-Jacques Mauriez, originaire de Graulhet, est fils de maître mégissier. Il s’agit bien là d’une ascension sociale par les études – de la même façon qui fit d’un Diderot, fils de coutelier, un des deux directeurs de l’Encyclopédie.

Les fils de médecins suivent généralement la voie de leur père. Pour les fils issus des autres professions médicales, le choix de la médecine marque une volonté d’ascension sociale. Ce phénomène similaire dans l’ensemble de la bourgeoisie témoigne d’une autre vision apportée au corps médical.

102 Antoine Palous est originaire de Granfuel, diocèse de Rodez. Il fut reçu docteur de l’université de Montpellier en 1777.

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