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Le problème spécifique et la première formulation de la question de recherche Le vent de renouveau qui a agité le monde de l’éducation depuis certaines décennies a

suscité, au niveau de l’École sénégalaise, une volonté de changement manifestée dans la réécriture des programmes d’enseignement de français et la demande faite aux enseignants œuvrant dans cette discipline de privilégier la fonction formative de l’évaluation dans leurs pratiques quotidiennes. Comme on le verra, je rappelle la complexité du contexte de mise en œuvre de l’évaluation formative pour les enseignants de français sénégalais, d’autant plus si on retient une conception de l’évaluation intégrée à l’apprentissage, mise en œuvre dans la démarche didactique. Je reviens aussi sur certaines idées essentielles qui sont ressorties de la recension d’écrits sur l’évaluation formative, dans le but de situer ma recherche et en cibler la question centrale.

Comme je l’ai fait valoir (cf. section 1.1.2.2), les enseignants de français sénégalais doivent mettre en œuvre l’évaluation formative dans un contexte particulier, marqué par des situations de classes à effectifs pléthoriques, car dans beaucoup de classes de l’École sénégalaise, ils dépassent de loin les seuils de 25 à 30 élèves conseillés par l’UNESCO. Également, pour                                                                                                                

16 Pour plus d’informations sur les études dont je fais référence ici, il est possible de se reporter au Colloque Aix-en-

assurer cette fonction formative de l’évaluation, le NPF/ESG (2008) ne donne que des orientations très générales, sans préciser ses modalités de mise en œuvre pour soutenir le développement des compétences des élèves. Dans cette perspective, il semble logique de penser que les acteurs de terrain n’ont pas nécessairement la même représentation, même ceux qui exercent dans un même établissement et qui partagent les mêmes conditions de travail. Ce sont donc les enseignants qui sont responsables de la mise en œuvre de cette fonction formative de l’évaluation, dont la visée de différenciation se heurte au défi des classes pléthoriques.

Au plan de la recherche (cf. section 1.1.3), l’évaluation formative est reconnue comme un puissant levier pour assurer la réussite d’un nombre plus grand d’élèves, compte tenu de son importance dans la régulation des apprentissages qui se joue au cœur des interactions en classe (cf. section 1.2.1.2); elle est ainsi considérée comme une approche fondamentale dans le cadre de l’amélioration des processus d’enseignement/apprentissage (Allal, 1991; Allal & Mottier Lopez, 2005; Black & Wiliam, 1998; 2005; 2009). Elle permettrait aux enseignants de situer la progression des élèves, d’identifier leurs besoins et, par conséquent, d’ajuster leur enseignement en continu pour soutenir les apprentissages. Les auteurs consultés ont documenté sous divers angles les pratiques d’évaluation formative : des stratégies interactives, des techniques de rétroaction, etc.

Toutefois, comme le relève Morrissette (2011) dans sa récente recension des écrits, les recherches sur l’évaluation formative ont surtout adopté une approche normative. À titre d’exemple, l’idée « d’efficacité » retenue par les auteurs (Ammar, 2008; Ammar & Spada, 2006; Lyster, 2004) illustre bien ce jugement de la pratique à l’aune d’une norme extérieure. En outre, plusieurs chercheurs n’intègrent pas le point de vue des enseignants qui sont pourtant les artisans de la mise en œuvre de l’évaluation formative et qui ont un point de vue unique sur ses enjeux et tensions en relation avec le contexte spécifique de la pratique. Enfin, comme j’en ai fait état, il y a un nombre important de propositions théoriques; si elles peuvent se révéler fécondes pour le monde occidental, elles semblent très éloignées des particularités des écoles africaines.

Par ailleurs, quelques études abordent les pratiques avec une posture plus compréhensive, s’étant intéressées à dégager les logiques qui les sous-tendent en donnant une voix aux enseignants du primaire (Morrissette, Mottier Lopez & Tessaro, 2012). La présente recherche s’inscrit dans le sillage de ces études, considérant que le point de vue des principaux concernés

est incontournable pour comprendre leurs pratiques. Elle tient également compte du caractère tacite du savoir-faire enseignant, relevé précédemment avec Rodet (2000) qui évoquait les stratégies de rétroaction qui infiltreraient la pratique pédagogique à l’insu de l’enseignant. L’originalité de la présente étude tient au fait qu’elle cible la classe de français au secondaire.

Également, comme l’a documenté Morrissette (2010a), les enseignants s’y prennent de diverses manières pour assurer la fonction formative de l’évaluation. Mais qu’en est-il des manières de faire dans les classes à effectifs pléthoriques? Sur ce point, les interrogations demeurent encore compte tenu du fait que les pratiques d’évaluation formative dans le contexte des écoles africaines n’ont à peu près pas été examinées, et ce, même si dans plusieurs pays (Burkina Faso, Mali, Sénégal, etc.), les enseignants doivent conjuguer la pratique de l’évaluation formative avec le contexte des effectifs pléthoriques. Sur cette considération, seule la recherche d’O’Sullivan (2006) nous donne quelques indications.

Au Sénégal, si nous voulons savoir comment relever le défi de la qualité des apprentissages dans la discipline du français au niveau de l’enseignement secondaire, il est important de commencer par chercher à comprendre comment font les enseignants de français sénégalais pour soutenir le développement des compétences de leurs élèves par le biais de l’évaluation formative pratiquée dans le cadre de la démarche didactique, en contexte d’effectifs pléthoriques. Dans cette perspective, la première formulation de la question de recherche est la suivante :

Comment, en contexte d’effectifs pléthoriques, l’évaluation formative s’exerce-t- elle au cœur de la démarche didactique des enseignants de français sénégalais, de leurs points de vue ?

Pour aborder cette question, j’ai choisi un éclairage conceptuel sur la relation entre l’évaluation formative et la régulation des apprentissages, deux concepts qui semblent indissociables selon les auteurs consultés (cf. section 1.1.3). Également, le caractère prescriptif et normatif des recherches sur les pratiques enseignantes justifie l’option d’aller puiser au domaine

des savoirs pratiques une posture plus compréhensive, qui reconnait que les praticiens ont une compréhension en contexte nécessaire à l’étude des questions en lien avec leurs pratiques, ayant construit au fil de l’expérience un savoir-faire viable.