• Aucun résultat trouvé

Chapitre 3 UN PREMIER REGISTRE D’ANALYSE

3.1 Le travail d’analyse du contexte de la pratique

3.1.1 L’état des lieux du cadre de travail des enseignants

Les entretiens de groupe ont été pour les enseignants une occasion de revisiter le contexte qui façonne en partie leurs pratiques quotidiennes, tant au plan institutionnel pour lequel ils exercent peu de contrôle semble-t-il, qu’au plan de la classe pour lequel ils ont une plus grande

marge de manœuvre. Comme on le verra, cet état des lieux éclaire en partie les conditions du travail enseignant.

3.1.1.1 sur le plan institutionnel

Pour expliquer les conditions de leurs pratiques, les enseignants se sont appuyés, en partie, sur le contexte institutionnel dans lequel ils interviennent, soit les situations qui touchent l’institution scolaire et avec lesquelles ils doivent négocier. Leur rapport à ces situations se situe surtout dans le sens des conséquences des caractéristiques de ce contexte institutionnel qui se répercutent sur l’exercice de leur métier. Par exemple, les enseignants relèvent qu’ils ont dû faire face à une situation exceptionnelle tant au plan national que local, avec le démarrage tardif des cours. Au plan national, les enseignants expliquent que cette situation a été occasionnée par la prolongation des examens du baccalauréat 201229 sur le début de l’année scolaire 2013. Leur lycée étant retenu comme centre d’examen, les cours ne pouvaient donc pas débuter au mois d’octobre. Aussi, ils expliquent que même si cela n’avait pas été le cas, il reste que certains de ces enseignants étaient appelés à participer dans les jurys du baccalauréat. Dans certains cas, l’administration est aussi mobilisée pour le suivi des dossiers et résultats des candidats du lycée, voire la supervision des examens. Tout cela concourait donc à rendre difficile le déroulement des cours au mois d’octobre, comme c’est le cas habituellement.

Au plan local, les enseignants expliquent que le lycée a aussi reçu beaucoup d’élèves en provenance des collèges environnants et orientés dans les classes de 2nde. Ces nouveaux arrivants, ajoutés au nombre d’élèves déjà inscrits dans les classes de 1re et Terminale, portent l’effectif d’élèves à un nombre qui dépasse largement les capacités d’accueil du lycée. Les enseignants soutiennent qu’il s’agissait d’une situation assez difficile pour l’établissement et à laquelle ils étaient tous invités à réagir. Un des enseignants revient sur la situation :

                                                                                                               

29 Cette situation est elle aussi la conséquence des grèves de syndicats des enseignants enclenchées à un moment où

les responsables politiques étaient engagés dans la campagne électorale des présidentielles de 2012 ; période marquée par une vive tension sociale autour de la candidature du président de la république décidé à briguer un 3e mandat que des sénégalais de l’opposition politique et de la société civile trouvaient non conforme aux dispositions de la Constitution. Extrait de Slate Afrique du du 22 février 2012. [www.slateafrique.com/82847/senegal] (page consultée le 12 mars 2013).

Je me rappelle que face à cette situation jamais vécue par le lycée, tout le monde était inquiet. Le proviseur a fait preuve de beaucoup d’ingéniosité pour agir à la fois sur les horaires des cours, sur les emplois du temps, la disponibilité des salles de classe et les effectifs. Il a inventé et opérationnalisé son concept de « Journée continue double flux », et il a réglé le problème. (PFS 5, eg1)

Les enseignants parlent de la « Journée continue double flux » comme une sorte de compromis qui a permis l’ouverture des classes dans la 2e quinzaine du mois de novembre, à un moment où les élèves menaçaient déjà d’aller en grève pour se faire entendre par les autorités en charge de l’éducation. Ils racontent aussi que de leurs côtés, ils ont dû accepter de s’ajuster eux- mêmes pour sauver la scolarité des élèves en se soumettant volontiers aux contraintes30 de la « Journée continue double flux ».

Vu sous ce rapport, le contexte institutionnel dans lequel évoluent les enseignants semble particulièrement complexe, au regard de l’ensemble des caractéristiques sur lesquelles ils n’ont en définitive que très peu de prise, mais dont les manifestations se répercutent sur les conditions de leur pratique. Envisagé dans le sens de la mise en œuvre de l’évaluation formative, ce contexte constitue un défi majeur pour les enseignants, en ce sens qu’il présente tout un ensemble de caractéristiques susceptibles d’influencer les processus d’agencement spatio-temporel des situations d’apprentissage. Les enseignants s’appuient en partie sur les informations dont ils disposent sur ce contexte pour envisager des façons de faire qui profitent aux apprentissages des élèves. Pour le dire autrement, si les enseignants font l’analyse du contexte institutionnel, ce n’est pas pour s’y complaire, mais plutôt pour se donner les moyens d’adapter et de maximiser leurs façons de soutenir les apprentissages des élèves suivant les représentations qu’ils se font de l’évaluation formative.

