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La pratique de la médecine

II- Les relations avec les autres professions de santé : reflet des grandes thématiques médicales du XVIIIe siècle

4. Les autres médecins

Les médecins n'ont pas seulement des tensions avec les autres professions de santé, considérées comme inférieures. Les praticiens dénoncent l'incompétence de leurs confrères vieillissants. Nous n'occultons pas non plus les querelles entre médecins. Ce point certainement plus commun ne relève pas des mêmes domaines. Le XVIIIe siècle n'est pas différent des siècles précédents dans le sens où les querelles ont toujours existé. Tout au long du siècle, les médecins vont entrer en conflit pour défendre leurs idées, parfois pour imposer des courants novateurs et parfois pour protéger leur œuvre482.

Parmi les prérogatives de la SRM ne figurent pas seulement la prévention des épidémies ou la surveillance des remèdes et eaux, le bon exercice de l'art de guérir doit être assuré. Les médecins se montrent critiques envers les autres professions et leurs confrères médecins sont aussi vivement attaqués. Le discours de Jean-Baptiste Bô laisse entrevoir une distorsion entre ancienne et nouvelle génération. Un décalage intergénérationnel que souligne également Hélène Berlan483.

Pour vous donner Monsieur une idée de ce que j'avance je fairai un leger tableau de la medecine dans ce pays. Je ne le puis sans manquer d'egars pour mes confreres, mais le devoir dans le moment doit l'emporter sur la

481 ANM - SRM 147 d° 5 - Dalbis

482 Nous faisons allusion, entre autres au conflit qui opposa Pierre Chirac et Jean Besse, médecin rouergat en dehors des limites de notre corpus car diplômé avant 1707. Le litige porte autour d'un traité publié en 1702 sur la fermentation. Jean Besse est alors accusé de plagiat par le professeur Chirac et assigné au tribunal. Il prend le parti d'ignorer cet avertissement. Cela n'est qu'un début pour Besse qui une fois à Paris, entre en conflit avec Helvétius au sujet de son œuvre sur l'économie animale. Leur conflit porte sur la nature et les causes d'une infection.

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bienseance. Nous sommes dans cette ville trois medecins, mes deux doyens sont un peu agés484.

Jacques Olombel, médecin à Mazamet, se montre critique lui aussi : « Certains se plaisent à observer dans leur cabinet, et non par leur assiduité au lit du malade485 ».

A la fin du XVIIIe siècle, les progrès en matière d'obstétrique génèrent des tensions entre les médecins, mettant parfois à nouveau en opposition modernes et anciens praticiens. Jean-François Sacombe, Audois installé à Paris, va s'opposer au célèbre obstétricien Baudelocque. Sacombe prône le non recours à l'opération césarienne qui pour lui met en danger la mère et l'enfant. Cela devient alors un véritable combat. Pour lui, cette opération cruelle n'est jamais nécessaire. Sacombe attaque Baudelocque dès 1798 à travers des écrits pamphlétaires. Baudelocque intente un procès à Sacombe486. Ce dernier est traduit en justice suite à une plainte en « calomnie » déposée courant fructidor an XI487, par celui qu'il désigne comme "professeur adjoint, chirurgien accoucheur en chef de l'hospice de la maternité, élu président de la société dite de médecine par les caesariens dont il est le chef488". Sacombe est entre autre accusé d'avoir inséré dans l'un de ses périodiques, La Lucine française, des notes sur les procédés de Baudelocque, portant préjudice à ce dernier. Une seconde plainte est déposée par Baudelocque, accusant Sacombe d'avoir troublé ses cours de perfectionnement par des sifflements. Sacombe assure en partie seul sa défense. Pour lui, il est crucial de dénoncer cette pratique qu'il juge infanticide. Mais d'où vient cette désaffection du docteur Sacombe pour l'opération césarienne? Il semblerait que ce dernier, durant sa formation, ait assisté à des opérations césariennes « meurtrières ».

