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L’intensification des relations commerciales et la lutte pour l’espace à partir du 18ème siècle

ANCIENNE A LA REVOLUTION SOCIALISTE

2.3 LA CONQUETE COLONIALE ET L’INTEGRATION DU LITTORAL GUINEEN AU COMMERCE MONDIAL GUINEEN AU COMMERCE MONDIAL

2.3.2 L’intensification des relations commerciales et la lutte pour l’espace à partir du 18ème siècle

2.3.2.1 Entre ouverture ou fermeture au commerce littoral : la variété

des stratégies autochtones à la fin du 17

ème

siècle

Le développement des relations commerciales entre, d’un côté les européens, parmi lesquels figurent principalement les Français et les Anglais, de l’autre les commerçants Peul et Malinké, a des conséquences sur les « premiers arrivants » Baga, Nalou et Landouma. De part et d’autre des rios et rias, où la navigation est la plus facile et qui remontent loin à l’intérieur des terres, là où la circulation des biens et des personnes est donc la plus intense, les populations en présence se livrent une compétition pour le monopole des sites où se pratique la traite (Passavant [2000], in Gaillard [2000]). Les Nalou et les Baga ont vraisemblablement été des acteurs mineurs dans les transformations qui accompagnèrent l’essor de la traite esclavagiste, ayant choisi le repli de leurs communautés sur la côte, où les forêts de mangrove, les nombreux marécages et le réseau hydrographique dessinent un relief compartimenté et des zones habitables enclavées (Mouser, Passavant [2000], in Gaillard [2000]). Pour eux, c’est aussi une période de division géographique, et donc économique, politique et sociale de leurs groupes ethnoculturels : les espaces où ils se sont repliés, les îlots de mangrove, contraignent bien souvent à l’établissement de groupes humains aux dimensions réduites. Ainsi, en dehors des marges de leurs aires d’influences ces groupes ethnoculturels sont mal incorporés au réseau des échanges côtiers et ne constituent pas la cible des négriers. Sous la pression des razzias et de l’immigration, ils voient leurs territoires s’amenuiser mais

ils tentent de résister75 en organisant leur défense ; c’est le cas notamment des Baga.

Installés sur les rives du Nuñez, dans la région de Boké, les Landouma, quant à eux plus

exposés que leurs voisins, forment dès le début du 17ème siècle un royaume important, le

Landoumataye. En se rattachant à l’empire du Mali76 et en s’appuyant sur leur situation

géographique avantageuse, les Landouma deviennent une puissance sur le Nuñez et participent activement à la traite et aux divers commerces au Nord de la Basse-Côte. Leur territoire devient un passage obligé des négociants européens et leur intégration économique est alors importante.

Jusqu’au début du 18ème siècle, l’immigration mandé et peul se poursuit avec l’extension du

commerce maritime. Au Pongo, les Soussou étendent leur zone d’influence et développent d’importantes activités commerciales. Avec l’arrivée de l’islam réformiste dans le Fouta-Djalon et le

75

« L’indépendance des Baga signifiait « l’obéissance à leurs seules lois ». Sans aucun doute, cette remarque [de Gamble, 1793] qu’ils n’avaient pas d’esclaves ni n’en vendaient, est inhabituelle pour des peuples de cette région. » (Mouser [2000], in Gaillard [2000] ). 76

Mali à la fin du 17ème siècle, de nombreuses populations (Dialonké, Mikhiforé, etc.), alors installées sur les massifs et dans la savane intérieure, fuient vers le littoral et viennent grossir les communautés qui y vivent. Cette vague d’immigration à deux conséquences majeures pour les groupes ethnoculturels côtiers : soit l’assimilation les renforce, notamment par la force du nombre, soit elle diversifie et complexifie la situation territoriale.

2.3.2.2 L’affirmation des royaumes côtiers et leur ouverture au

commerce au 18

ème

siècle

A partir du 18ème siècle, les tendances économiques et démographiques amorcées se

confirment. Les peuples de la Basse-Côte connaissent depuis le siècle précédent un fort accroissement démographique qui résulte d’un mouvement de croissance interne soutenu par un

flux de migrants en provenance du Fouta-Djalon77.

