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LA DEUXIEME REPUBLIQUE ET L’OUVERTURE A L’ECONOMIE DE MARCHE

3.2 DEMOCRATIE ET DEVELOPPEMENT : LES DERAPAGES DE LANSANA CONTE (1993-2008) LANSANA CONTE (1993-2008)

3.2.1 Le prolongement du centralisme : les réformes inachevées ou inappliquées

3.2.1.4 Une décentralisation inefficace

Si le fonctionnement des administrations centrales et déconcentrées de l’Etat apparaît peu efficace, ce constat peut être étendu aux collectivités locales décentralisées.

Annoncée dès décembre 1985, sous la pression des institutions internationales, la décentralisation administrative est pilotée par un Secrétariat d’Etat chargé de la Décentralisation. Pour rompre avec « le centralisme politique et la décentralisation organique », l’administration du

territoire « se décline dorénavant en une succession d’entités administratives imbriquées,

théoriquement autonomes et émanant des populations » (Beuriot, 2007). L’objectif de cette réforme est de bâtir un Etat au service du développement des populations : « passant d’une logique descendante à une logique ascendante donc, la structuration du territoire administratif est sensée dorénavant dépendre des volontés de la base, des populations » (Lima, [2002], cité par Beuriot,

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Un ami de Lansana Conté aurait ainsi bénéficié de marchés publics sans appel d’offre. A la tête d’une entreprise multisectorielle (agriculture, BTP, transports, etc.), président du patronat guinéen, cet homme d’affaire a même été arrêté pour être jugé au motif d’abus de biens sociaux (détournements de fonds). Le président Conté l’a alors fait libérer quelques jours plus tard, à la barbe des juges chargés de l’instruction du dossier.

[2007]). « Plus critique, E. Le Bris préfère insister sur le rôle prépondérant des bailleurs de fonds occidentaux en notant que la décentralisation emprunte plutôt à une logique « d’excision de la souveraineté » ; elle constitue plus un accompagnement des politiques de lutte contre la pauvreté qu’elle ne se préoccupe de rééquilibrage territorial et de subsidiarité démocratique » (Le Bris [2001], Beuriot [2007]). En effet, pour les bailleurs de fond et les opérateurs, et dans la perspective de mettre en œuvre des projets de développement, la décentralisation apparaît comme le moyen de

court-circuiter l’administration centrale180 et de minimiser les risques de détournement181. Il semble

logique que cette nouvelle réforme « pilotée de l’extérieur » ne fonctionne pas correctement.

Sa mise en œuvre a tout d’abord été ralentie par une difficulté majeure, la délimitation géographique des collectivités territoriales. Deux niveaux de décentralisation sont inscrits dans la Constitution : le niveau le plus fin est celui des « districts », qui, une fois regroupés, forment des « Communautés Rurales de Développement » (CRD). Comme première étape du processus, le Secrétariat d’Etat a confié aux communautés villageoises le découpage des districts, s’appuyant sur leurs « solidarités naturelles » (Conté, 1985). Il est vrai que les « villages » et leurs « hameaux » sont marqués par la présence vivace des modes de gestion coutumiers ; en Guinée Maritime ils sont dirigés par un chef (issu généralement du lignage fondateur) et par le Conseil des Sages (Beuriot, 2007). S’appuyant sur les modes de gestion autochtones de l’espace, la loi sur la décentralisation impose aux communautés villageoises de se regrouper par affinité afin de former les « districts ».

Jusqu’à présent, les villages et leurs hameaux, étaient regroupés en « secteurs » 182 entités

administratives aux limites floues, non reconnues par la loi Fondamentale, mais avec un rôle

administratif portant bien réel183 ; visiblement un héritage de la Première République. On peut alors

considérer que le secteur est le niveau le plus fin de l’administration déconcentrée, bien que ce soit officiellement la sous-préfecture. Les limites des CRD, qui regroupent des districts ont été calquées sur les limites des sous-préfectures ; car il existe une tutelle des sous-préfectures sur les CRD, officiellement pour faciliter le processus de la décentralisation et éviter les conflits locaux,

notamment en matière de recouvrement de l’impôt184. Cet enchevêtrement des circonscriptions et

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Pour Robert (1997 ; cité par Rey, 2007), « les processus de décentralisation sont souvent imposés en Afrique par les pressions internationales en matière de bonne gouvernance », idéaux notamment développés dans la Conférence de Vienne (juin 1993) des Nations-Unies.

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Lors d’un séjour dans le Fouta-Djalon en 2000, un président de CRD nous confiait qu’en matière de financement, « si tu veux deux millions de GNF à Labé, tu dois en demander dix à Conakry !»

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Plus rarement, les différents quartiers d’importants villages constituaient des secteurs, comme à Bigori. 183

Sans être reconnu légalement, le chef de secteur est le prolongement de l’administration à l’échelle du secteur car il fait part à la communauté villageoise des réunions ou décisions prises à l’échelle administrative supérieure. Il est, en outre, chargé de réaliser les recensements annuels et de collecter les impôts dans son secteur (Rey, 2007).

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Les limites entre pouvoir déconcentré et décentralisé sont très floues et de nombreuses attributions relevant normalement du pouvoir déconcentré ont été données au pouvoir décentralisé. Le meilleur exemple est la collecte des impôts, collectés par la CRD (qui s'appuie sur les chefs de secteur et les présidents de district) mais contrôlés par le sous-préfet qui en récupère une partie. Calquer les frontières de la CRD sur celles de la sous-préfecture, permettait au pouvoir déconcentré, tout en réduisant les coûts nécessaire à l'application des textes (puisque ce sont les collectivités locales qui les assumaient en rétribuant la CRD, environ 75% des impôts locaux), de veiller à leur application (Rey, communication personnelle, 2009).

