• Aucun résultat trouvé

LA DEUXIEME REPUBLIQUE ET L’OUVERTURE A L’ECONOMIE DE MARCHE

3.1 LA TRANSITION MILITAIRE : VERS L’OUVERTURE ET LA DEMOCRATISATION (1984-1993) DEMOCRATISATION (1984-1993)

3.1.3 Une réforme généralisée de l’Etat et de l’économie

3.1.3.1 La réorganisation de l’économie selon des principes libéraux

Le plan d’ajustement structurel guinéen est lancé le lendemain même de l’intervention du Président Conté et constitue le point de départ de la transformation effective du fonctionnement de l’économie (Topol, 1989).

Il débute par la réforme monétaire et bancaire de décembre 1985 et janvier 1986. Le gouvernement procède à une dévaluation de la monnaie, accompagnée du changement de signe

monétaire : c’est le retour du franc guinéen, à un taux de change nettement plus réaliste157 ; ce

réajustement en fait dorénavant une monnaie convertible. Parallèlement, la BCRG est restructurée et des anciens établissements financiers guinéens sont fermés au profit de trois nouvelles banques à

capital mixte, notamment français, la SGBG, la BICIGUI et l’UIBG158. La libéralisation des prix (juin

1987) accompagne la réforme monétaire et bancaire : l’ancien système des prix administrés est démantelé et les subventions aux produits et services publics sont progressivement supprimées. Les commerçants privés, auparavant brimés, peuvent dorénavant jouer un rôle déterminant dans la dynamique économique. Surtout, la libéralisation des échanges doit permettre prioritairement de stimuler les activités de productions rurales, encouragées par les objectifs du CMRN qui souhaite l’autosuffisance alimentaire :

Ce projet, c’est l’autosuffisance pour tous les produits essentiels au bien-être :

alimentation, logement, habillement, etc. (Conté, 22 décembre 1985)

Cette stimulation du monde rural fait l’objet d’un dispositif d’accompagnement technique, piloté par de nombreux experts étrangers. C’est « le retour des opérateurs de développement » : les interventions directes dans le milieu rural se multiplient à partir de 1987 sous la forme courante de projets (Cheneau-Loquay, 1989).

La restructuration des entreprises publiques évolue peu jusqu’en 1987, en raison des difficultés à évaluer leurs actifs, de la faiblesse du tissu national d’investisseurs et du manque de confiance des investisseurs privés étrangers. Les efforts infrastructurels et monétaires, ainsi que le nouveau code des investissements élaboré fin 1987 facilitent ensuite l’accélération du processus. Entre 1985 et fin 1989, seulement une cinquantaine d’entreprises, dont 17 unités industrielles, ont

157

Fin 1984, le change officiel de la monnaie guinéenne est nettement surévalué : 1 dollar pour 25 sylis alors que le taux réel est de 1 dollar pour 355 sylis.

158

La SGBG : La Société Générale des Banques en Guinée ; la BICIGUI : Banque Internationale pour le Commerce et l’Industrie en Guinée ; l’UIBG : Union Internationale des Banques en Guinée.

pu être liquidées par l’Etat, grâce aux investissements étrangers. A terme, 120 entreprises publiques sont fermées. Ces privatisations sont réalisées dans un climat tendu, le gouvernement étant alors accusé de « brader le patrimoine national » (Topol, 1989), notamment par les investisseurs guinéens ; finalement, ces derniers multiplient également les initiatives privées à partir de 1987. Mais ce réveil des investisseurs nationaux s’avère insuffisant, puisque l’Etat a dû mettre entre les mains de l’étranger la gestion de secteurs névralgiques, comme celui de l’énergie. En effet, cette réforme consacre le retour en force de l’occident (Topol, 1989) dans l’économie guinéenne : industries agro-alimentaires, approvisionnement en hydrocarbures, mais aussi services d’intérêt public comme l’hydraulique urbaine (approvisionnement en eau potable) ou l’électricité.

