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Le montage d’un système d’information pluridisciplinaire s’apparente à une base de données à l’intérieur de laquelle existent des liens entre différents champs d’information thématiques et scalaires. Cette opération implique donc, au préalable, de s’interroger sur les unités d’observation, celles auprès desquelles les informations sont récoltées, et des unités d’analyse, celles où les informations sont agrégées et analysées, afin de choisir celles qui se situent le mieux dans la réalité sociale, économique, culturelle ou environnementale que l’on cherche à caractériser. Ce

questionnement a de nombreux antécédents en Afrique34 mais, pour des raisons de variantes locales

et d’évolutions des structures familiales, « la question de la composition du groupe domestique reste posée » (Beuriot, 2007). Or, en fonction des disciplines, les objets d’étude et les méthodes de récolte de données varient ; de plus, les objectifs d’un « état zéro » des situations et la mise en place d’opérations de suivi-évaluation impliquent que ces unités statistiques soient opérationnelles. Ainsi, « au début, il est nécessaire de mettre au point des concepts clairs et univoquement définis permettant de construire des analyses cohérentes de cette réalité » (Dubois, 1983).

Dans le cadre du Volet Pauvreté et Inégalités de l’OGM, la perspective d’études thématiques élargies et suivies sur le niveau de vie et les conditions de vie d’unités familiales, a nécessité la réalisation de campagnes d’enquête. Le type d’approche retenu a alors placé les ménages au centre du dispositif comme principale unité statistique d’observation et d’analyse. Ce choix résultait en premier lieu d’une démarche préalable de connaissance du milieu et des populations concernées, réalisée au moyen des phases de découverte des zones d’étude, et d’enquêtes préliminaires comme l’enquête « concession-ménage ».

Comprendre les catégories de référence : les enquêtes concession-ménage

L’enquête « concession-ménage » a eu pour objectif de valider ou d’agrémenter localement

les définitions de la concession et du ménage, et de la comparer avec les définitions classiques35 de

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Les recherches du réseau AMIRA (Amélioration des Méthodes d’Investigation en milieu Rural Africain ; ORSTOM, INSEE, Ministère de la Coopération française) se placent dans une logique pluridisciplinaire et utilisent les connaissances anthropologiques pour adapter au contexte africain les concepts et instruments de mesure statistique forgés au Nord. Egalement, on peut noter l’ouvrage Ménages et familles en Afrique, Pilon et alii. (1997) sur cette problématique.

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« Depuis 2005, la définition d'un ménage, au sens des enquêtes auprès des ménages réalisées par l'Insee, a été sensiblement modifiée. Est considéré comme un ménage l'ensemble des personnes (apparentées ou non) qui partagent de manière habituelle un même logement (que celui-ci soit ou non leur résidence principale) et qui ont un budget en commun. La résidence habituelle est le logement dans lequel on a l'habitude de vivre.

Font donc partie du même ménage des personnes qui ont un budget commun, c'est-à-dire : 1) qui apportent des ressources servant à des dépenses faites pour la vie du ménage ; 2) et/ou qui bénéficient simplement de ces dépenses. »

Source : INSEE. (Page consultée le 10 juillet 2008). Site de l’INSEE, [en ligne] Adresse URL :

ceux-ci. Ces enquêtes tentaient également de cerner plus précisément la structure interne de ces entités socio-économiques, ainsi que leurs interrelations, utiles pour le choix des unités d’observation. De plus, l’expérience du dénombrement nous a montré que localement, d’un point de vue des villageois comme de l’administration déconcentrée, les confusions entre les notions de

« concession » et « ménage36 » paraissaient nombreuses. L’enquête « concession-ménage » « a été

réalisée par entretiens ouverts et par questionnaires semi-fermés, auprès de 74 personnes de sexe, d’âge et d’ethnies différentes. Le formulaire contient des questions fermées et ouvertes ; les questions ouvertes sont traitées par analyse textuelle. Elles se présentent sous la forme suivante, par exemple : « chez les Nalu, comment définissez-vous un ménage ? » » (OGM, 2006). Cette enquête s’est basée sur la terminologie régionale susu puisqu’il s’agit de la langue véhiculaire utilisée par les différentes communautés linguistiques de la Basse-Côte guinéenne. Cette terminologie a été appréhendée lors du recensement des données existantes sur le terrain où, sur les registres de levée des impôts, figuraient donc deux termes qu’il a fallu approfondir : celui de fôkhè, a priori traduction de « concession » en susu et celui de dembaya a priori traduction de « ménage ».

Les traitements de cette enquête nous ont permis de constater que finalement les définitions de concession et de ménage se rapprochent des définitions courantes, avec certaines nuances notables cependant.

