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Le désengagement de l’Etat de l’économie, financé par l’aide au développement, a ainsi stimulé l’initiative privée et relancé la création de richesses en Guinée : de toute évidence, « l’option

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Ces plans de financement multilatéraux correspondent à des aides budgétaires directes, mais aussi au financement de programmes ou de projets. Egalement des prêts sont accordés à l’Etat guinéen ; au regard des difficultés de remboursement, le montant de la dette est parfois rééchelonné. Notons que les financements bilatéraux fonctionnent selon des modèles globalement proches de ceux évoqués pour les IBW.

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Le dernier en date est celui de la Banque Africaine de Développement (BAD) qui a entériné « le plus grand projet d’investissement privé jamais réalisé dans le pays, 6,3 milliards d’euros tout de même, et qui porte sur la construction d’une raffinerie d’alumine destinée à transformer et valoriser le minerai de bauxite (Gharbi [2008], in Seck [2008]).

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libérale a libéré les énergies » (Devey, 2008). Entre 1986 et 2007, le PIB a augmenté de 3,7% par an en moyenne et le PIB par habitant a plus que doublé. « Des résultats non négligeables ont sans douté été obtenus en ce qui concerne les agrégats économiques » (Charles, 2007) : compression des dépenses budgétaires, stabilisation de la monnaie et de la dette extérieure. Par rapport à la Première République, l’ensemble des indicateurs macro-économiques se sont ainsi stabilisés. Egalement, la production agricole a repris, entrainant la structuration de filières de commercialisation, notamment pour l’approvisionnement urbain. Une économie de service et commerciale a vu le jour en Guinée.

Cette relance de la croissance mérite pourtant d’être nuancée, car la création de richesses en Guinée reste majoritairement basée sur l’activité minière, notamment l’extraction du minerai de

bauxite : la valeur ajoutée du secteur secondaire203 représente à elle seule la moitié du PIB en 2007.

La bauxite reste pour la Guinée, actionnaire à 49% des entreprises d’extraction de Sangaredi-Kamsar

(la CBG204), sa principale marchandise exportée (75% des exportations) et donc sa principale source

de devises. D’une manière générale, les investissements étrangers en Guinée, qui ont augmenté de

1186% depuis 1986, sont réalisés essentiellement dans le secteur de l’extraction minière205 ; depuis

longtemps la Guinée est courtisée pour les ressources de son sous-sol. De plus, ce secteur longtemps négligé connaît un important essor depuis la fin des années 1990.

Or, le problème majeur de ce type d’activité économique est leur faible impact sur les populations locales : « dans le passé, les zones minières sont restées des enclaves et leur impact sur la vie des population locales a été quasiment nul » (Seck [2009], in Jeune Afrique [2009]). Cette situation de prédominance de « l’activité minière d’enclave » dans l’économie engendre, d’une part un accaparement des richesses du pays au profit d’investisseurs étrangers et d’une élite nationale, d’autre part une situation de dépendance économique aux exportations minières et aux cours des minerais sur les marchés internationaux. Au milieu des années 1990, cette dépendance s’est avérée préjudiciable à l’ensemble de l’économie : les cours de l’aluminium ont chuté, déstabilisant la production minière et diminuant sa rente financière.

Alors basé quasi-exclusivement sur l’exportation de bauxite brute206, peu valorisée et instable,

l’économie minière guinéenne voit germer des projets d’usines de transformation en alumine et diversifie ses horizons avec l’extraction de nouveaux minerais, dont le fer en Guinée Forestière (Simandou, Nimba) et l’or en Haute-Guinée (Siguiri) ou encore l’uranium à Kissidougou et le pétrole au large de Conakry. De plus, à l’époque de la « responsabilité sociale des entreprises », d’apparents efforts tentent d’inverser la tendance des enclaves minières, en favorisant le développement de

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En fonction des nomenclatures, l’extraction minière est intégrée au secteur secondaire (PNUD, Banque Mondiale, FMI) ou au secteur primaire (INSEE).

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La Compagnie des Bauxites de Guinée. 205

La Guinée devrait bénéficier de 24 milliards de dollars d’investissement direct étranger entre 2008 et 2010 (Devey, 2008). 206

bassins d’emplois et en participant au développement local et régional207. Cela dit, la dépendance extérieure de la Guinée se trouve renforcée sur le secteur minier et les efforts réalisés pour l’intégration locale des sites d’exploitation s’attachent surtout à acheter la paix sociale, sur fond de

vastes entreprises de communication208.