Les Nalou, forts de leur nombre, de leur connaissance de l’environnement local, de leurs prérogatives de « premiers arrivants » et du sentiment d’identité qui grandit, s’organisent à leur tour en royaume sur lequel ils s’appuient pour bénéficier des opportunités du commerce international (richesse, armement, etc.). Ils étendent alors, aux dépens des Landouma, leur territoire jusqu’à la

rive Nord du Nuñez (Demougeot, 1938). Le Naloutaye ou royaume Nalou78 se structure autour de sa

capitale Kanfarandé et entre dans le commerce international en participant notamment aux activités de traite. Il s’agit d’une rupture essentielle pour ce groupe ethnique auparavant replié et divisé sur son territoire.

Pour les mêmes raisons, le Bagataye connait lui aussi son apogée79, s’insérant à son tour

dans le commerce ; mais pour les Baga, leurs principaux partenaires ne sont pas les européens mais les caravanes Peules avec lesquelles ils échangent du sel et de la noix de cola contre du riz, de l’ivoire et des armes modernes (fusils et poudre). Dans le Nuñez, et dans une moindre mesure le Pongo partagé avec les Soussou, le commerce de sel des Baga constitue une source d’approvisionnement indispensable à la continuité de la rentabilité du commerce (Mouser [2000], in Gaillard [2000]). Puissamment armés, ils contrôlent les communications littorales par voie de terre entre le Pongo et le Nuñez, maintenant à distance les « étrangers ».

77

Ce mouvement migratoire s’est accéléré avec l’instauration dans ce massif d’un Etat théocratique à partir de 1725. 78

Le Naloutaye est pourtant divisé en deux principales segmentations lignagères (clans) concurrentes (Passavant [2000], in Gaillard [2000]). 79

La société baga est acéphale et donc divisée en multiples clans lignagers79 et le « pays baga » n’est alors pas un royaume hiérarchisé

comme celui des Nalou ou des Landouma. D’après Sarro ( in Gaillard [2000]), « les Baga qui occupent le long de la rivière guinéenne, de Conakry au Sud jusqu’au Rio Nunez au Nord, se divisent en huit grands groupes (du Sud au Nord) : Baga Kaloum, Baga Koba, Baga Marara, Baga Kakissa, Baga Fore, Baga Pokour, Baga Sitem et Baga Mandori. »

CHAPITRE 2 : UNE RELECTURE GEOHISTORIQUE DES DYNAMIQUES SPATIALES

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Ainsi géographiquement, économiquement et politiquement redéployés, les autochtones de la Basse-Côte guinéenne affirment les frontières de leurs territoires mais tendent à l’ouverture, avec des degrés différents. Dans le Nuñez, les Baga occupaient le littoral, tandis que les Landouma et les Nalou tenaient le haut de la rivière.

Cette consolidation et ouverture des royaumes Baga et des Nalou coïncide avec deux

tendances majeures se confirment au 18ème siècle : La première correspond aux migrations de

commerçants islamisés80 (et islamisants) en provenance du continent. A l’origine des importantes

migrations du Fouta-Djalon vers la côte, l’islamisation rencontre en Basse-Côte de fortes résistances, notamment dans le Nord, mais elle profite des conflits locaux autour des sites de commerce (Boké) pour s’installer durablement dans ces zones et ouvrir des marchés aux différents commerçants. La deuxième correspond à l’accentuation des velléités hégémoniques des puissances européennes dans la zone des Rivière du Sud.

2.3.2.3 La lutte pour les routes commerciales entre autochtones,

Européens et Peul

A partir de la deuxième moitié du 18ème siècle commence une période complexe et trouble

de forte insécurité et d’importants conflits pour l’occupation de l’espace et des pôles des réseaux

commerciaux81. Dans ce contexte confus, les Peul musulmans, représentants des almamy82 du

Fouta-Djalon deviennent les suzerains de la Basse-Côte (Demougeot, 1938) et imposent le paiement du

sagalé83 à leurs vassaux84.

