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L’inefficacité d’un système économique collectivisé, planifié et financièrement fragile

La géographie a donné à la Guinée un sol et un sous-sol d’une grande richesse et un potentiel humain remarquable ; l’époque coloniale avait vu s’amorcer la mise en valeur de ces ressources et, dès les années 50, l’avenir s’annonçait plein de promesses, car ce pays était considéré, tant sur le plan agricole que sur le plan minier, comme celui de l’Afrique Occidentale dont le développement était le mieux assuré. Un quart de siècle plus tard, la Guinée figure encore sur la liste, dressée par l’ONU, des 36 pays les moins avancés et les anciens dirigeants, Sékou Touré en tête, ne peuvent dissimuler le retard et les échecs. (Lewin, 1984)

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Le dirigisme des autorités s’immisce dans la conception même des répertoires. Les thèmes devaient être plus ou moins révolutionnaires ou « progressistes », mais ils étaient, le plus souvent, intelligemment adaptés d’anciens thèmes traditionnels (Colomer, 2005 ; Lewin, 2005).

Un jeu d’ « apprentis sorciers » de l’économie Aux lendemains d’une l’indépendance douloureusement acquise, les dirigeants de la Première République doivent également mettre sur pieds une économie nationale. Comme le souligne A. Lewin, à la mort du Chef Suprême de la Révolution 26 années plus tard, le bilan est loin des objectifs initiaux. B. Charles (2007) ajoute que « si dans le domaine politique les excès et les abus retiennent surtout l’attention au détriment d’éléments positifs, dans le domaine économique ce sont les contre-performances en regard des potentialités. »

Si, au niveau politique et administratif nous avons mentionné le manque d’expérience des cadres, des agents et des techniciens guinéens, le même constat peut être formulé pour le secteur économique. Le retrait total de l’ancienne colonie française pèse, là encore, de tout son poids sur l’amorce de l’économie nationale : rapatriement des ressortissants, retrait des crédits, arrêt des études et des aménagements en cours, etc. Puis, dans un contexte d’urgence lié à l’indépendance, en s’appuyant sur ses nouveaux partenaires extérieurs et suivant une pensée socialiste clairement préconfigurée dans celle du PDG, « le gouvernement guinéen prend rapidement des mesures radicales de socialisation, de collectivisation, de nationalisation et d’étatisation de l’économie » (Lewin, 1984). Ce vaste mouvement concerne, peu ou prou, tous les secteurs de l’économie, soit sous la forme d’entreprises nationales ou de sociétés mixtes, soit sous la forme de petites entreprises privées sous contrôle indirect de l’Etat : dans le secteur agricole se développent des formes collectives de production au niveau des PRL, dans le secteur minier sont crées des sociétés mixtes comme la Compagnie des Bauxites de Guinée de Kamsar, ou encore dans le secteur du commerce de gros et de détail, l’Etat établit son monopole, sur le commerce extérieur et intérieur en créant des Comptoirs Guinéens du Commerce, gestionnaires de chaînes de magasins d’Etat présents à chaque échelle de l’organisation territoriale du pays.

Une planification au « coup par coup » Pour ce faire, le régime guinéen s’appuie notamment sur son appareil administratif, sur la structuration du territoire national par le Parti-Etat, ainsi que sur un vaste programme de

planification126, dispositif censé amener la Guinée sur une voie de « développement

non-capitaliste ». D’après O. Dore, la planification devait permettre d’une part un meilleur équilibre des secteurs économiques orientés vers la satisfaction des besoins nationaux, d’autre part la maîtrise des instruments de gestion économique mis en place par le nouveau régime. La Guinée révolutionnaire connaît ainsi, entre 1960 et 1984, quatre plans successifs.