Point focal des institutions de Bretton-Woods, les équilibres macro-économiques, artificiellement maintenus grâce à l’économie minière, restent pourtant soumis à de fortes contraintes, tant conjoncturelles que structurelles. Internationales tout d’abord, puisque la forte dépendance financière du pays est soumise aux aléas des cours des matières premières. Ainsi, entre 1990 et 2006, alors que le cours de l’aluminium connaît une forte baisse, la Guinée dévalue sa monnaie à quatre reprises pour contenir l’envolée du taux de change et l’inflation. A l’échelle régionale, la succession des conflits depuis la fin des années 1990 (Sierra-Leone, Liberia, Côte d’Ivoire) a perturbé les circuits économiques régionaux, nécessité la gestion de populations réfugiées ainsi que de nombreuses et coûteuses interventions militaires. Au niveau national, alors que les productions agricoles d’exportation sont quasi-inexistantes, l’approvisionnement vivrier reste dépendant de récoltes chroniquement insuffisantes et aléatoires : une mauvaise année culturale et les prix sur les marchés s’envolent, vulnérabilisant l’économie des ménages, nécessitant des importations encore plus massives pour satisfaire la demande et déstabilisant la balance des paiements courants du pays, qui perd des devises. Au niveau de l’Etat guinéen, les dérapages dans la gestion des ressources publiques, imputables à une mauvaise gouvernance et à la corruption, demeurent les principales causes de la faiblesse des ressources budgétaires nationales.

Lié à ces différents facteurs, la situation macro-économique du pays a fluctué de manière spasmodique depuis le début des années 1990. Relativement à la période désastreuse de Sékou Touré et au regard des critères d’évaluation des bailleurs de fonds, la situation économique du pays s’est effectivement améliorée et les richesses monétaires générées ont augmenté ; mais celles-ci ont peu profité, directement ou indirectement, à la majorité de la population guinéenne, qui a vu ses revenus monétaires stagner durant ces 24 dernières années.

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Dans un pays où 80% de la population est au chômage, sans salaire fixe, l’attraction engendrée par l’implantation de ces activités reste une source de problèmes épineux, tant sociaux qu’environnementaux, comme en témoigne le film documentaire de R. Nugent, « Tout l’or du monde » (2007), qui s’intéresse à l’implantation d’une mine d’or moderne à Bouré, dans la préfecture de Siguiri.

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Voici quelques messages publicitaires choisis dans un périodique d’information sur l’Afrique, Jeune Afrique, dans un hors-série spécial sur la Guinée (décembre 2008):

La Compagnie des Bauxites de Guinée (Sangarédi) : « La volonté de la CBG s’exprime en parallèle dans la promotion du capital humain ». Société Ashanti Goldfields de Guinée (Siguiri) : « Le respect de l’humain est la pierre angulaire de nos préoccupations sociales ; ce sont ces valeurs qui font le succès de tous et bâtissent l’avenir. »

Rio Tinto (fer à Simandou) : « 40 millions de dollars investis dans les infrastructures et programmes, contribuant au développement durable des communautés voisines ».

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La persistance de la pauvreté monétaire

Comme le souligne D. Cogneau, d’un point de vue économique, la Guinée est un « Etat extractif » (Cogneau, 2007) pour lequel les réformes libérales ont, certes, permis d’obtenir des résultats tangibles dans le domaine des équilibres macro-financiers mais qui, en contrepartie, a vu les situations de pauvreté et d’inégalité économiques s’aggraver, résultant de l’accès différencié aux richesses croissantes du pays. D’un point de vue monétaire, la pauvreté correspond ainsi à un manque de revenu et/ou à une insuffisance de consommation. De manière générale, pour rendre compte de cette pauvreté monétaire et de son évolution, les indicateurs de revenus sont les plus usités par les institutions internationales. En effet, la notion de seuil de pauvreté, « absolu » ou « relatif » (encadré 6), est la base sur laquelle sont produites de nombreuses statistiques et analyses des insuffisances de niveau de vie. Même s’il est critiqué pour ses limites (encadré 6 et annexe 5), cet instrument de mesure a le mérite de mettre en évidence la facette monétaire de la pauvreté ainsi que de comparer ses niveaux et ses évolutions.

Encadré 6 : les méthodes des seuils de pauvreté

Il existe deux méthodes de calcul d’une ligne de pauvreté monétaire :

La ligne de pauvreté « absolue » : la pauvreté est définie par une norme fixe. Par exemple, le seuil international de pauvreté est fixé à un dollar par jour, ce qui permet de comparer l’étendue de la pauvreté entre différents pays. Un autre exemple est un seuil de pauvreté dont la valeur réelle reste constante dans le temps, ce qui permet de mesurer les variations de la pauvreté dans un pays donné. Ce terme est souvent utilisé comme équivalent approximatif de « pauvreté extrême », synonyme de misère, d’incapacité à satisfaire les besoins minimaux.