Pour les puissances européennes, cette insécurité compromet le bon déroulement des relations commerciales et notamment la traite des esclaves ; il s’agit alors de protéger les activités des négociants et leurs comptoirs ou factoreries, dans une période où, localement, la politique de courtage ne suffis plus à garantir les activités. De plus, leurs ambitions coloniales se développement

80

A partir de 1750-60, commence une nouvelle vague d’immigration de populations islamiques, dont les Malinké, notamment dans le Sud de la Basse-Côte, les Peul et les Diakhanké dans le Nord. Réformistes et esclavagistes, ces migrants musulmans s’appuient sur la charia, la loi islamique, sur le droit du Djihad et imposent violemment leurs positions. Ainsi les peuples vaincus, s'ils sont des croyants monothéistes, peuvent ou se convertir à l'islam ou garder leur foi et leur organisation religieuse communautaire, à la seule condition de payer tribut. Ils deviennent en ce cas les « hôtes protégés » (dhimmi) de la communauté musulmane. Les non-croyants, eux, devaient se convertir ou être réduits en esclavage.

81

Cette insécurité est totale : à l’intérieur des groupes ethnoculturels, entre groupes autochtones, entre autochtones et migrants, entre agriculteurs locaux et éleveurs en provenance du Fouta-Djalon, entre animistes et musulmans, entre esclavagistes et non-esclavagistes, entre africains et traitants européens ; à de multiples échelles, sous de multiples formes.

82

Nom d’origine arabe, l’almamy est un chef religieux et temporel du Fouta théocratique (Diallo, 2000). 83

Le sagalé est une taxe que devaient payer régulièrement les chefs vassaux à l’almamy du Fouta théocratique, leur suzerain. 84

Seuls les Baga ont pu éviter la domination de l’étranger et protégés par leurs forêts et leurs marécages, ont réussi à conserver leur indépendance et les Peul n’ayant jamais pu les contraindre à payer tribut (Demougeot, 1938 ; Paulme, 1956), ni même, en raison.

au regard des ressources du continent africain. Entre les Français, installés au Nord, sur les côtes sénégalaises et les Anglais, ancrés sur les littoraux sierra-léonais et gambien, la Basse-Côte guinéenne se retrouve au centre d’une guerre d’influence pour son occupation. Tour à tour, jusqu’à l’imposition de l’autorité française, Européens et Africains s’allient, se combattent, se divisent et se réconcilient

tout au long du 19ème siècle85.

2.3.2.4 De la marge à l’ouverture, au bénéfice des puissances coloniales

Alors que le littoral guinéen occupait jusqu’au 16ème siècle une situation de marge,

l’implantation progressive des commerçants, puis des Etats européens inverse progressivement cette

situation au cours du 17ème et 18ème siècle. Il se retrouve au centre des intérêts territoriaux des

différentes puissances coloniales européennes et africaines de l’intérieur. A travers le développement des comptoirs, puis des postes de garnison militaire, la Basse-Côte devient un point d’ancrage du processus de colonisation et connaît une période de troubles sans précédent liés à la conquête du continent et de son partage progressif et chaotique entre les autochtones, les colonisateurs, les commerçants continentaux Peul et Mandé. Cette transition géographique atteint

son apogée à la fin du 19ème siècle avec une longue période de conflits entre les différents acteurs de

la zone. A l’exception des Baga, les groupes ethnoculturels autochtones subissent alors frontalement les troubles et paient lourdement le prix d’une volonté d’ouverture, certes tardive. L’affirmation de la puissance coloniale sur la Basse-Côte et ses ambitions continentales vont donner au processus de colonisation une dimension totale : jusqu’alors essentiellement concentrée sur les voies de commerce, à savoir les estuaires fluviaux navigables et les routes des caravanes, la mainmise des

colonisateurs va s’étendre, à partir du début du 20ème siècle, à l’ensemble des territoires des groupes

ethnoculturels alors en place.

85

Pour parvenir à leurs fins et asseoir leurs implantations, les français et les anglais, mais aussi les portugais les belges et les allemands,

joueront tantôt de la force militaire85, tantôt des alliances avec les chefs locaux. Par exemple, « plusieurs dizaines de villages [dont

Kanfarandé] dans le Rio Nuñez furent détruits à coup de canons et brûlés avec leur population. » (Suret-Canale, 1983) Parfois ce jeu se retourne contre eux, au profit des commerçants africains du continent, principalement les Peul : « tous ces traités ou accords n’avaient qu’une valeur relative, les chefs indigènes étant la plupart du temps liés à la fois ou successivement vis-à-vis de plusieurs puissances européennes » (Hanotaux, 1929).

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2.3.3 L’annexion de la Basse-Côte et la colonisation

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