CHAPITRE 3 : L’OUVERTURE GUINENNE DURANT LA DEUXIEME REPUBLIQUE

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des collectivités territoriales, au niveau géographique et en ce qui concerne leurs attributions, a significativement ralenti le processus de délimitation des collectivités locales.

Cette réforme de la décentralisation, « pilotée de l’extérieur », pose un problème car il s’agit bien de transférer les pouvoirs de l’Etat : en théorie « la CRD est administrée localement par des membres élus, dispose d’une enveloppe budgétaire propre (qui se compose pour l’essentiel des financements octroyés par les bailleurs) et peut exercer localement ses décisions. Mais dans un contexte où l’État est fragile, celui-ci a tout intérêt à garder une emprise sur des îlots de pouvoir pilotés quasi-directement de l’extérieur. » (Beuriot, 2007). Dans la pratique, l’État guinéen a donc essayé de contourner la décentralisation en évitant de perdre ses prérogatives. Pour cela il a joué de nombreux stratagèmes. La réalisation des limites territoriales, supervisée par les préfectures et le ministère de tutelle, avec les contraintes de superposition, ont permis de ralentir la mise en place du

processus ; presque dix ans185 ! En conséquence, l’imbroglio des entités administratives

décentralisées et déconcentrées, y compris quand ces dernières ne sont pas officielles comme le

secteur, rend le système peu efficace, confus et source de conflits d’intérêt186. Egalement, le pouvoir

central a joué de toute son autorité pour ralentir la constitution des pouvoirs locaux décentralisés, prévue depuis 1991 : « il n’a pas été appliqué jusqu’en 2005 par appréhension des difficultés d’organisation à prévoir » (Rey, 2007). Enfin, l’Etat contrôle, du moins observe, le fonctionnement des conseils communautaires des CRD, via la nomination d’un conseiller communautaire par le secrétariat de tutelle. Officiellement il est mis au service de la CRD pour ses compétences techniques ; dans la pratique, il représente plutôt un relais de l’administration déconcentrée, impose que toutes les décisions prises au sein de la CRD soient discutées avec la sous-préfecture et entérinées par la préfecture (Beuriot, 2007). Le référendum constitutionnel du 11 novembre 2001 vient anéantir la décentralisation en instituant la nomination des chefs de district et de quartier, jusque là élus (Seck [2009], in Jeune Afrique [2009]).

Pour les défenseurs de la décentralisation (Leclerc-Olive, [2001], Condé [2003]), l’autonomie des collectivités locales est censée favoriser un développement endogène et gommer les inégalités territoriales. Pour cela, la CRD, entité référence de la décentralisation, est indépendante aussi bien dans sa gestion budgétaire que dans ses choix de développement. Le Conseil Communautaire « établit le programme de développement de toute la CRD à partir des fonds de la communauté (issus des impôts), mais aussi, si nécessaire, sur des fonds d’emprunt et encore, si l’opportunité se présente, sur des fonds de concours (issus d’ONG ou d’organes de coopération comme Charente

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« Dans la CRD de Kanfarandé, les données récoltées avant 2000 indiquaient l’existence de quatorze districts ; en 2003, on en trouvait quinze. Dans la CRD de Mankountan, les trois districts de départ ont été démantelés et réorganisés en huit districts. À Tougnifily, la CRD comptait six districts en 1999, elle en compte dix-huit en 2003. Ces recompositions que nous lisions à l’échelle du district signifiaient également qu’à l’intérieur de ces entités, les villages et a fortiori les secteurs avaient également été touchés par les remaniements » (Beuriot, 2007).

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« Localement […], logique ascendante et logique descendante se télescopent, d’autant plus que le siège de la CRD se situe toujours dans le chef-lieu de la sous-préfecture. L’administration du territoire, au sein de laquelle s’inscrit la gestion du développement (et ses larges retombées financières), naît donc dans une ambivalence entretenue entre décentralisation et déconcentration, générant localement des luttes intestines pour le pouvoir » (Beuriot, 2007).

Maritime à Mankountan) » (Rey, 2007). Ainsi, à l’instar des circonscriptions territoriales et en raison de facteurs proches, il existe localement d’importants contrastes dans le fonctionnement et le dynamisme des collectivités locales. Par exemple, si la CRD de Tougnifily fonctionne plutôt bien, celle de Kanfarandé est inexistante : absence de locaux, détournement de l’argent des quelques projets – jamais achevés – et crise de confiance des administrés. Des facteurs structurels limitent également le fonctionnement de la CRD de Kanfarandé : étendue et fragmentation du territoire de la collectivité et faible attraction économique de la zone pour les opérateurs de développement.

Ainsi, le triptyque « un territoire, un pouvoir, un budget » s’avère peu efficace en Guinée : le « rééquilibrage territorial », cette meilleure répartition des compétences entre centre et périphérie n’est, pour l’instant, pas effective sur l’ensemble du territoire national (Levy, Lussault, 2003). D’un côté, la décentralisation, réforme phare de l’administration du territoire guinéen, accuse de lourds dysfonctionnements dix ans après son lancement, faute de volonté politique dans son application : « […] la décentralisation n’a même pas franchi l’étape de la déconcentration administrative » (Beuriot, 2007). De l’autre, ces « lacunes » amènent à s’interroger sur l’utilité de

cette réforme dans ses principes et surtout dans ses modalités de mise en œuvre « participatives »et

standardisées. La décentralisation, basée sur les solidarités naturelles ou capital social, est souvent détournée de ses principes pour aboutir à un niveau supplémentaire de clientélisme politique

(Lemarchand, 1998). Dans ce contexte, P. Rey (2007) propose, sans ambages, de «

dé-décentraliser ».

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