Les hostilités à l'encontre du docteur obstétricien parisien prennent naissance à la suite du décès de Madame Tardieu, bourgeoise et épouse d'un graveur de la Marine. Lors du quatrième accouchement de cette dernière, assistée par Baudelocque, l'enfant et la mère meurent. Par la suite Sacombe fait un terrible récit de l'opération, le tout figurant dans le plaidoyer. Il qualifie Baudelocque de garçon boucher ou encore de dernier valet de bourreau. Avant de publier ses

484 ANM –SRM 116 d° 3 - Bô

485 ANM –SRM 185 d° 18 - Olombel

486 Selon Louis Dulieu, Sacombe intente un procès à Baudelocque dans un premier temps.

487 En septembre 1803.

488 LÉLY (Gilbert), « Un drame anti-césaro-symphisien » in La poésie dévorante. Actes du colloque « Gilbert

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propos, Sacombe s'est adonné à une véritable enquête et demande des dépositions à des témoins, selon lui, dignes de foi comme Madame Bridef, épouse et soeur de professeurs distingués. Sûr de lui, Sacombe attend le verdict. Mais le procès ne porte pas sur la question de la césarienne mais sur la réalité de la diffamation. Il est condamné en 1803-1804 à 3000 francs de dommage-intérêt. Voici un extrait du verdict:

Jugement du tribunal civil de première instance du département de la Seine, qui condamne le Sieur Sacombe, se disant médecin-accoucheur, à faire réparation d'honneur à Monsieur Baudelocque [...] ordonne la suppression de ses écrits, comme injurieux, diffamatoires et calomnieux ; fait défense audit Sacombe de plus à l’avenir composer, faire imprimer, colporter et distribuer de semblables libelles […] ordonne l’impression et l’affiche du jugement aux frais dudit Sacombe489

N'étant pas solvable, Sacombe est contraint à l'exil. Il se réfugie en Russie. Il revient à Paris quelques années plus tard, puisque l'on retrouve des annonces pour des consultations gratuites en 1807490. Le docteur Baudelocque, en revanche, bien que victorieux en reste fortement marqué.

Figure 39: Annonce tirée de Affiches, annonces et avis divers ou journal de France du jeudi 14 mai 1807

A la même période, un autre conflit éclate entre deux médecins rouergats. Les docteurs François Triadou et Pierre Pharamond491 exerçant à Millau492. Pierre Pharamond, au parcours particulier, est considéré par Triadou comme un charlatan493. En désaccord suite au décès

489 Extrait du jugement du tribunal civil, Gallica, BNF.

490 Affiches, annonces et avis divers ou journal de France du jeudi 14 mai 1807, Gallica, BNF.

491 Ou Faramond.

492 Pour Pharamond, il semblerait qu'il exerce également au Viala du Tarn.

493 Pierre Pharamond est natif du Viala-du-Tarn, diocèse de Rodez. Il suit ses études à Montpellier où il obtient son doctorat en 1777. Le dictionnaire de l’An x signale qu’il a exercé 17 ans en Amérique. Il s’agit en fait d’années d’exercice à Saint-Domingue au Cap où il a fréquenté le Cercle des Philadelphes. Cette institution était une académie des sciences coloniale créée en 1784. Voir à ce sujet Mc CLELLAN III (James Edward),

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d’Alexandre Rey, Pharamond, visiblement attaqué par Triadou, publié un ouvrage pour se justifier et répondre aux attaques de son confrère. Triadou riposte et l'attaque violemment dans un écrit intitulé Réponse du citoyen Triadou, médecin, a un libelle intitulé : Mémoire

historique de la maladie de feu Al Rey, contenant les causes, les effets, le traitement et les différentes périodes de sa durée par le citoyen Pharamond, soidisant médecin de la ville de Millau, département de l'Aveiron494. Pour Triadou, il ne s’agit pas d’un confrère :

Mais Pharamond n’a pas l’honneur d’être mon confrère ; les siens figurent sur les trétaux, sur les places, dans les carrefours. Je l’ai traité, je l’avoue, d’Ignare, d’Empirique, d’Assassin ; il mérite toutes ces épithetes : j’ajoute que c’est un imposteur, et je le signale comme tel à mes concitoyens495

