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Choisir un lieu d’installation

I- L’installation : crainte de l’éloignement et représentation médicale

2. Les problématiques liées à l’installation

Le XVIIIe siècle connaît une croissance démographique due en partie à l’amélioration des conditions de vie qui va de pair avec la médicalisation. L’historiographie fait plutôt état de la densité médicale et de la présence des médecins en ville303. A notre connaissance, seule Hélène Berlan a abordé la mobilité des jeunes docteurs en médecine dans sa thèse. Nous pensons que l’étape de l’installation est cruciale dans la vie des médecins. Nous avons ainsi choisi de traiter ce point sur plusieurs échelles : la localité d’origine, le diocèse et au-delà. Comme le montre la figure 31, la mobilité des médecins de notre corpus est réduite304.

• Le retour au pays

Les médecins reviennent majoritairement se fixer dans leur localité d’origine305. Ils sont ainsi 43 à revenir dans leur ville ou village d’origine. Ce phénomène est plus marqué dans les villes épiscopales de Rodez, Albi, Castres ou Carcassonne. Le constat est le même dans des villes de moindre importance comme Gaillac et Graulhet. Ainsi des fils de médecin comme Thomas Coutaud, Jean Edouard Fos de Laborde, Jean-Joseph Dero reviennent exercer à Gaillac et François-Germain Rossignol revient à Graulhet comme son père avant lui. Ces derniers issus du milieu médical ne sont pas les seuls à s’installer dans leur ville d’origine puisque d’autres jeunes médecins issus de la bourgeoisie s’y fixent également. Jean Projet Abrial306, fils de juge, et Jean-Jacques Mauries (ou Mauriez), fils de maître mégissier, s’installent à Graulhet. Ces centres urbains possèdent une importance économique, pour les villes moyennes, et une importance institutionnelle. pour les villes épiscopales, et présentent par là un attrait certain.

303 GOUBERT (Jean-Pierre), Malades et médecins en Bretagne 1770-1790, Rennes, Université de Haute-Bretagne, 1974. ; Malades et médecins à Saint-Malo, à la veille de la Révolution, Rennes, Presses universitaires de Rennes, 2013. ; « Réseau médical et médicalisation en France à la fin du XVIII siècle », in Annales de

Bretagne et des pays de l’Ouest, Tome 86, n°2, 1979, La médicalisation du XVIIIe siècle au début du XXe

siècle, p. 221-229. ; THILLAUD (Pierre L.), Les maladies et la médecine en pays basque nord à la fin de

l’Ancien Régime (1690-1789), Genève, Librairie Droz, 1983.

304 Les graphiques illustrant ce point sont complétés par des graphiques supplémentaires présents en annexe en fin de chapitre.

305 Hélène Berlan nomme cette proportion de médecins les « immobiles », in BERLAN Hélène, op. cit., p. 383.

306 La famille Abrial est une grande famille de notables de Graulhet. Pierre-Raymond Abrial, juge viguier de Graulhet, possède la plus grosse fortune foncière du consulat : 193 hectares dont six maisons et cinq métairies. A ce sujet voir CONTIS (Alain), Graulhet au XVIII siècle, 1710-1792. Familles, fortunes, mentalités, thèse de 3° cycle, UTM, 1985.

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Figure n°32 : Les médecins installés dans leur localité d’origine

Le retour au pays s’observe également en milieu rural. 33% des médecins reviennent exercer dans leur bourg d’origine dont 18,9% dans le seul diocèse de Rodez. Parmi eux, 14% proviennent de bourgs reculés comme Mur-de-Barrez situé à la pointe nord du diocèse et en montagne de surcroit307. La figure 33 montre l’étendue du diocèse et l’éloignement de certains médecins des grands pôles rouergats que sont Rodez, Millau ou Villefranche-de-Rouergue. Trois médecins, après Jean-Baptiste Bô, reviennent s’installer à Mur-de-Barrez comme les frères Lacam de Fontanges, Antoine et Jean-Baptiste, ou Marc-Antoine Lavaïsse. Ces derniers ont été diplômés durant les dernières années de l’Ancien Régime. Jean-Pierre Fournès revient s’installer à Labruguière après l’obtention de son doctorat en 1786. Dans ce cas précis, nous ne pouvons nous prononcer sur les origines socioprofessionnelles de ces médecins car nous ne disposons pas de ces informations. Ce phénomène s’observe tout au long du siècle des Lumières et bien que l’explication financière puisse être la principale raison de leur retour au pays, nous pensons qu’au-delà des facilités rencontrées pour s’installer chez soi les médecins traduisent une nouvelle vision de la médecine qui se propage dans les campagnes.

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Figure 33 : Étendue du diocèse de Rodez

• Dans un rayon proche : au sein du diocèse

Dans le cadre de la mobilité, le cas de médecins s’installant au sein du diocèse mais sans revenir dans leur localité d’origine représente 19,8% des individus. Nous ne pouvons affirmer qu’ils s’y soient installés directement, cependant le Dictionnaire de l’an X indique le plus souvent possible la durée d’exercice du praticien. Pierre Flaugergues, natif de Conques, exerce à Rodez depuis 36 ans. Ce dernier est gradué en 1766 ce qui nous permet de constater qu’il s’est installé à Rodez dès l’obtention de son doctorat.