Par ailleurs, il semblerait que c’est le besoin d’inscrire chaque élève orienté au lycée dans une classe, avec un emploi du temps fonctionnel et des enseignants disponibles pour chacune des disciplines (i.e. : français, anglais, mathématiques, histoire et géographie, etc.) qui serait à l’origine du grand nombre d’élèves que l’on retrouve par classe.

                                                                                                               

30 En adhérant à la politique de la « Journée continue double flux », les enseignants acceptent de dispenser des cours

3.1.1.2 sur le plan de la classe

Dans les échanges relativement à leurs conditions de travail, les enseignants ont également insisté sur les classes pléthoriques avec lesquelles ils composent au quotidien. Il s’agit de classes où les effectifs d’élèves sont largement au-dessus des 45 élèves, reconnu par le Ministère de l’éducation comme un effectif raisonnable pour une classe. Les enseignants expliquent que si pour les classes de 1re et Terminale, ils ont des effectifs qui tournent autour des 55 élèves, pour les classes de 2nde, les effectifs varient entre 60 et 66 élèves par classe. Cette situation, qu’ils appellent « massification des classes » ou « classes Chine populaire »31, a selon eux l’inconvénient d’être à l’origine de nombreux blocages dans le déroulement normal des cours. Un des enseignants explique :

C’est le genre de classes qui te demandent beaucoup de tact pour travailler avec les élèves. Tu es obligé de chercher d’autres petites astuces pour ne pas avoir un groupe d’élèves qui dorment parce qu’ils ne te suivent pas. (PFS 3, eg2)

Les enseignants donnent plus de détails sur la complexité d’enseigner des classes à effectifs pléthoriques. Selon eux, l’un des défis majeurs est la participation effective des élèves dans la construction interactive et collective du savoir à partager. Pour eux, dans ce contexte, le risque est grand de ne travailler qu’avec un petit nombre d’élèves, soit généralement ceux qui s’assoient devant, un peu autour des trois premières tables en face du bureau de l’enseignant. Ce sont pour la plupart du temps ces élèves qui répondent aux questions et qui vont au tableau, le reste des élèves étant plus ou moins « absents ». Pour mieux étayer leurs propos, les enseignants comparent les classes pléthoriques avec les classes de taille moyenne pour lesquelles, selon eux, il est beaucoup plus facile de faire travailler tous les élèves, compte tenu de la situation de proximité qu’elles occasionnent. Ils expliquent qu’avec un petit nombre, il est facile de faire participer tous les élèves, alors que pour les classes pléthoriques, il leur faut beaucoup de « créativité et d’ingéniosité » pour proposer un enseignement qui profite à tous les élèves et auquel chacun a apporté sa petite contribution.

                                                                                                               

31 D’autres expressions comme « classes à grands effectifs » sont aussi utilisées par les enseignants, pour désigner les

PFS 6 : Les élèves souvent rechignent à prendre la parole dans ces classes aux effectifs pléthoriques […].

PFS 8 : C’est vrai. Mais pour moi, c’est justement là que les astuces entrent en ligne de compte […].

PFS 9 : Oui. Je suis d’accord, mais il faut avoir l’expérience pour ça.

PFS 1 : Je partage cela. Pour mon cas par exemple, je me suis libéré de certaines formes de pratiques qui s’inscrivent dans la logique de ce que nous avons appris à l’École normale, pour tenter des stratégies d’enseignement qui ont été efficaces et les élèves ont gagné. (eg.3)

Cet échange entre les enseignants permet de mesurer la complexité de travailler avec les classes à effectifs pléthoriques, d’une part, et d’apprécier leur prise de conscience du fait qu’ils doivent faire appel à leur créativité, d’autre part. Cette prise de conscience serait en partie à l’origine d’une certaine distance qu’ils disent avoir dû prendre par rapport à des méthodes classiques32 qui leur ont été enseignées au cours de leurs formations.

Vu sous cet angle, le contexte de classe dans lequel évoluent les enseignants semble particulièrement marqué par l’ensemble des caractéristiques propres à l’effectif (taille et participation des élèves). Ceux-ci constituent pour les enseignants des défis qui jouent sur les modalités de participation en salle de classe, dans le sens de l’évaluation formative telle qu’ils se la représentent. Comme on le verra (cf. sections 3.2 & 3.3), les enseignants opèrent tout de même des « bricolages » pour déjouer les contraintes du contexte de classe au travers d’un ensemble de variations sur les postures relationnelles avec les élèves autour des objets d’apprentissage. En outre, la complexité du contexte va donner aux interactions enseignant-élèves une couleur particulière, car la structure des situations semble considérée par les enseignants comme contenant des ressources potentielles pour la pratique de l’évaluation formative. Il semblerait d’ailleurs que c’est ce même souci de dispenser un enseignement qui prenne en compte les problèmes d’apprentissage de chacun des élèves qui serait à l’origine de l’état des lieux de leurs difficultés particulières.

                                                                                                               

32 Par méthodes classiques, les enseignants sous-entendent la méthode expositive (i.e. : présenter un cours sans