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Répartition des diplômés de médecine au XVIIIème siècle

IV- L'évolution des vocations au cours du siècle

2. Des éléments nouveaux

L’étude des vocations médicales et leur évolution nous amène à porter deux hypothèses nouvelles quant à l’évolution du recrutement médical: l’influence de la peste de Marseille et la possible influence de la population étudiante réformée.

• La peste de Marseille

Pour la décennie 1720, les effectifs diminuent à Toulouse comme à Montpellier, où elle est d'ailleurs plus significative. Là encore, seule l'université de Cahors double son nombre de docteurs en passant de 2 à 5 docteurs. Bien que notre aire ait été épargnée, une baisse sensible à compter de 1720 pourrait nous amener à penser que l'épidémie de peste a tenu en haleine une partie du royaume et que les familles ont rapatrié leurs enfants. Sensibilisé et influencé par Pierre Chirac170 (1650-1732), le pouvoir royal ordonne l’envoi de médecins de Montpellier171 à Marseille : cinq professeurs et docteurs sont dépêchés de Montpellier, parmi lesquels François Chicoyneau (1672-1752), gendre de Pierre Chirac, et Jean Mailhès172. Auteurs de Observations et reflexions touchant la nature, les evenemens, et le traitement de la

peste de Marseille, pour confirmer ce qui est avancé dans la relation touchant les accidens de

170 Pierre Chirac était alors médecin à la cour.

171 Il s’agit plus précisément de médecins gradués de la faculté de Montpellier.

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la peste, son prognostic, & sa curation du 10 décembre 1720173, les docteurs montpelliérains

se sont illustrés durant cet épisode, ce qui leur valut des honneurs y compris, et surtout, à leur parrain Chirac. Patrick Ferté174 dans l'un de ses articles dépeint un tout autre aspect de la dévotion de ces médecins. Jean Mailhès n’est jamais mentionné aux côtés du docteur Chicoyneau mais il est toujours fait allusion à François Chicoyneau et ses adjoints Messieurs Verny et Soulier. Jean Mailhès rapporte les évènements à Mr Calvet, professeur à l’université de Cahors. Il s’y présente comme « Conseiller, médecin du Roy & professeur royal en la même université ; Député par la cour à Marseille »175. Les honneurs faits à ces médecins, entre autres à J. Mailhès, ont certainement inspiré aux familles rouergates une envie d'ascension sociale.

La baisse des effectifs semble donc tout à fait normale, compte tenu du contexte de l’épidémie. En revanche, le regain de vocation suite à cet épisode paraît plausible.

Figure n°28 : Les docteurs en médecine originaires du diocèse de Rodez (1707-1793)

Cette évolution est flagrante et se confirme avec le diocèse de Rodez. En effet, comme vu dans le chapitre précédent, le diocèse de Rodez est celui qui fournit le plus d'étudiants essentiellement à la faculté de Montpellier. Une tendance déjà amorcée dès le début du XVIIIe

173 Observations et reflexions touchant la nature, les evenemens, et le traitement de la peste de Marseille, pour

confirmer ce qui est avancé dans la relation touchant les accidens de la peste, son prognostic, & sa curation du 10 décembre 1720, BMT Fa D510 (1).

174 FERTÉ (Patrick), « Un protégé de Pierre Chirac. Le médecin rouergat Jean Mailhès, professeur à l’université de Cahors et profiteur de la peste de Marseille (1687-1751 » in Revue du Rouergue, n°81, 2005, pp. 1-26.

175 Lettre ecrite a Mr Calvet conseiller medecin du Roy, professeur royal et doyen de l’université de Cahors.

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siècle, comme l'explique Patrick Ferté176, liée entre autres, à la réussite fulgurante de médecins rouergats quercynois comme Pierre Chirac ou Raymond Vieussens.

A l’issue de leur séjour à Marseille, Jean Mailhès et ses collègues obtiennent des revenus plus conséquents, ainsi qu'un titre de noblesse.

• L'hypothèse de l'influence réformée

Outre l’influence de la peste de Marseille au début du siècle, nous formulons une autre hypothèse pour justifier l’évolution des vocations médicales. Les étudiants d’origine protestante, ou nouveaux convertis, pourraient avoir gonflé le nombre d’effectifs étudiants. Une hypothèse qui n’a jamais avancée et dont la paternité revient à Patrick Ferté.

En effet, on observe que le nombre d’inscrits augmente tout au long du XVIIIe siècle, tout comme le nombre de gradués. Il faut bien entendu garder en mémoire l’amélioration de la vision portée aux sciences en général et à la médecine en particulier, les mentalités évoluant elles aussi au sein de corps médical et du corps professoral.

Si l’on se penche sur le recrutement géographique de notre aire, on remarque que les villes à forte population protestante envoient autant, voire plus, d’étudiants que les grandes villes comme Albi ou Rodez. Rappelons les chiffres de Millau (14), Villefranche-de-Rouergue (15), Castres (11) ou encore Puylaurens177 (8). Nous ne pouvons cependant affirmer cela avec certitude ni nous avancer sur une éventuelle généralisation à l’échelle nationale.

Au vu du contexte général, on imagine aisément que malgré leur abjuration les étudiants ne se tourneront pas vers la théologie. Le droit, domaine lié aux offices, leur est difficile d’accès. Le milieu médical semble leur ouvrir les bras.

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Comme nous avons pu le voir les cinq diocèses de notre aire suivent une tendance générale, celle d’une augmentation marquante durant la deuxième moitié du XVIIIe siècle. L’évolution de la pensée médicale et des mentalités, additionnée à d’autres éléments, a pu influencer le regain pour l’art de guérir. Le XVIIIe siècle marque « une poussée spectaculaire de la population médicale qui répond à une demande sociale à laquelle l’université s’efforce de s’ajuster »178. Nous restons convaincus que d’autres hypothèses ont eu le mérite d’être

176 FERTÉ Patrick, Répertoire géographique..., op. cit., p.104.

177 Les étudiants originaires de Puylaurens sont plus nombreux que les vauréens.

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soulevées. Entre ces vocations et la réalité des études, un gouffre s’ouvre qui a pu être assimilé à l’enfer lui-même. C’est ainsi bien plus qu'une énième ridiculisation littéraire des médecins que l'on découvre en ouvrant les Amusements sérieux et comiques de Charles Dufresny à la page décrivant leurs études :

Le Païs de la Faculté est situé sur le passage de ce monde à l'autre. […] Ceux qui voïagent dans cette contrée dépensent beaucoup, et meurent de faim. La Langue y est fort savante, et ceux qui la parlent sont très-ignorants179.

Double-attaque, l'une traditionnelle (le médecin ergotant, tout droit dans la veine de Molière), l'autre moins : critique sociale du désert inhumain de la faculté, situé dans un entre-monde. C'est à travers ce territoire que nos pas vont désormais nous mener.

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Chapitre 3