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L’émergence d’une élite économique : l’explosion des inégalités

En effet, dans la Guinée de Lansana Conté, les carences quantitatives, ou encore cette pauvreté de niveau de vie, sont profondément marquées par les inégalités d’accès aux richesses monétaires. Significativement, en 2003, les 20% des guinéens les plus riches se partagent 70% des

revenus216 ; cette proportion est légèrement inférieure pour la consommation puisque la moitié des

dépenses sont effectuées par les 20% les plus riches. S’agissant des 10% les plus riches, leur part du revenu correspond à 44% et celle des dépenses à 30%. Les inégalités semblent donc plus fortes pour les revenus que pour la consommation, ce qui peut s’expliquer par l’épargne. Pour le PNUD (2008), la part du revenu des 10% les plus riches ne représente plus que 30% en 2006, ce qui indiquerait une réduction des inégalités en Guinée, alors qu’entre 1991 et 2003 elles sont restées relativement

stables. Cette tendance est confirmée par l’indice d’inégalité de Gini217, indicateur généralement

216

Source : Banque Mondiale, 2005 217

L’indice de Gini est une mesure du degré d'inégalité de la distribution des revenus ou des dépenses dans une société donnée. Il est un nombre variant de 0 à 1, où 0 signifie l'égalité parfaite (tout le monde a le même revenu) et 1 signifie l'inégalité totale (une personne a tout le revenu, les autres n'ont rien). L’indice de Gini peut être représenté par un diagramme de la courbe de Lorenz, qui est la représentation graphique de la fonction qui à la part x des ménages les moins riches associe la part y du revenu total qu'ils perçoivent. Si l'aire de la zone entre la diagonale d'égalité parfaite et la courbe de Lorentz est A, et l'aire de la zone à l'extérieur de la courbe de Lorenz est B, alors l’indice

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utilisé pour mesurer les inégalités monétaires (encadré 8): compris entre zéro et un218 ([0 ; 1]), plus il

est grand, plus les inégalités entre individus de la population considérée sont importantes. Or, en Guinée l’indice de Gini est de 0,386 en 2006, soit une baisse de 8,55 points par rapport à 1991. Concernant l’inégalité entre les pauvres ou la sévérité de la pauvreté, la tendance est semblable : « la situation des plus pauvres d’entre les pauvres, passe de 16,1% en 1994 à 8,1% en 2002, soit une baisse de 8 points en terme absolu et 49,7% en terme relatif. Ce qui signifie que la situation des pauvres s’est améliorée entre 1994 et 2002 » (EIBEP, 2005) : l’extrême pauvreté recule en Guinée.

Cela dit, les inégalités de revenus demeurent relativement importantes, même si elles sont, par exemple, inférieures aux inégalités monétaires des Etats-Unis (0,45 en 2007). Elles sont plus problématiques en Guinée car le PIB/hab. guinéen est 17 fois inférieur à celui des Etats-Unis : une situation d’inégalité marquée dans un contexte de faibles richesses disponibles accentue son poids. D’après les travaux de J-L. Dubois et C. Guénard (2001) en Afrique Subsaharienne, il existe une influence directe des inégalités sur la pauvreté : la réduction des inégalités contribue, au moins autant que la croissance, à réduire la pauvreté monétaire, et inversement : « la pauvreté peut s’accroitre si l’inégalité des revenus s’accentue au cours du processus de croissance ». Mais les auteurs précisent que « les inégalités dans la distribution des revenus sont en large partie la résultante des facteurs structurels spécifiques à chaque économie nationale », autrement dit que le

rôle de l’Etat219, de ses infrastructures et des ses services publics, de la possibilité d’y accéder pour

les citoyens, mais aussi de ses politiques économiques, est fondamental dans l’évolution des inégalités.

de Gini est A / (A+B) (Encyclopedia Universalis, 2008 et Wikipédia. (Page consultée en mars 2009). Site de Wikipédia, [en ligne] Adresse

URL : http://fr.wikipedia.org/wiki/Coefficient_de_Gini). 218

Le coefficient de Gini est exprimé, quant à lui, en % ; il est donc compris entre 0 et 100. 219

« L’option d’un modèle de société de type libéral, fondé sur l’État de droit et dont le moteur de croissance est le secteur privé, engage l’État à jouer un rôle de premier ordre dans l’avènement d’une telle société. En effet, l’État est un agent économique dans la mesure où il est à la fois consommateur de biens et services, principal employeur et régulateur de l’activité économique. Son rôle traditionnel est de faire respecter la loi, d’assurer la sécurité, de défendre les libertés publiques et de réguler l’activité économique. Ses agents des services publics, leurs attitudes et leurs comportements sont comptables du niveau de développement du secteur privé. Le rôle de l’État revient donc à améliorer l’environnement institutionnel, dynamiser les institutions du secteur privé, renforcer les institutions publiques de promotion, promouvoir la concertation État/secteur privé, se désengager de plus en plus de toutes les activités économiques situées en dehors du domaine de la souveraineté nationale en cédant ses actions à des capitaux privés. » (Diakité, 2003)

