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1.2 Le cadre conceptuel

1.2.1 Le concept d’évaluation formative

1.2.1.3 Les postures et centrations de l’enseignant-évaluateur

Le concept « d’enseignant-évaluateur » est un terme que j’emprunte à Jorro (2000) qui l’utilise pour rendre compte des différentes postures que l’enseignant peut adopter dans le cadre de sa pratique évaluative. Elle identifie à cet effet quatre postures :

§ La posture de contrôleur : L’enseignant cherche à favoriser le développement des performances des élèves. Il transmet le savoir de manière expositive et se livre à des évaluations sommatives dans lesquelles il valorise les meilleurs scores. Son discours tourne autour de l’effort, de la réussite, du dépassement de soi.

§ La posture de pisteur-talonneur : L’enseignant considère sa relation avec les élèves comme le ressort de la réussite. Il instille le goût du savoir et joue au visionnaire en anticipant sur les mouvements de ses élèves. Il découpe le savoir en unités d’enseignement et pratique des contrôles continus et contigus. Son discours tourne autour de la répétition, de la révision, de l’effort et de la persévérance.

§ La posture de conseiller : L’enseignant se préoccupe des représentations de ses élèves. Il utilise l’évaluation pour réguler l’apprentissage, négocie les critères avec la classe, valorise les réussites, accueille les erreurs. Il conseille et pratique le compagnonnage et réfléchit sur sa pratique.

§ La posture de consultant : L’enseignant favorise la parole questionnante de l’élève, partage l’accès à la réflexion et se soucie de rester en retrait dans l’émergence du sens. Il accorde à la connaissance une fonction émancipatrice et au savoir une fonction structurante.

Comme on peut le constater, les deux premières postures ont en commun une valorisation du contrôle et accordent un rôle de premier plan à l’enseignant. Elles semblent s’inscrire dans des conceptions plutôt béhavioriste et cognitivisme de l’apprentissage. Par ailleurs, les deux dernières postures seraient plus propices à l’acquisition de compétences et à l’autonomisation de l’élève ; l’enseignant est amené à considérer l’acte pédagogique comme l’incessante quête d’une exigence à satisfaire, celle de la réussite de tous les élèves. En effet, il adopte ici la posture d’un

observateur attentif aux difficultés des élèves. Ces postures semblent plus près du (socio)constructivisme et se prêter davantage à la conception retenue de l’évaluation formative qui accorde une part très active à l’élève dans la régulation de ses apprentissages. Par ailleurs, il convient d’envisager que l’enseignant adopte une variété de postures, en fonction des exigences qu’il comprend de chacune des situations qui se présente à lui en classe. Par ailleurs, si Jorro a insisté sur les postures de « l’enseignant-évaluateur », Louis (1999) a plutôt porté l’attention sur les « centrations » de l’agir enseignant. Couvrant un large spectre des problèmes qui se posent aux enseignants dans le cadre de l’évaluation des apprentissages en classe, notamment la régulation (rétroaction et autoévaluation) ainsi que d’autres aspects comme la motivation ou encore la communication des résultats d'évaluation, l’auteur tire des réponses apportées à un questionnaire sur les croyances à l’égard de l’évaluation des apprentissages trois centrations de leur agir en classe :

§ une centration sur les différences individuelles, appuyée par le culte de l’excellence, la compétition entre les élèves, l’importance des tests standardisés, des performances individuelles, des notes et de la comparaison de l’élève avec ses pairs;

§ une centration sur les objectifs, au regard de la qualité de l’enseignement, de leur atteinte par les élèves, de leur importance dans les résultats scolaires et de leur pertinence pour l’évaluation; § une centration sur la personne avec l’exemple d’évaluations personnalisées, adaptées à chacun

des élèves et prenant en compte ses habiletés, sa motivation et ses résultats antérieurs. Dans cette perspective, l’évaluation tient compte des conditions d’apprentissage de l’élève.

Même si Louis (1999) valorise plus ou moins la centration sur les différences individuelles, en ce qui a trait à la comparaison et la compétitivité, elle cadre tout de même avec la visée de différenciation de l’évaluation formative. La centration sur les objectifs entretiendrait certains liens avec l’évaluation formative, compte tenu de leur importance pour orienter la régulation des apprentissages. Toutefois, il faut préciser ici que pour ce qui relève de l’évaluation formative, il ne s’agit pas uniquement d’atteindre des objectifs relatifs aux contenus de la discipline, mais également relatifs à des démarches d’apprentissage. Comme l’explique Cazabon (1991), les objectifs relatifs aux contenus portent sur des tâches, le savoir en un mot, tandis que les objectifs liés aux démarches englobent des aspects relevant du savoir-apprendre. Cette distinction est

importante à retenir ici car l’évaluation formative, selon les auteurs consultés, a pour objets autant les produits de l’apprentissage que les processus. C’est possiblement la centration sur la

personne qui s’inscrit le mieux dans les visées de l’évaluation formative, en ce qu’elle place

l’élève au cœur du processus d’apprentissage. Cela a été abordé précédemment à propos de la régulation, sur la question de la place accordée à l’élève dans les interactions pour l’aider à autoréguler ses propres apprentissages.

Selon les choix théoriques ici retenus, on retiendra qu’un enseignant-évaluateur qui pratiquerait l’évaluation formative serait susceptible d’adopter surtout une posture de conseiller et de consultant, mais peut-être une posture de contrôleur et de pisteur-talonneur, selon les exigences du contexte. Et il en va de même en ce qui concerne les centrations de l’agir enseignant ; elles peuvent aussi varier. Dans une perspective interactionniste, on dirait que les postures et centrations de l’enseignant sont fonction de sa « définition de la situation » (Thomas, 1923), c’est-à-dire de sa compréhension en contexte des situations qui se présentent à lui et qui le conduisent à adopter l’une ou l’autre ou encore à en combiner quelques-unes. Comme nous le verrons, le domaine des savoirs pratiques donne un éclairage sur cet art que les praticiens déploient en situation.