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La présente recherche a pour objet d’analyser les savoirs pratiques d’enseignants de français sénégalais en matière d’évaluation formative, dans un contexte de classes à effectifs pléthoriques. Elle s’inscrit dans le cadre des recherches qualitatives de type exploratoire, soit une « recherche par laquelle on souhaite trouver des choses plutôt que de prouver des choses » (Van

der Maren, 1996, p.13). En ce sens, ma recherche a principalement un but descriptif, visant deux principaux objectifs :

1. décrire les pratiques d’évaluation formative d’enseignants de français sénégalais en contexte d’effectifs pléthoriques;

2. analyser et formaliser les savoirs pratiques qui en relèvent.

Comme on le verra plus loin (cf. section 2.2.2.), le contexte retenu pour la poursuite de ces objectifs est celui d’une Cellule d’animation pédagogique d’un lycée qui renvoie à une structure de réflexion et de formation pédagogiques composée d’enseignants d’une même discipline, exerçant généralement dans un même établissement. Profiter de ce genre de structure déjà présente dans un établissement pour y conduire une recherche implique le choix d’un format d’investigation qui allie à la fois un volet formation et à la fois un volet recherche. Dans cette perspective, c’est une approche collaborative qui est privilégiée. J’y retiens un modèle d’acteur emprunté aux travaux de Morrissette (2012) qui prend appui sur l’acteur compétent de Giddens (1987) et sur la tradition sociologique de Chicago qui privilégie la prise en compte du point de vue des acteurs dans l’examen des problématiques en lien avec leurs pratiques.

2.1.1 Une approche collaborative comme cadre méthodologique théorique

Selon Desgagné (1997), le développement de la recherche collaborative en éducation est issu du constat fait par plusieurs chercheurs de l’existence d’un fossé entre le monde de la recherche et celui de la pratique professionnelle. En effet, alors que les praticiens manifestaient le besoin d’être aidés à faire face à la complexité des situations éducatives auxquelles ils sont quotidiennement confrontés (Gitlin, 1990, cité par Desgagné, 1997), l’éloignement entre le monde de la recherche et le milieu scolaire rendait difficile la transposition des connaissances issues de la recherche dans la pratique. Ainsi, en préconisant le rapprochement de ces deux mondes et en privilégiant le point de vue des acteurs concernés – un point de vue éclairé par leur connaissance du contexte de la pratique –, la recherche collaborative cherche à combler cette

lacune en substituant au regard normatif extérieur posé sur les acteurs un regard plus compréhensif, accordant une valeur à leurs points de vue.

On notera chez les chercheurs qui privilégient cette démarche d’investigation (Desgagné, 1997; 2007; Larouche, 2005; Morrissette, 2010) une volonté manifeste de se démarquer des discours théoriques sur le monde de la pratique, pour tenter de comprendre « de l’intérieur » du contexte ce qui supporte les actions des praticiens. Bien qu’elle renvoie à une recherche plutôt classique en sociologie, la tradition de Chicago partage avec la recherche collaborative un intérêt pour les raisonnements pratiques et le sens que les acteurs donnent à leurs actions quotidiennes. La distinction entre les deux approches de recherche est liée au volet de développement professionnel qui est aussi pris en charge par la recherche collaborative, dans la perspective de favoriser des retombées tant pour la communauté scientifique que professionnelle (Lieberman, 1986). Son objet d’étude demeure d’ailleurs étroitement lié aux types de questions posés par les enseignants, notamment des sujets en lien avec les problèmes qu’ils rencontrent dans les classes. Elle présente l’avantage de favoriser le développement d’équipes de collaboration pour la recherche par la création d’un cadre de réflexion et d’action sur les problèmes scolaires (Lieberman, 1986).

Intervenant dans des champs d’application très vastes et dans des contextes variés, la recherche collaborative semble adaptée au sujet de ma recherche. À l’instar de ces auteurs, et m’appuyant sur la précision de Lieberman (1986) qui définit la recherche collaborative comme une recherche avec les acteurs, le but de cette recherche est non seulement de produire des savoirs, mais aussi de favoriser le développement professionnel des enseignants sénégalais. Il faut reconnaître que la question de l’évaluation formative en contexte d’effectifs pléthoriques reste pour les enseignants une interrogation à la fois complexe et préoccupante. Comment faire en sorte que l’effectif ne soit pas un obstacle à la pratique de l’évaluation formative ou comment composer avec ce contexte, en maintenant le cap sur l’idée de favoriser les apprentissages par le biais de l’évaluation formative? Voilà une question qui fait l’objet de discussions et de spéculations dans le monde des enseignants de français sénégalais.