Encadré 8 : synthèse méthodologique sur le calcul des inégalités

Concernant les richesses engrangées par la croissance économique, l’Etat guinéen a été incapable, jusqu’à présent, de mettre en œuvre des mécanismes de répartition : le fonctionnement de l’Etat et l’insuffisance des infrastructures témoignent du vide qui existe à ce niveau. Pour Cogneau (2007) « la toile de fond de la corruption a permis la rencontre et la collusion de quelques stratégies d’accumulations individuelles, parvenant à s’approprier privativement une partie des ressources collectives ». Hormis les retours sur investissement économiques réalisés par les multinationales en charge de l’extraction des minerais, au niveau national les bénéficiaires du partage inégal des richesses monétaires sont principalement de deux types. D’un côté les hauts responsables de l’Etat et de l’autre les grands entrepreneurs guinéens.

Les inégalités internationales concernent les écarts entre les revenus moyens nationaux. Les inégalités au sein de chaque pays ne sont donc pas prises en compte. Le PIB par habitant est la variable le plus souvent utilisée pour calculer les inégalités internationales de revenu. Afin d'apprécier les inégalités de niveaux de vie, la méthode la plus appropriée consiste à exprimer les revenus en parité (le pouvoir d'achat - PPA) plutôt que de convertir les monnaies nationales en dollars. Par ailleurs, dans la mesure où l'on veut tenir compte du nombre d'individus concernés par l'évolution des revenus dans les différents pays, il est logique de pondérer le revenu moyen par la population de chaque pays dans le calcul de l'indice synthétique d'inégalité. Différents indices peuvent être utilisés, le plus courant étant l'indice de Gini.

Les inégalités internes concernent les écarts de revenus entre différentes catégories de la population au sein de chaque pays. La population d'un pays est, par exemple, divisée en déciles et l'indicateur d'inégalités retenu calcule les inégalités en fonction des écarts de revenus entre les dix fractions de la population ainsi définies. L'inégalité mondiale tient compte à la fois des inégalités internationales et des inégalités internes. L'inégalité mondiale calcule ainsi l'inégalité interpersonnelle entre les citoyens, du monde, quel que soit leur pays d'origine.

Les méthodes statistiques utilisées :

Le coefficient de Gini est un indicateur simple qui mesure l’évolution plus ou moins inégalitaire de la distribution des revenus dans la population totale.

La courbe de Lorentz permet de représenter graphiquement le coefficient de Gini ; elle reflète graphiquement la relation entre population et revenu/consommation.

L’indice de Theil, plus fin, permet d’étudier l’évolution des inégalités entre deux déciles caractérisés par leur revenu moyen. De plus, il est décomposable et permet d’attribuer à « tel facteur (âge, éducation, catégorie d’emploi et secteur d’emploi) la responsabilité de la pauvreté et de mesurer celle-ci ».

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Les premiers, jouant de l’appareil politique et administratif guinéen, ont ainsi « profité » des importantes sommes d’argent qui ont transité par l’Etat : commissions sur les marchés publics, prélèvements sur les recettes fiscales de l’Etat, détournement de matériel public, etc. La présidence de Conté est restée, à ce niveau, dans la continuité de son prédécesseur. Ces détournements, à peine cachés, ont ainsi permis à de hauts fonctionnaires et à des hauts gradés de s’enrichir considérablement, souvent sur des périodes d’exercice très brèves. En effet, Conté a su jouer de l’accès à cette rente au fil des nominations, dans le but de contenter le plus largement possible les élites politiques du pays et s’acheter une tranquillité, afin de faciliter l’exercice de son pouvoir et son propre enrichissement. Le pays a ainsi connu une véritable « valse des ministres » et des hauts fonctionnaires pendant 24 ans, si bien qu’une spécialité des « taximen » de Conakry est d’agrémenter les trajets en montrant les belles villas construites par l’un ou l’autre lorsqu’il était en poste. Le même constat peut être effectué au niveau du pouvoir déconcentré, notamment au niveau des gouverneurs et des préfets. Aussi, comme Sékou Touré, mais dans une moindre mesure, Lansana Conté a favorisé son groupe ethnoculturel, ici les Soussou, que ce soit dans l’administration mais aussi et surtout dans l’armée. Ce favoritisme se retrouve jusque dans le développement des infrastructures publiques, bien plus nombreuses et de meilleure qualité en territoire soussou, qui s’étend tout le long du littoral, de Kamsar à Forécariah, notamment vers Tanéné, ville natale du

Mangué220. Cette logique de clan s’est aussi appliquée à la famille même de Conté : ses deux épouses

sont devenues des femmes d’affaire redoutées et un de ses fils un parrain de la drogue221,

aujourd’hui en attente d’être jugé.

