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Chapitre 3 UN PREMIER REGISTRE D’ANALYSE

3.2 Le travail de construction du savoir

3.2.2 La gestion des obstacles d’apprentissage

3.2.2.2 par l’utilisation du tableau noir

Les enseignants ont parlé du tableau noir comme un support important pour instrumenter les élèves relativement aux obstacles d’apprentissage en lien avec l’écrit. En outre, celui-ci porte les grilles et tableaux dont les élèves se servent comme des « béquilles » pour contrôler leurs productions écrites, révélatrices d’une double tension dans l’action des enseignants : conformité / créativité, d’une part, autonomie / imitation, d’autre part.

Du point de vue des enseignants, le développement des capacités rédactionnelles des élèves a besoin d’être soutenu par un entrainement quotidien dans lequel ils apprennent à écrire, mais aussi à garder un contrôle sur la grammaticalité des phrases qu’ils produisent. Pour les guider en ce sens, les enseignants disent faire une bonne utilisation du tableau noir. Celui-ci consiste non seulement à y écrire le plan du cours, ce qu’ils appellent le squelette de la leçon, les idées essentielles à retenir et les mots difficiles, mais surtout à y tracer des grilles pouvant aider les élèves à contourner les difficultés en lien avec la production écrite. Celles-ci, des supports à l’évaluation formative, donnent des indications à l’élève en lien avec les types d’informations à rechercher et une façon d’organiser ces informations pour leur donner plus de cohérence et de pertinence. PFS1 explique :

Dans mon cours, le premier soutien que je donne aux élèves, c’est dans ma façon de bien utiliser le tableau. J’essaie d’y faire apparaître le squelette de la leçon, les idées importantes à retenir, les mots difficiles ou nouveaux. Mais, pour mieux les aider à bien écrire, je trace des grilles qui aident à chercher et à organiser les informations. C’est comme des guides pour les élèves, mais ça leur laisse une certaine marge de manœuvre pour faire preuve d’originalité.(eg5)

Ces propos de PFS1 mettent au jour, aussi bien pour l’enseignant que pour l’élève, une tension entre conformité et créativité, l’évaluation formative portant ici sur un aspect méthodologique, sur les façons de travailler un texte pour le comprendre. Une première tension vécue par l’enseignant renvoie à la conformité / créativité. Ainsi, lorsque PFS 1 évoque ce qu’il fait apparaître sur son tableau (i.e. : squelette de la leçon, idées importantes à retenir, mots difficiles ou nouveaux), il se conforme quelque peu à ce que met en place un enseignant en planifiant une leçon, alors que lorsqu’il évoque les grilles qu’il trace sur son tableau pour aider les élèves, il fait preuve de créativité, dans son intervention formative. Une deuxième tension liée à l’utilisation des grilles par les élèves réside entre autonomie / imitation, autrement dit instrumenter les élèves pour les rendre autonome, et leur fournir des modèles qui finissent par être des normes à respecter. Selon les enseignants, les grilles constituent pour les élèves des guides qui déterminent l’information à rechercher et la manière de l’organiser, mais aussi représentent des éléments d’appui non limitatifs. Les élèves doivent savoir les dépasser pour faire

preuve d’originalité. Les enseignants disent reproduire ces grilles dans la partie centre du tableau pour qu’ils soient plus visibles par tous les élèves. Par exemple, pour faire la situation du texte du poème « Femme noire » de Senghor en classe de Terminale, PFS3 (eg5) dit utiliser avec ses élèves la grille reproduite ci-dessous38 :

Grille 1 Pour faire la situation d’un texte

Année Contexte historique ou littéraire Auteur + élément de biographie pertinent

Verbe + Œuvre + Genre

Titre du texte

En 1945, à la fin de la deuxième guerre

mondiale, le poète-président Senghor, chantre de la Négritude, publie Chants d’ombre, recueil poétique dans lequel

est extrait le poème « Femme noire ».

Lors du 5e entretien de groupe, d’autres enseignants ont dit aussi travailler avec leurs élèves en utilisant des grilles pour les aider à mieux écrire leurs paragraphes argumentatifs, mais également à avoir un contrôle sur la grammaire de la phrase. L’une des grilles qu’ils disent utiliser ressemblerait à ceci :

Grille 2 Pour rédiger un paragraphe argumentatif

A S P E C T S D U T H È M E GRAMMAIRE

Quoi? Pourquoi? Comment? Illustration?

S V C S V C S V C S V C social culturel politique religieux historique littéraire économique juridique philosophique scientifique

etc. Idée maîtresse Argument à valeur justificative

Argument à valeur explicative

Citation ou Exemple

                                                                                                               

Dans leurs discussions sur l’utilisation de ces grilles, les enseignants disent soutenir de manière formative les apprentissages des élèves en leur procurant des outils susceptibles de les rendre autonomes dans leurs apprentissages. Par exemple, pour aider les élèves à réaliser des commentaires de texte mettant le style au service d’une meilleure compréhension de la pensée profonde de l’auteur, PFS1 dit donner aux élèves et exploiter avec eux un tableau contenant des outils d’analyse de textes littéraires (e.g.3). Les enseignants ajoutent que ces grilles et tableaux sont souvent reproduits par les élèves comme des béquilles pour se guider lors des évaluations. Cependant, l’idée même d’utilisation de ces grilles comme béquilles dans des circonstances d’action où les élèves sont sensés mettre en exergue cette autonomie semble révéler une certaine tension dans l’action des enseignants, liée à ce que Giddens (1987/2012) appelle une « conséquence non intentionnelle de l’action », en ce sens que « toute action se produit dans un contexte qui, pour chaque acteur, inclut nombre d’éléments qu’il n’a pas contribué à créer et sur lesquels il n’a aucun contrôle véritable » (p. 412). Ainsi, même s’ils fournissent ces grilles comme guides, cela limite quelque peu la créativité des élèves qui s’en servent comme des outils incontournables pour bien rédiger. En définitive, elles finissent par devenir pour les élèves des normes à respecter.

En résumé, l’utilisation que font les enseignants du tableau noir (grilles et tableaux) serait une sorte d’intervention formative qui consiste à instrumenter les élèves pour les rendre plus autonomes. Dans cette logique, les enseignants mettent à contribution un savoir-faire qui laisse transparaître une certaine inventivité. Mais les instrumenter, c’est aussi leur donner des modèles à suivre, ce qui n’est pas sans poser de problèmes. Comme je l’ai relevé précédemment, cette intervention formative serait révélatrice d’une tension entre conformité / créativité, la tendance à la conformité encouragée par l’instrumentation qu’ils fournissent relevant d’une conséquence non intentionnelle.