La concession, une catégorie peu fonctionnelle. Ainsi le terme fokhé, tel qu’il est défini localement, correspond en partie à la définition de la concession qu’en font D. Blaizeau et J-L. Dubois (1989) en Côte d’Ivoire : « la concession est un espace, clos ou non, à l’intérieur duquel se trouvent un ou plusieurs ménages qui descendent souvent du même ancêtre. Les limites des concessions sont claires et connues de tous. Chaque concession a un chef, généralement le doyen d’âge à qui l’ensemble des résidents reconnaît une certaine autorité ». Pour nos zones d’étude, cette définition particulièrement vague est précisée par l’enquête « concession-ménage » et par les travaux des anthropologues du programme (Lehmann [2004], Schoeni [2004], Fribault [2006]). On constate que fokhé signifie « le lieu de vie » ou d’habitat regroupant des ménages, pas forcément apparentés, mais bien placés sous l’autorité d’un chef (figure 2). Cependant, la définition de la concession intègre aussi, pour 32% des enquêtés, le domaine foncier utilisé par ces ménages et dont la gestion revient à un chef. La dimension géographique de la concession comme unité d’habitat est complétée par celle de « famille étendue », à savoir « le grand-père + ses fils + les fils de certains de ses fils » (Fribault, 2006), soit à celle de

lignage37 (bonsè) en lui donnant une dimension sociale (hiérarchie, organisation, droits, etc.) et en

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Traduction de ménage en soussou : dembaya, ceux qui sont sous ma responsabilité. Cette traduction est préférée à khabilé, ceux avec lesquels on a des liens de parenté, car elle implique une unité de résidence.

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Bonsè ou lignage : « Les gens issus d’un même ascendant en filiation patrilinéaire placés sous l’autorité d’un chef de lignage » (Fribault, 2006). « Les lignages peuvent être répartis spatialement en segments en fonction des sites d’installation initiaux du groupe. L’ancienneté

CHAPITRE 1 : LE CONTEXTE DE RECHERCHE

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intégrant des espaces dont la gestion dépend de la hiérarchie au sein du groupe38. Comme le précise

M. Beuriot (2007), en fonction des groupes ethniques considérés, une concession ou plusieurs concessions peuvent désigner un lignage. Les fokhé sont donc plutôt des unités territoriales, « des espaces territoriaux qui séparent les familles étendues entre elles » (Fribault, 2006), dont la fonctionnalité apparaît tout de même floue tant elle se rapproche de celle des lignages, notamment lorsque l’existence de ces concessions au village est peu ancienne, seulement une ou deux générations : gestion de conflits, organisation des travaux agricoles (foncier), réorganisation sociale ou territoriale de la famille, etc.

Le ménage guinéen, l’entité socio-économique du quotidien Pour le dembaya, il s’agit d’un homme marié, de sa (ses) femme(s), de leurs enfants (non mariés) et des personnes à charge, adultes ou enfants (figure 2). Comme la notion de ménage est basée sur l’union maritale d’individus, on pourrait alors l’associer à la famille nucléaire ou au ménage de type européen. Mais l’appartenance à un dembaya implique également:

La communauté de résidence, autrement dit des personnes qui vivent au même endroit. Les repas communs, autrement dit des personnes qui partagent la même préparation.

La communauté partielle ou totale des ressources, autrement dit des personnes qui partagent une partie ou la totalité du budget.

La reconnaissance de l’autorité d’une personne, celle du chef de ménage, généralement un homme.

Le dembaya, construit autour d’un mariage monogame ou polygame, représente ainsi une unité familiale de base, proche de la définition classique du ménage. Cette unité est à la fois une unité de production, puisque le ménage cultive des parcelles sur le domaine lignager, de consommation puisque les membres partagent quotidiennement habitat et repas, et d’accumulation puisqu’il existe une mutualisation financière pour son fonctionnement. Certes les individus des ménages guinéens gardent une certaine autonomie concernant leurs activités et leurs revenus, mais le dembaya étant avant tout basé sur la parenté via le mariage, il existe diverses obligations pour les membres : transfert de ressources, participation à des activités collectives, etc.

d’installation détermine quantitativement la taille du lignage. Lorsque celle-ci est peu ancienne, il est courant que lignage et « famille étendue se confondent », c’est généralement le cas dans nos sites d’étude » (Beuriot, 2007)

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Cette définition témoigne également du fondement de la structure sociale, liée à l’appartenance des individus à des classes d’âge ou à des groupes générationnels.

0 20 40 60 80 100 Personnes habitant la même maison (famille)

Personnes habitant la même maison (accueillis, enfants confiés) Sous le contrôle/responsabilité du chef de ménage Personnes à charge (financière, alimentaire) Femme(s) et enfant(s) du chef de ménage 91,7 73,6 31,9 15,3 5,6 91,7 73,6 31,9 15,3 5,6 Définition du ménage (% des réponses) Source: OGM, 2005 0 20 40 60 80 100 Famille Domaine foncier Ménage

Lieu de vie (habitat) 63,5

17,3 15,4 3,8 63,5 17,3 15,4 3,8 Définition de la concession (% des réponses)