Les grands entrepreneurs guinéens ont été les seconds bénéficiaires de la réforme économique menée depuis 1984. En effet, le désengagement de l’Etat des secteurs de production et de distribution, entamé dès 1978, a laissé place au secteur privé. Généralement, dans le domaine de la création d’entreprise […], les potentialités entrepreneuriales couvrent principalement quatre catégories d’individus (Diakité [2003], PNUD [2001]): ceux qui ont déjà exercé un métier de production artisanale ou informelle, les bénéficiaires d’une formation et qui ont souvent exercé des fonctions administratives, les commerçants ou transporteurs ayant les moyens et les qualités pour être des entrepreneurs industriels et ceux qui se sont familiarisés avec l’univers entrepreneurial et le partenariat étranger. Cependant, malgré la « promulgation d’un code des investissements plus libéral, la révision de la fiscalité, la suppression du contrôle des prix, la libéralisation du commerce » (Diakité, 2003) et le désengagement de l’Etat du secteur parapublic, l’amélioration de l’environnement institutionnel et règlementaire est restée relative : presque la moitié des initiatives

dans le domaine entrepreneurial formel ont échoué222. Face aux dysfonctionnements multiples

220

« Le chef », en soussou 221

A la fin des années 1990, la lutte contre le trafic de cocaïne dans les Caraïbes et en Amérique Centrale est devenue plus organisée et efficace, grâce au soutien des Etats-Unis. C’est pourquoi le circuit à destination de l’Europe s’appuie dorénavant sur l’Afrique de l’Ouest, plus perméable.

222

« Le taux de mortalité des entreprises nouvellement créées est élevé. Selon le PNUD-Guinée (1997), près de 40 % des entreprises ne survivent pas les premières années de leur existence. L’une des raisons est qu’il s’agit d’entreprises souvent fictives ou circonstancielles, en tout cas, rarement opérationnelles, dont les propriétaires poursuivent d’autres objectifs que ceux de pérenniser leurs affaires, comme se

(infrastructures, corruption, macro-économie, etc.) seuls les entrepreneurs « solides » ont pu développer des activités lucratives : solides financièrement, parfois grâce à la diaspora ; solides socialement, grâce à leur statut et leurs relations privilégiées avec les organes du pouvoir. Pour la grande majorité des entrepreneurs guinéens, l’absence de cette solidité les a plutôt orientés vers le secteur informel, plus souple. Aujourd’hui, ce dernier représente environ 80% du marché de l’emploi et qui dégagerait des richesses représentant 48% de la valeur du PIB (Diakité [2003], PNUD [2001]).

Depuis 1984, en terme de création d’entreprise, deux secteurs dominent : les prestations de services et les activités infrastructurelles (construction, bâtiment, etc.), qui représentent 44% des créations ; ensuite le secteur commercial représente 40% des activités crées. Le secteur industriel ne représente que 6% avec une baisse de 65% des créations sur la période 1984-2007; viennent ensuite les mines, qui ne représentent que 5% des créations d’entreprise alors que les investissements y sont considérables, puis les pêches avec 4%, qui se développement essentiellement en Guinée Maritime. Par contre, « le secteur agricole semble délaissé puisqu’il n’a représenté que 1,75% des effectifs totaux de créations » (PNUD, 2001).

Sous la présidence de Lansana Conté, la nouvelle politique économique, d’inspiration libérale entérine une complète rupture avec le système antérieur : le rôle économique de l’Etat a été réduit au bénéfice des initiatives privées. Ainsi, la création de richesses a doublé, bénéficiant d’une meilleure stabilité macro-économique. Mais cette dynamique repose sur un îlot d’activités, rémunératrices pour une minorité des acteurs de l’économie et du pouvoir, politique ou militaire. « Cette réforme économique va-t-elle enclencher un véritable processus de développement » (Rüe, 1998) ? Tant sur le fond que sur son application, relativement chaotique, cette réforme présente des risques : aux conséquences de pauvreté et d’inégalité d’accès aux ressources monétaires s’ajoutent de pesantes conséquences sociales.

servir des documents officiels pour d’autres buts et dans d’autres domaines. Une autre raison explique aussi le phénomène actuel est

celle-ci : l’ingérence systématique du Gouvernement dans les affaires économiques, au travers du comportement de certains fonctionnaires. » (Diakité, 2003)

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3.2.3 La population face à la dérégulation et l’autoritarisme:

de l’espoir à la crise

3.2.3.1 Le coût social de la réforme économique

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