Dans un premier temps, Triadou démonte le cursus universitaire de son détracteur qui selon lui cherche à le « diffamer496 ». Il cite le Dictionnaire de l’an X sur lequel « l’imposteur497 » s’est fait inscrire. Triadou s’est procuré des justificatifs au sein de la faculté montpelliéraine attestant que Pierre Pharamond n’a pas sanctionné son grade de docteur. Si nous nous fions effectivement au Dictionnaire de l’an X et aux données recueillies par Patrick Ferté, Pierre Pharamond est bien docteur de Montpellier. Mais il semble avoir été rayé de la matricule en 1778498. Triadou reprend la chronologie des faits liés à la maladie de Monsieur Rey et met en doute les compétences de Pharamond d’une part sur le diagnostic qui a été fait et d’autre part sur les termes employés par ce dernier, n’ayant selon lui aucun sens. Il reproche notamment à Pharamond de ne pas avoir fait appel aux conseils d’autres confrères, lui compris, lorsque la famille en a émis le souhait. Triadou ajoute qu’il ne souhaite pas consulter avec un « pareil adjoint499 ». Il clôture son écrit par une volonté de répondre à la provocation de Pharamond et ainsi prévenir la population millavoise de la véritable nature de ce médicastre. Les compétences de Pierre Pharamond sont remises en cause dans le domaine de l’obstétrique. Ce

en 1992) en particulier la troisième partie et « L’historiographie d’une académie coloniale : le Cercle des Philadelphes (1784-1793) », Annales historiques de la Révolution française, 320 | 2000, 77-88.

494 ADA - 74B2-3, Réponse du citoyen Triadou, médecin, a un libelle intitulé : Mémoire historique de la maladie

de feu Al Rey, contenant les causes, les effets, le traitement et les différentes périodes de sa durée par le citoyen Pharamond, soidisant médecin de la ville de Millau, département de l'Aveiron. Cet écrit n’est pas daté en

revanche il date du début du XIXe siècle puisque l’auteur fait référence au Dictionnaire de l’An X.

495 Réponse du citoyen Triadou…, p. 3.

496 Ibidem, p. 2.

497 Ibid., p. 2.

498 Ibid., p. 5. Ce point relevé par Triadou révélerait-il un exercice illégal de la médecine ?

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dernier semble avoir soutenu une thèse d'obstétrique à Paris en 1806 intitulée l’Art des

accouchements500.

Nous venons de présenter plusieurs conflits subvenus entre médecins mais ces derniers savent faire preuve de solidarité. Alexis Pujol témoigne, à deux reprises, d’acte de bienveillance envers deux jeunes confrères. En 1788, le médecin castrais demande la bienveillance de la Société royale de médecine à l’égard du docteur Fournès qui souhaite parfaire ses connaissances en matière d’anatomie dans la capitale501. La même année, il vante le mémoire adressé par le docteur Olombel, médecin à Mazamet, afin que ce dernier soit nommé correspondant502.

Les médecins méridionaux sont présents partout, ville et campagne, même si leur présence est plus concentrée en milieu urbain. Ils rencontrent surtout des difficultés liées aux aléas topographiques et des problèmes inhérents à la pratique en province comme l’omniprésence des charlatans et des empiriques. Ce médecin méridional, qu’il soit en ville ou campagne, « chevauche par tous les temps, entre une dysenterie et une variole, du château à la chaumière, du lit de l’enfant moribond à celui du vieillard grabataire 503». Traversant ainsi par l’exercice son art les lieux et les couches sociales, il se rend activement visible à la société qu’il a, souvent péniblement, travaillé à intégrer. Significativement, les médecins se considèraient, dit l’un deux, comme des « hommes qui, par état, se sont dévoués au public504 ». Cette revendication va au-delà de l’exercice de la médecine : c’est assez logiquement que dans cette conception, lorsque la possibilité s’offre, le médecin se fait détenteur d’une parcelle du pouvoir public local.

500 A ce sujet voir BÉNEZET, op. cit., p. 132-133. Visiblement Pharamond dépasse le cadre du sujet et ne fait pas état de sa propre expérience.

501 ANM - Pujol – SRM 129 d°3 p°26. Pierre Fournès est natif de Labruguière, bourg proche de Castres mais rattaché au diocèse de Lavaur. Il débute son cursus à Toulouse où il obtient sa maîtrise en 1783 puis poursuit son cursus à Montpellier dont il devient docteur en 1786.

502 ANM - Pujol – SRM 129 d°3 p° 27.

503 LÉONARD (Jacques), La vie quotidienne du médecin de province au XIXe siècle, Paris, Hachette, 1977, p.11.

504[Attriué à Pierre Sue], Lettre a M. *** , professeur d'anatomie [et] de chirurgie, dans l'Université de ***, ou

Réponse à une lettre anonyme insérée dans le Journal de Médecine du mois de juin, au sujet d'une prétendue invention de M. Bauve, maître en chirurgie de Paris, s.l.n.d. [1767-1768], p. 5.

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