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CHAPITRE II : Les choix d’une puissance déclinante, 1948-1950

2.1. Cristallisation de la Guerre froide et modification des considérations sécuritaires

2.1.3. Une situation économique difficile à redresser

Dès lors que la Guerre froide devenait un fait accepté de tous, le gouvernement américain se montrait favorable à toute mesure favorisant une intégration plus profonde de l’Allemagne de l’Ouest à l’Europe occidentale, une normalisation des relations germano-européennes et au renforcement des fondements d’une Europe économiquement et politiquement solide36.

L’intégration économique de l’Allemagne semblait pouvoir donner des résultats bénéfiques à long terme pour l’ensemble de l’Europe et les décideurs américains envisageaient déjà qu’elle permette l’atteinte d’un équilibre de la balance commerciale, tant son potentiel industriel restait fort malgré les destructions de la guerre37. Ces encouragements à former une Europe plus étroitement liée

s’inscrivaient ainsi dans l’optique d’un renforcement général des économies européennes et d’un rattachement plus affirmé à la solidarité atlantique. La stabilité économique et politique de l’Europe et sa remise sur pied dépendaient notamment du rapprochement des marchés européens et de la capacité que les États avaient à produire et écouler leurs marchandises. Par conséquent, les initiatives européennes en faveur de la réduction des barrières tarifaires étaient bien accueillies par le gouvernement américain et cet appui avait un effet rassurant pour les dirigeants européens

36 Jean-Baptiste DUROSELLE, La France et les États-Unis, des origines à nos jours, Paris, Seuil, 1976, pp. 199-201. 37 William HITCHCOCK, France Restored, op. cit., p. 105.

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n’ayant jamais encore entrepris ce type de fusion des marchés38. Bonnet, près des milieux

politiques américains, était toutefois d’avis que les dirigeants américains sous-estimaient l’ampleur des efforts à fournir pour parvenir au résultat qu’ils escomptaient, c’est-à-dire une reprise du cours normal de la vie économique européenne en 1952, année où le Plan Marshall prenait fin.

Le Rapport du Secrétaire général du Comité de coopération économique européenne sur le développement de la coopération économique européenne recensait, en mars 1948, des difficultés graves rencontrées par les États européens participants induisant une diminution significative des importations, faute de capacité de paiement en devises convertibles39. Le rapport préconisait à ce titre les mêmes pratiques que celles encouragées par le gouvernement américain en vue de la réorganisation complète de l’économie européenne. Dans la section sur les « mesures d’organisation à long terme de l’économie européenne », figuraient « celles qui tendent à l’élimination des barrières douanières et économiques qui entravent les échanges entre pays participants ; celles qui ont pour objet de permettre une exploitation plus rationnelle des ressources essentielles et des moyens de transport de l’Europe40 ». Celles-ci s’ajoutaient aux mesures préconisées par l’OECE au redressement immédiat de la situation européenne, c’est-à-dire à l’acquisition rapide des moyens financiers pour rééquilibrer la balance de paiement des États concernés.

Les recommandations contenues dans ce rapport devaient cependant être interprétées à la lumière de l’état de la situation générale en Europe. La réorganisation de l’économie européenne, même si elle était souhaitée par certains États européens en raison des avantages apparents qu’elle supposait, ne pouvait pas se faire dans l’immédiat. Il y était d’ailleurs indiqué qu’au regard des différents programmes économiques nationaux à long terme des pays participants aucun programme commun de relèvement de l’Europe ne pouvait être présenté à l’administration américaine. Le piètre état des économies européennes et la présence de grandes divergences dans l’orientation des plans de reconstruction et de redressement fiscal des différents pays rendaient évident le fait que des efforts devaient être accomplis pour améliorer la convergence des

38 Alan MILWARD, The Reconstruction of Western Europe, op. cit., p. 250–253.

39 MAE, Y-International, QE, vol. 131, Rapport du secrétaire général du Comité de coopération économique européenne sur le développement de la coopération économique européenne, 15 mars 198.

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planifications nationales. Ces profonds ajustements devaient être apportés aux programmes nationaux dans le but d’obtenir les conditions aptes à favoriser la coopération entre les pays européens41.