2.1.2 La Cellule d’animation pédagogique : le lieu d’entretiens de groupe

Selon Campenhoudt, Franssen et Cantelli (2009), à l’instar des terrains de l’action publique, les terrains de l’action sociale ou du développement sont complexes. Leur étude nécessite l’implication d’une diversité d’acteurs, mais aussi la mobilisation d’une pluralité de niveaux d’intervention et d’interprétation. En outre, une des particularités des phénomènes sociaux, relevée par ces auteurs, est qu’ils se construisent dans la dynamique interactionnelle d’acteurs caractérisés par la diversité de leurs représentations, l’inégalité des ressources dont ils disposent et la divergence des intérêts qui les lient. Abondant dans le même sens, Morrissette (2011) souligne que la recherche contemporaine est aujourd’hui confrontée à des problématiques complexes dont l’éclairage requiert le regard hétérogène des différents acteurs impliqués. Dans cette perspective, l’entretien de groupe (Morrissette, 2011), aussi appelé « méthode d’analyse en groupe » chez Campenhoudt et al. (2009) ou encore « groupes de collaboration » chez Desgagné (2001), semble particulièrement prometteur pour étudier de tels phénomènes sociaux. Il présente l’avantage d’associer au processus de recherche les acteurs concernés par la problématique à l’étude, le croisement de leurs points de vue ayant une plus-value pour éclairer l’objet d’intérêt mutuel (Morrissette, 2011).

Tenant compte de la double préoccupation de formation et de recherche, j’ai retenu pour cette investigation une conception de l’entretien inspirée du paradigme socioconstructiviste. En effet, contrairement au paradigme positiviste empiriste selon lequel les catégories prédéfinies par le chercheur canalisent l’accès à la « réalité » et font de l’entretien un « prélèvement d’informations », dans la perspective d’un paradigme socioconstructiviste, l’entretien est vu comme « un évènement interactionnel, une construction conjointe dans un espace partagé d’intersubjectivité » (Morrissette, 2011, p.15). Dans cette perspective, chercheur et participants collaborent en vue de construire du sens autour d’un objet de préoccupation mutuelle. Reprenant à son compte les propositions de Poupart (1997) et Demazière (2011) sur les entretiens, Morrissette (2011) écrit que « les entretiens sont conçus comme l’un des meilleurs moyens pour coconstruire avec les acteurs le sens qu’ils donnent à leurs conduites, pour investiguer la façon dont ils se représentent le monde, ce qui suppose de reconnaître qu’ils sont les mieux placés pour en parler » (p.13).

Dans la présente recherche, c’est une Cellule d’animation pédagogique qui a servi de « zone interprétative » – l’expression est de Davidson Wasser et Bresler (1996) –, soit d’espace réflexif ayant permis la construction de sens autour de l’objet, nourri des interactions entre pairs, dans un va-et-vient constant entre l’expérience pratique et la réflexion sur cette expérience. La Cellule d’animation pédagogique a été prise telle quelle avec les 14 enseignants qui la composent.

Par ailleurs, dans le contexte de l’école sénégalaise, une Cellule d’animation pédagogique est une structure dirigée par un coordonnateur nommé par les enseignants au début de chaque année. De façon générale, la Cellule travaille sur la base d’un programme d’activités semestriel ou annuel défini par les enseignants eux-mêmes ou de concert avec le conseiller pédagogique itinérant. Elle se regroupe, souvent une à deux fois par mois, pour harmoniser les progressions par niveau, proposer des évaluations standardisées, partager des stratégies et expériences d’enseignement, discuter des préoccupations des enseignants par rapport aux classes tenues, analyser la pratique d’un enseignant à la suite d’une visite de classe pour l’aider à mieux préparer son examen professionnel, etc. Les discussions menées dans le cadre de cette structure ont constitué une occasion de développement professionnel pour les enseignants de français sénégalais, mais également le matériau pour l’analyse des données.

C’est donc cette méthode d’investigation que j’ai préconisée pour cette recherche collaborative. Les entretiens de groupe ont fourni l’encadrement à l’intérieur duquel les enseignants ont exprimé et confronté leurs compréhensions de l’évaluation formative. Ils ont donc rapporté des épisodes d’évaluation formative ciblés dans leur pratique, qu’ils ont explicités et commentés entre pairs. La démarche de coconstruction du savoir s’est jouée au travers des processus de négociation conversationnelle pour valider les pratiques narrées, selon les conventions de la culture professionnelle des enseignants et le contexte de pratique spécifique qui est le leur (Morrissette, 2012).