Les industries extractives continuent de fonctionner comme si rien ne s’était passé : symboliquement, l’usine de minerai de bauxite de Kamsar ne s’est arrêtée que quelques heures le 17 mars, pour rendre hommage au défunt président Sékou Touré ; il s’agit là du seul arrêt de la production qu’ait connu cette usine depuis sa mise en service.

3.1.3.2 La mise sur pied d’un Etat de droit et d’une nouvelle

administration du territoire

Parmi les objectifs du PAS figure la consolidation d’un Etat de droit. L’instauration et l’application d’un cadre juridique et administratif représente un facteur, d’un point de vue économique, de sécurisation de l’environnement. L’élaboration d’une réglementation adaptée au nouveau contexte doit permettre de recentrer et de réduire le rôle économique de l’Etat, notamment dans la préservation des grands équilibres macro-économiques qui doivent garantir un contexte de développement socio-économique.

Dans une économie de libre entreprise, l’Etat doit maintenir les principaux équilibres économiques : budget, échanges extérieurs.

Sinon le véhicule dérape : la monnaie se déprécie et les réformes échouent. (Conté, 22 décembre 1985)

Pour la population guinéenne, l’Etat de droit doit apporter, à travers la sécurisation physique et sociale des personnes, les bases nécessaires à l’élargissement des libertés individuelles d’investissement, de circulation ou encore d’opinion ; en somme les bases d’une démocratisation. Largement inspiré par les bailleurs de fonds internationaux, ce volet de la réforme doit aboutir, à terme, à l’organisation d’élections libres en Guinée.

Les ministres de la Justice et de la Sécurité ont une tâche impérieuse et urgente à remplir : faire de la Guinée un Etat de droit, un Etat respectueux des Droits de l’Homme et des libertés individuelles .(Conté, 22 décembre 1985)

CHAPITRE 3 : L’OUVERTURE GUINENNE DURANT LA DEUXIEME REPUBLIQUE

139

La réforme comprend aussi un volet territorial important, avec la réorganisation de l’administration du territoire guinéen, là encore, auparavant organisé autour du Parti-Etat et de ses différentes subdivisions territoriales. Dès le 22 décembre 1985, s’engage alors un double processus. Tout d’abord, un processus de restructuration, dans les circonscriptions territoriales (préfectures, sous-préfectures), des services déconcentrés de l’Etat, qui sont chargés de « veiller à l’exécution des lois, des règlements et des décisions gouvernementales mais aussi au respect de l’ordre public dans la préfecture » (Rey, 2007). En outre, la réforme amorce un processus de décentralisation (districts, Communautés Rurale de Développement) à travers la création de collectivités locales, dont l’objectif est de « permettre aux communautés locales de s’autogérer et de se développer » (Rey, 2007).

Nous faisons le choix d’une société fondée sur les solidarités naturelles mises au service du développement.

Renforcer ces solidarités là où elles existent encore, c’est l’objet de la décentralisation. […] Partout où cela est nécessaire et sans qu’aucune contrainte ne leur soit imposée, nos villageois doivent redéfinir les limites de leur district et désigner de nouveaux représentants. […]

Entre districts voisins se créeront progressivement de nouvelles solidarités et leurs populations prendront conscience de la nécessité de se regrouper au sein d’unités plus vastes.

Ce seront les communautés rurales de développement que je souhaite mettre progressivement en place.

(Conté, 22 décembre 1985)

La réorganisation ou plutôt la reconstruction de l’Etat apparaît ainsi comme une priorité absolue. Un travail considérable a été accompli en matière de textes règlementaires de toutes sortes : dès 1984, dans le cadre du « programme intérimaire de redressement national », s’engage une véritable « frénésie de réformes » dont, pour les plus importantes (Charles, 1989, 2007): réforme de l’éducation (1984-1986), codes de déontologie régissant les professions de santé (septembre 1984), code des investissements (octobre 1984), réglementation de la profession commerciale (mai 1985), réforme monétaire et bancaire (septembre 1985 et janvier 1986), principes régissant les services publics (janvier 1986), code minier (mars 1986), création des collectivités décentralisées (mars 1986), processus d’évaluation des personnels de direction de l’Etat (avril 1986), réorganisation judiciaire (juillet 1986), etc. Les réformes de structure ne se comptent plus, tous les secteurs de la société sont directement concernés, car tout est à refaire (Charles, 1989, 2007).