La ligne de pauvreté « relative » : la pauvreté est ici définie selon des normes qui peuvent varier d’un pays à l’autre, ou dans le temps. Elle peut correspondre, par exemple, à un seuil de pauvreté fixé à la moitié du revenu moyen ou médian par habitant, ce qui signifie que ce seuil peut augmenter en même temps que le revenu. Ce terme est souvent utilisé comme équivalent approximatif de « pauvreté générale », qui caractérise l’incapacité de satisfaire les besoins alimentaires et non alimentaires essentiels, dont la définition peut varier sensiblement d’un pays à l’autre.

Ainsi en Guinée, la part de la population ayant moins de 1,25$/jour209 pour vivre est de 40% en 2006. Depuis 1991, en moyenne près de 60% de la population guinéenne vit en dessous de ce seuil de pauvreté dit « absolu ». Cette fréquence ou incidence de la pauvreté (encadré 7) a considérablement varié sur la même période : supérieure à 90% en 1991, elle chute à 37% en 1994, atteint 70% en 2003 avant de retomber à 40%. Les travaux de l’EIBEP (Diallo, 2005), qui utilisent une ligne de pauvreté dite « relative » basée sur la consommation, évaluent l’incidence de la pauvreté à

49,2%210 de la population en 2002, ce qui représente 20 points de moins que celle réalisée à partir

d’une ligne de pauvreté absolue. D’après ces mêmes travaux, 19,1 % de la population211, se trouve

dans une situation d'extrême pauvreté. Malgré ces différences constatées entre les méthodes, les populations guinéennes connaissent, de toute évidence, des difficultés monétaires liées à l’insuffisance de leurs revenus et de leur capacité de consommation, autrement dit de leur accès aux fruits de la croissance économique. En s’intéressant à l’intensité ou à la profondeur de la pauvreté

monétaire (encadré 7), « l’écart moyen pondéré par rapport à la ligne de pauvreté est de 17,2 %212.

En terme monétaires, l'écart est de 66 710 GNF par habitant et par an213 (environ 34 dollars). […] Le

montant minimum nécessaire pour éradiquer d'un coup la pauvreté au niveau de la Guinée, en

posant l'hypothèse d'un ciblage parfait, serait de 2947,5 milliards de Francs Guinéens en 2002214 [soit

environ 1,5 milliards de dollars] » (EIBEP, 2005). Autrement dit, l’intensité de la pauvreté nous apprend que l’écart à une sortie de la pauvreté monétaire n’apparaît pas inaccessible, que la grande majorité des populations guinéennes désignées comme pauvres ne sont pas forcément engluées

dans un « cercle vicieux », excluant toute sortie de la pauvreté monétaire215 : en témoignent les

variations de la fréquence de la pauvreté depuis 1991, où les écarts atteignent jusqu’à 56 points entre 1991 et 1994. Permettre à une grande partie des guinéens monétairement pauvres de dépasser le seuil de pauvreté dépend, à la fois de la capacité de l’économie à générer plus de richesses, en s’appuyant sur une diversification des sources, que d’une meilleure répartition des richesses existantes, alors susceptible de stimuler l’ensemble de l’appareil économique du pays, notamment les campagnes.

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Seuil de pauvreté actuellement utilisé par la Banque Mondiale. Il est dit « absolu », car ce seuil est le même pour l’ensemble des pays à « faible niveau de développement » (456$/an/personne).

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C’est-à-dire une population qui dispose d'une consommation par tête inférieure à 387 692 GNF (196$/an/personne) en 2002. 211

C’est-à-dire une population qui dispose d'une consommation par tête inférieure à 228 900 GNF (116$/an/personne) en 2002. 212

P1=0,17207

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P1*ligne de pauvreté monétaire = écart par habitant et par an : 0,17207 * 387 692 GNF = 66 710 GNF.

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La population en-dessous du seuil de pauvreté est de 4 183 947 pauvres (49,2% de la population totale). 215

De plus, la notion de cercle vicieux, promue par R. Nurkse (1967) est critiquée pour ses principes. Le cercle vicieux se présente comme un système circulaire de causalités simples entre un nombre limité de facteurs. Par exemple, le faible niveau d’épargne des ménages est dicté par une faiblesse des revenus, elle-même causée par une faible productivité économique qui est la résultante d’un faible investissement, issu d’une épargne insuffisante. Ce type d’analyse, qui justifie l’extrême pauvreté, a fait l’objet de vives critiques (Perroux, [1973], Hagen [1982]) dont les principales portent sur le caractère tautologique du schéma des cercles vicieux et sur la naturalisation du sous-développement.