Ce type de délocalisation nous a conduite à deux interrogations : dans quel sens s’opère-t-elle ? Les médecins originaires d’un milieu rural sont-ils voués à se diriger vers la ville ? Nous avons observé deux phénomènes à savoir les étudiants originaires de bourgs allant s’installer dans une ville et inversement. Dans le diocèse de Carcassonne, Jean Gallet-Duplessis, originaire d'Alzonne, s’installe à Carcassonne. En Rouergue, les médecins s’installent de préférence dans des villes comme Rodez ou Millau. La migration d’une ville vers une localité de moindre importance est plus rare. Dans le diocèse de Rodez, Borniol de Fonbonne, originaire de Rodez, se fixe à Salmiech. Jacques Olombel, natif de Mazamet, s’installe à Aussillon.

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Figure n°34 : Les médecins installés dans les autres localités du diocèse

La réussite professionnelle semble être la motivation majeure des jeunes médecins. Ceux pour lesquels nous avons pu retrouver les origines socioprofessionnelles sont issus de la bourgeoisie. En Rouergue, un fils de médecin et consul de la ville de Millau, deux fils d’avocat au parlement et un fils de marchand ne se fixent pas dans leur lieu d’origine.

En effet, on remarque que la majorité des jeunes médecins s’installent dans une ville plus importante que celle dont ils sont originaires sans pour autant se concentrer dans les villes épiscopales. La sur-représentation médicale les pousse à s’installer dans une autre ville du diocèse.

• Dans les diocèses limitrophes et au-delà

La mobilité des médecins s’illustre d’une troisième manière : l’installation dans un autre diocèse, souvent voisin, ou à Paris. 19% des médecins se sont installés hors de leur diocèse d’origine dont 13 proviennent du Rouergue. Nous comptons parmi eux, les médecins ayant exercé à Paris mais aussi à l’étranger. Ces derniers ont connu une carrière exceptionnelle sur laquelle nous reviendrons dans un chapitre ultérieur. Nous faisons référence à plusieurs médecins du roi, Philippe Pinel, Antoine Portal

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ou encore quatre médecins ayant exercé dans les colonies308. Plusieurs étudiants aveyronnais se sont installés plus au sud. Pierre-Louis Lavit de Millau, s’installe dans un premier temps dans sa ville natale pour ensuite s’installer à Marseille en 1791. Antoine Rozier, originaire d’Espallion, est installé à Uzès en 1777. Jean-Fleuret Arlabosse, de Réquista, exerce à La Canourgue en Lozère en l'an X. Jean-Étienne Bounès, originaire de Laissac, s’est fixé à Gaillac. Il y exerce à la fin du XVIIIe siècle.

Figure n° 35 : Les médecins installés hors diocèse d’origine

Un médecin, du diocèse d’Albi, s’est installé à Toulouse : François Gaugiran, natif de Milhars309, suit ses études à Montpellier. Il obtient son doctorat en 1768 puis il est agrégé en 1771. Il est nommé recteur le 30 août 1776. Deux autres médecins, du diocèse de Castres, choisissent l’Ariège comme point de chute : Joseph Prom de Tremengous, de Boissezon, s’installe à Saint-Girons en 1779 et Joseph Daudier, d’Ambres, s’installe au Carla-le Peuple en 1793. Antoine Pech, natif de Pratviel, est installé à Saint-Félix. Deux médecins audois suivent leur carrière hors du diocèse et hors du département : le docteur Jean-François Sacombe à Paris et Pierre-Isaac Deidier à Nîmes.

Les médecins s’installent pour la plupart dans le milieu urbain dont ils sont originaires. Ce constat est similaire pour les médecins originaires de milieu rural. La mobilité réduite de ces derniers témoigne de difficultés relatives aux moyens financiers et à l’établissement d’une clientèle. Les migrations laissent

308 Ces carrières seront abordées au chapitre 9.

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entrevoir les difficultés liées à la sur-représentation médicale. La documentation manque malheureusement pour connaître les conditions d’installations foraines, par exemple nous n’avons pas trouvé trace de difficultés ou de conflits avec les communautés ou, dans les villes où il y avait un collège de médecin, avec cette institution. Est-ce à dire que ces jeunes médecins ont toujours été bien accueillis ? Nous ne saurions le dire. Quoi qu’il en soit, cet aspect a le mérite de mettre en avant les difficultés éventuelles de ce moment-clé du devenir médecin. Le choix du lieu d’installation n’est que la première étape de l’implantation. Pour devenir pérenne, et en plein accord avec les logiques de l’Ancien Régime, cette implantation doit être renforcée par une autre forme d’acquisition sociale de légitimité et de réseau : le mariage.