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« Le plan est, au sens général, une représentation schématique d’une chose à faire ou l’ensemble des dispositions arrêtées pour l’exécution d’un projet. En économie, le mot a d’abord désigné un ensemble cohérent d’objectifs particuliers et de moyens pour les réaliser, le plan ayant pour but d’organiser, en fonction des objectifs le plus rationnellement et le plus économiquement possible, les moyens. » (Dore, 1985)

CHAPITRE 2 : UNE RELECTURE GEOHISTORIQUE DES DYNAMIQUES SPATIALES

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Les deux premiers, l’un triennal (1960-1963), l’autre septennal (1964-1971), ont pour objectif global de créer les bases de l’indépendance économique en développant les infrastructures administratives et de transport, en augmentant et en diversifiant la production agricole, en créant une industrie nationale et en développant les infrastructures sanitaires et scolaires (annexe 4). Hélas, l’inexpérience guinéenne en matière de gestion économique, notamment dans les phases d’élaboration, de hiérarchisation, d’harmonisation et de coordination des actions, ainsi qu’en matière de gestion et de contrôle, est un important facteur de leur échec et de la dégradation progressive de la situation économique du pays : « sans que jamais pourtant le peuple ne connaisse la disette, les étals de magasins et des marchés sont pauvrement garnis, la plupart des produits de consommation manquent, les circuits de commercialisation des sociétés d’Etat sont inefficaces et les moyens de transport très insuffisants, la fraude fleurit avec les rares marchandises importées par l’Etat et le trafic s’intensifie aux frontières […] ; le troc et l’autosubsistance s’installent » (Lewin, 1984).

Les deux plans quinquennaux (1973-1978 et 1981-1985) suivants sont orientés vers l’autosuffisance alimentaire et cherchent à favoriser le développement du monde rural et la transformation de ses productions. Ils sont mis en œuvre alors que la situation économique est déjà dégradée et qu’elle devient même difficile à partir de 1975. Dans ce contexte, l’échec de ces plans est dû au manque d’approvisionnement en produits importés de construction et d’équipement technique, de matières premières, d’énergie. Alors que la déliquescence administrative devient plus liée à la corruption qu’à l’inexpérience et que la gestion économique se rapproche plus de l’improvisation, la mort de Sékou Touré et le changement de régime en 1984 viennent mettre un terme au dernier plan, qui restera inachevé.

L’errance monétaire Témoignage de la fragilité de ce système, la monnaie guinéenne a connu d’énormes difficultés durant la Première République : l’expérience monétaire guinéenne peut se résumer à un « voyage au bout de la nuit » (Dore, 1985). Le franc guinéen, instrument de premier plan de la politique économique de l’Etat, symbole de la souveraineté nationale, est née en 1960. A sa création, la valeur de la monnaie guinéenne est étalonnée sur l’or, Sékou Touré refusant l’appartenance à la

zone monétaire du franc, monnaie devise127. Cette réforme monétaire était présentée comme un

outil nécessaire au financement des objectifs de développement, alors que la participation nationale ne représentait que finalement 20% de leur financement, les 80% restant dépendant d’apport extérieurs (prêts, dons, aides etc.). Elle permettait, avec la création de la Banque Centrale de la République de Guinée (BCRG), de mettre en place un monopole monétaire (émission, crédit, change) et de « rendre impossible toute évasion de capitaux et tout rapatriement de bénéfices » (Dore,

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1985) ; « Cette politique revenait à vouloir vivre sur les ressources provenant de l’exploitation par les sociétés étrangères des richesses naturelles, ce qui a eu et a toujours pour conséquence de rendre le pays totalement dépendant de l’étranger ». Cette politique monétaire incohérente a engendré de nombreuses tensions avec les investisseurs publics ou privés, en décourageant même la plupart de ces derniers. Au regard du fonctionnement de l’Etat, la monnaie guinéenne s’est avérée instable, le pouvoir révolutionnaire ayant recours à l’inflation pour financer la balance commerciale, les investissements et les entreprises publiques déficitaires. Dès 1963, la masse fiduciaire augmente rapidement et l’inflation finit par atteindre 300% en 1972. Face au mécontentement des opérateurs économiques et des consommateurs, le franc guinéen est abandonné en 1972 au profit d’une nouvelle monnaie, le syli. Mal accueillie, cette nouvelle monnaie connaît le même sort que le franc guinéen : absence de confiance des acteurs économiques, inflation, etc. En 1981, alors que dans les échanges le syli semble quasi abandonné au profit des devises (franc CFA, franc français, dollar, etc.), une nouvelle réforme monétaire, fardée de propagande populiste, dévalue le syli ; sans succès : l’Etat guinéen est au bord de la banqueroute.

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