CHAPITRE 1 : LE CONTEXTE DE RECHERCHE

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Les sociétés guinéennes : un emboitement de structures sociales à géométrie variable Ce qui peut faire confondre le fokhé et le dembaya, c’est le critère de résidence et le fait qu’il existe un emboitement des unités familiales, elles-mêmes à géométrie variable, avec des fonctionnements distincts mais des interrelations fortes liées à la parenté, à l’appartenance générationnelle et à la gestion d’un territoire commun, le domaine : le fokhé, ou la concession, voire parfois le lignage, se rapporte donc plus à la famille étendue traditionnelle alors que le dembaya, ou le ménage, correspond plutôt à la famille nucléaire moderne (Mahieu, 1997). En milieu rural guinéen, il est pourtant hasardeux d’y voir une dynamique de transition, d’un modèle familial traditionnel vers le moderne. Ce qui est certain, c’est que le ménage, la concession et le lignage sont des unités familiales complémentaires, en raison de leurs fonctions bien distinctes au sein des communautés villageoises: le ménage (dembaya) et la concession (fokhé) auraient plutôt une fonction économique, permettant la valorisation de potentialités existantes, et le lignage (bonsè) une fonction sociale, permettant l’accès à un certain nombre de ressources, notamment foncières et sociales. Ces unités

sont qualifiées de « familiales » mais elles sont ouvertes à de nouveaux arrivants, « parents39 » ou

non. Dans les ménages, ce sont souvent des individus, souvent « parents », enfants confiés par la famille ou des amis, qui viennent agrandir le cercle des membres. Pour les concessions et les lignages, l’accueil concerne plutôt des ménages composés de parents éloignés ou encore d’« étrangers » migrants, se retrouvant alors sous la tutelle du chef mais bénéficiant des ressources du groupe social intégré. D’un côté le groupe accueillant étend son pouvoir au sein de la communauté villageoise, de l’autre il garantit aux nouveaux arrivants leur intégration à la communauté. L’attractivité d’une communauté villageoise représente un enjeu majeur pour le dynamisme voire la survie des communautés rurales. C’est pourquoi l’installation, saisonnière ou durable, de nouveaux arrivants est rarement refusée, même si elle est souvent négociée. En Guinée Maritime, l’accueil de nouveaux arrivants reste un gage de dynamique pour tous les niveaux d’organisation sociale de la communauté villageoise, du lignage au ménage.

Le compromis satisfaisant du ménage L’enquête « concession-ménage » a donc été construite comme un outil complémentaire d’approche et de modélisation des structures socio-économiques locales, pour leur compréhension mais également pour la construction du système d’information. L’enquête sur la définition locale d’une concession et d’un ménage a donc eu pour objectif de clarifier ces deux niveaux d’organisation des communautés, d’élargir les perspectives au lignage et de connaître les définitions qu’en donnent

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« Les « parents » désignent soit les lignages du père et de la mère, soit l’ensemble d’un groupe ethnique par opposition aux autres groupes ethniques (Fribault, 2006). La notion de « parents » est souvent invoquée par les gens lorsqu’ils ont eu recours à l’appui d’un tiers (en ville par exemple), membre du même groupe ethnique, mais où la filiation directe est bien plus difficile à démontrer, voire n’existe pas. Les « parents » peuvent donc être assimilés aux fameux « réseaux familiaux » qu’évoque beaucoup la littérature africaniste (Rabeherifara, 1987 par exemple). » (Beuriot, 2007)

les populations elles-mêmes, dont les modalités peuvent différer de celles des statisticiens. A partir des représentations locales, ce travail d’enquête nous a permis de valider les définitions des unités familiales, sur lesquelles le travail d’échantillonnage et l’ensemble du processus d’enquête ont reposé afin d’élaborer le système d’information de l’OGM.

Le choix de l’unité statistique, échelle d’observation et d’analyse doit tenir de plusieurs contraintes tant conceptuelles, que thématiques ou méthodologiques. En premier lieu, il convient donc de retenir une unité statistique pertinente et identifiable, tant pour les populations étudiées que pour les chercheurs. Ensuite cette unité statistique choisie doit constituer une catégorie concrète et interprétable pour chacun des volets scientifiques. Enfin, la possibilité de liaison de la base de données est un critère incontournable pour rendre effectifs les croisements pluridisciplinaires, tout au moins le transfert de données entre les bases thématiques des volets. En ce qui concerne le Volet Pauvreté et Inégalités, l’appréhension, la compréhension et le suivi du niveau de développement humain des populations impliquent le choix d’une unité statistique à la fois pertinente et peu agrégée. En prolongeant l’image des poupées russes, étant donné que dans la base, l’indexation des données se fait par une clé qui n’autorise que l’agrégation, l’unité statistique de référence doit résulter d’un minimum d’agrégations tout en donnant du sens aux structures économiques et sociales des groupes humains.

Au regard de ce faisceau de contraintes, le ménage apparaît comme le niveau le plus pertinent, puisqu’il représente une entité socio-économique de référence quotidienne pour les individus de nos zones d’étude, et puisqu’il ne constitue qu’une agrégation d’individus, proposant plusieurs niveaux d’agrégations supplémentaires, qui ont du sens d’un point de vue de notre problématique comme pour d’autres volets scientifiques et qui peuvent être mobilisables au besoin : à l’échelle de la concession, du lignage, du village, du secteur, du district, etc.

1.3.1.2 Recenser pour échantillonner

Identifier les individus en fonction des niveaux d’observation et d’analyse :

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