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Encadré 7 : des indicateurs pour mesurer la pauvreté monétaire

Depuis 1984, l’évolution de la pauvreté monétaire, « absolue » ou « relative », talonne celle du PIB, soulignant le lien qui existe entre la situation macro-économique du pays et celle des ménages et illustrant les conséquences de la dépendance économique au secteur minier. Cette importante variation pose également le problème de la vulnérabilité monétaire des individus et de leurs ménages face aux différents chocs ou aléas socio-économiques, nationaux et internationaux. Les entrées et les sorties de la pauvreté monétaire, dont témoignent les importantes variations du taux de pauvreté dans le temps, mettent en évidence une vulnérabilité face aux situations conjoncturelles : des mauvaises récoltes, des fluctuations des cours des matières premières ou encore des conflits régionaux sont des aléas ayant significativement affecté les revenus des ménages guinéens durant la période Conté.

L’incidence de la pauvreté n’est cependant pas la même en fonction du lieu de résidence. Il existe, tout d’abord, une nette différence entre les milieux ruraux et urbains : « la pauvreté monétaire continue d’être un phénomène rural » (DSPR2, 2007) puisque 60% des guinéens vivant en milieu rural accusent un niveau de vie insuffisant (EIBEP, 2005). Il existe un important degré de dualisme entre l’agriculture, qui emploie 80% de la population active, principalement en milieu rural, et les autres secteurs de l’économie : un ménage agricole a un revenu trois fois moins élevé qu’un ménage dont les revenus sont issus d’un autre secteur (Cogneau, 2007). Les campagnes guinéennes sont donc les premières touchées par la faiblesse et les variations du niveau de vie, ce qui contribue à alimenter un exode rural massif : depuis 1983, le taux de variation de la population urbaine s’élève à 109% pour l’ensemble du pays, si bien qu’aujourd’hui 30% de la population guinéenne vit en ville. Cet afflux massif et rapide de populations rurales, en quête d’opportunités économiques, a entraîné une saturation du marché de l’emploi urbain et montré une insuffisance des infrastructures urbaines. Fait nouveau, la pauvreté monétaire prend donc, elle aussi, de l’ampleur en ville et touche

L’objectif de la mise en place des indicateurs de pauvreté est d’identifier les pauvres et de cerner les facteurs déterminants de la pauvreté. L’indicateur de pauvreté de Foster, Greer et Thorbecke (FGT) est le plus répandu (annexe 6). Celui-ci se décline en différents indices de pauvreté, qui sont des formules d’agrégation de données permettant le passage de la pauvreté individuelle/ménagère à la pauvreté collective. Ils calculent :

L’incidence de la pauvreté (P=0), ou la proportion des individus dont le niveau de vie est inférieur au seuil de pauvreté (indicateur de fréquence).

L’intensité de la pauvreté (P=1), ou l’écart entre le niveau de vie moyen des pauvres et le seuil de pauvreté (indicateur de profondeur).

L’inégalité (P=2) parmi les pauvres (indicateur de sévérité).

dorénavant 21% des résidents urbains. Ces différences d’incidence de la pauvreté monétaire se retrouvent également dans l’intensité du phénomène : « l’écart par rapport au seuil de pauvreté du revenu moyen d’une personne vivant en milieu urbain est de 6% alors qu’en milieu rural, cet écart se situe à près de 22% au-dessous de la ligne de pauvreté, soit 3,5 fois plus » (DSRP2, 2007). Cette plus grande faiblesse des revenus des pauvres en milieu rural donne à la pauvreté monétaire une intensité plus forte qu’en ville. Aussi pour les différentes raisons évoquées, les populations rurales se révèlent plus vulnérables à la conjoncture économique, à laquelle s’ajoutent souvent les aléas de l’activité agricole.

S’il existe des différences entre les zones rurales et urbaines, il existe aussi d’importants contrastes entre les différentes circonscriptions administratives du territoire guinéen. Pour les trois principaux indicateurs de pauvreté monétaire (incidence, intensité et inégalité), la Guinée Maritime apparaît mieux lotie que les régions de l’intérieur du pays. Forte de ses multiples potentialités biophysiques (climat, hydrologie, diversité des ressources), mieux dotée en infrastructures routières, bénéficiant de l’influence urbaine de Conakry et des activités minières de la bauxite, la région littorale guinéenne est moins marquée par la pauvreté monétaire que les autres régions du pays, notamment pour les axes Conakry-Kindia, Conakry-Forécariah et Sangarédi-Kamsar, ainsi que pour la commune urbaine de Fria. Les situations de pauvreté y sont donc moins fréquentes et moins profondes mais également moins sévères ; autrement dit, les inégalités entre les pauvres y sont moins fortes, ce qui relativise à l’échelle de cette région les importantes inégalités constatées à l’échelle nationale.

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