3.1.3.3 La difficulté du « dégraissage administratif »

Cet objectif important du plan d’ajustement structurel guinéen est à la fois une volonté idéologique issue des principes libéraux qui sous-tendent l’analyse du développement, ainsi qu’une nécessité incontournable de réorganiser un appareil d’Etat centralisé, corrompu, souvent incompétent et inapte au projet d’organisation de l’Etat :

L’Etat, ou plutôt ce qui en tient lieu, est devenu le premier brigand de Guinée. A sa place, pour cacher le système, il y a le parti.

Aujourd’hui le parti a disparu mais le système est toujours là. Il se love dans les ruines de l’Etat et de l’économie.

Pour l’en chasser, il faut faire de profondes réformes. Cela ne se fera pas en un jour, ni sans efforts. La période de transition sera difficile. […]

Les structures sont inadaptées et les responsabilités totalement diluées : personne n’ose prendre de décision, tout remonte jusqu’au sommet. […]

A la fonction publique, nous avons hérité de la pagaille. Nous allons réformer l’administration.

En effet, à la chute de la première République se pose une question centrale : comment fonctionner avec un appareil d’Etat hérité, avec des cadres aux « comportements forgés dans la logique de l’Ancien Régime » (Topol, 1989), où vols et corruption avaient été érigés en modes de fonctionnement à toutes les échelles ? Il s’avère que dans tous les départements, des problèmes de gestion existent. Egalement, le désengagement de l’Etat de secteurs entiers de l’économie impose de nombreux allègements et refontes.

Ainsi condamnée pour ses déficiences, l’administration centrale, à tous les étages de la pyramide, subit alors une profonde transformation : « on procède […] à une révision systématique de l’ensemble des appareils étatiques au travers des différentes structures ministérielles et de leurs agents. » (Charles, 1989). Outre la restructuration des ministères et des services, l’objectif est de réduire de 45 000 à 50 000 le nombre de fonctionnaires. Parmi les hésitations dans les réformes engagées, le dilemme de l’assainissement de la Fonction Publique divise le CMRN : il s’agit de supprimer près de 40% des effectifs et de limiter la masse salariale dans un contexte de réajustement

inflationniste159, au risque de provoquer un mécontentement populaire, préjudiciable au pouvoir de

159

Dans les premières années du gouvernement de transition, la Guinée connaît une forte inflation correspondant à l’ajustement des prix sur le marché intérieur, auparavant contrôlés par l’Etat, à ceux du marché international : 78% en 1986, 32% en 1987, 23,5% en 1988.

CHAPITRE 3 : L’OUVERTURE GUINENNE DURANT LA DEUXIEME REPUBLIQUE

141

transition160. Ainsi jusqu’à la fin 1986, la réforme de l’Etat est une « grande réforme en panne » : le

« dégraissage » de l’administration est largement inférieur aux objectifs fixés par le FMI et la Banque Mondiale : en septembre 1988, les effectifs avaient été réduits de 18% au lieu des 50% souhaités.

Lors de la première phase du PREF (jusqu’en 1988), la mise en œuvre du processus de restructuration, voulu progressif par le président Conté, s’effectue au moyen de méthodes de transition : départs en préretraite, défonctionnarisation, reconversion ou départs volontaires. Lors de la deuxième phase qui débute en 1989, les méthodes se durcissent, notamment par le biais d’une évaluation élargie des cadres de la fonction publique qui aboutit à de nombreux évincements : les « déflatés ». 6 000 fonctionnaires sont concernés, principalement dans l’administration régionale et

les préfectures161. En 1991, 25% des objectifs quantitatifs sont atteints. On reste tout de même loin

des objectifs affichés.

3.1.4 L’avènement de la Deuxième République et les espoirs

Documents relatifs