Comme l’a souligné l’historien Allan Milward, l’OECE a montré les limites de la capacité américaine à modifier profondément les économies européennes de manière à ce qu’elles s’intègrent à un vaste marché européen dérégulé, comme il le souhaitait au départ. Les difficultés persistantes des économies européennes à maintenir une balance de paiement positive, tout comme un niveau acceptable de liquidité en monnaie convertible et en or, ont contribué la prise de conscience généralisée que l’Europe ne pouvait pas se remettre sur pied uniquement en injectant des capitaux étrangers42. Plutôt, la participation à l’OECE a renforcé l’interdépendance économique des États participants, mais elle a aussi constitué un forum où les intérêts nationaux respectifs étaient discutés. Cette dynamique a par conséquent contribué aux échanges sur les avenues possibles ouvertes aux États européens, en marge des projets américains. Cet organisme a d’ailleurs été considéré comme un moyen de conserver une implication britannique en matière de coopération économique en Europe occidentale, considérée comme un atout pour la stabilité économique de l’Europe43. La cohésion des États européens ainsi que l’augmentation de la fluidité

des marchandises et des capitaux entre eux devenait progressivement une possibilité qui avait plusieurs avantages, dont celui d’obtenir l’approbation des dirigeants américains et celui de renforcer une politique intégrative de l’Allemagne dans l’Europe continentale.

Afin d’évaluer les rapprochements possibles des économies, plusieurs études avaient été menées sur les conditions économiques de l’Europe après la guerre. Parmi ces analyses, le rapport du Groupe d’études pour l’union douanière européenne, réuni entre les mois de novembre 1947 et mars 1948, chapeauté par la commission mixte franco-italienne, avait pour objectif de conduire une étude approfondie des données recueillies sur les possibilités d’une union douanière44. Il

s’agissait, en vertu de l’état des échanges de l’époque, d’une association des économies qui

41 MAE, Y-International, QE, vol. 132, Service de coopération économique, Note d’information pour la délégation française, 16 novembre 1948.

42 Alan MILWARD, The Reconstruction of Western Europe, op. cit., pp. 168–172.

43 MAE, CM, Christian Pineau (11QO), vol. 48, Projet de directives pour la délégation française aux entretiens de Washington, 25 août 1949.

44 MAE, Z-Europe, Généralités, vol. 5, Circulaire no 23, Circulaire a.s. La politique française en matière d’unions douanières, 29 janvier 1948.

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semblait la plus évidente à établir. Les membres du groupe d’études soulignaient en outre dans leurs conclusions générales que la formation d’une union douanière était souhaitable, mais que la situation économique des États européens laissait présager de nombreux obstacles à la création de ce type de coopération étroite, puisque « l’espace européen se présente en effet, à la suite des perturbations provoquées par les crises et les guerres successives, comme une mosaïque de systèmes économiques différents dont les disparités entravent l’équilibre45. » Le rapport annonçait

ainsi que les difficultés rencontrées dans la réalisation d’une union douanière franco-italienne étaient d’ordre technique et économique, ce qui laissait présager que toute association de ce type comporterait une phase d’adaptation des économies européennes46. Les ministres des Affaires

étrangères français et italiens ont examiné, à la suite de la réception du rapport de l’OECE en mars 1948, concrètement la nature possible de ces écueils que la France et l’Italie étaient susceptibles de rencontrer. La rencontre devait tenter de trouver les mesures permettant de les anticiper47. Le gouvernement français semblait donc enclin à explorer toutes les pistes de solutions possibles en vue d’une redynamisation des marchés européens. Il était en bref favorable aux projets de libéralisation des échanges entre les États européens, si ceux-ci leur donnaient la possibilité de bonifier les efforts d’augmentation de la production de l’ensemble français.

Cependant, certains facteurs particuliers à la France devaient être considérés avec gravité. La présence d’une union douanière au sein de l’Union française préexistante à toute autre forme d’union intra-européenne demeurait implicite aux conclusions émises par le groupe d’étude pour l’union douanière franco-italienne. Les difficultés issues de l’arrimage entre les deux structures économiques semblaient constituer celles qui seraient les plus ardues à surmonter et cela laissait entendre que les problèmes engendrés par ce chevauchement allaient nécessairement se présenter systématiquement à chacune des discussions européennes – qu’elles soient franco-italiennes ou non – concernant l’établissement d’union douanière. Le gouvernent ne semblait pas pour autant considérer cette apparente contradiction comme irrémédiable, puisqu’au Quai d’Orsay on poursuivait les discussions afin de trouver un point d’équilibre entre l’union douanière de

45 MAE, Z-Europe, Généralités, vol. 5, Premier rapport du Groupe d’études pour l’union douanière européenne, mars

1948.

46 Ibid.

47 MAE, 217PAAP, vol. 72, Compte rendu des conversations qui ont eu lieu à Cannes les 20 et 21 décembre 1948 entre le comte Sforza et M. Robert Schuman en présence de MM. Quaroni, Fouques Duparc, Chauvel et Zoppi, 21

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l’ensemble français et les perspectives européennes en ce sens. Cette contradiction était ainsi occultée par l’attachement à l’idée européenne et éclipsée par les perspectives de progrès économique qu’elle impliquait.