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ENTRE EFFETS DE LIEUX ET EFFETS DE CONTEXTE

1. La gouvernance pour cerner les modalités de coordination d’une gestion de crise gestion de crise

1.2. Une lecture par les instruments de l’action publique

L’action publique, pour répondre aux objectifs qu’elle se fixe dans la mise en place de politiques, se structure autour d’outils (réglementaires, techniques, scientifiques). Ces outils, qualifiés d’instruments de l’action publique [Salamon L. M., 2002 ; Lascoumes P., 2007 ; Lascoumes P., Simard L., 2011], désignent les dispositifs qui organisent « des rapports sociaux spécifiques entre la puissance publique et ses destinataires » [Halpern C., Lascoumes P., Le Galès P., 2014, p. 17]. La lecture par les instruments de l’action publique permet, d’une part, de questionner l’identité et le rôle des acteurs mobilisées par les pouvoirs publics et, d’autre part, d’analyser les relations qu’ils entretinrent tous pour gérer, en l’occurrence, les farines animales.

1.2.1. Un concept utile pour appréhender les acteurs et leurs interactions

La gouvernance désigne, dans ce travail, à la fois la mise en relation d’acteurs, initiée par l’autorité publique, et leurs interactions pour traiter un phénomène perçu comme problématique. Dans ce cadre, l’autorité publique développe des politiques qui mobilisent des acteurs, aussi bien individuels (ministres…) que collectifs (services déconcentrés de l’Etat, sites industriels…), potentiellement situés à des niveaux d’actions multiples (infranational, national, supranational ou international). L’entrée par les instruments permet ainsi de questionner la structuration de l’action publique mise en place par l’Etat français pour gérer les farines animales après leur interdiction complète dans l’alimentation des animaux d’élevage : a-t-elle pris la forme du modèle classique de l’Etat centralisateur, dans laquelle la gestion est

presqu’uniquement dictée par le niveau national, ou, à l’inverse, a-t-elle vu les échelles d’actions se multiplier, aussi bien entre le national et le local ? Il n’est ici aucunement question de mettre en débat l’influence et les prérogatives de l’Etat [Meisel N., Ould Aoudia J., 2008] mais bel et bien de prendre en compte l’ensemble des interactions qui permirent de résoudre la seconde crise de l’ESB [Lascoumes P., Le Galès P., 2007]. La notion de gouvernance se définit, dès lors, comme un « processus de coordination d’acteurs, de groupes sociaux, d’institutions pour atteindre des buts discutés et définis collectivement » [Lascoumes P., Le Galès P., 2007, p. 21].

La gouvernance, dans cette lecture associée aux instruments de l’action publique, permet de rendre compte d’un grand nombre de situations où se mêlent différents acteurs. La gouvernance est ici considérée comme synonyme d’un « jeu collectif » [Lascoumes P. et Le Galès P., 2007, p. 6] où sont possiblement mises en interaction des entités publiques (agences d’Etat…), privées (firmes…) et civiles (associations de quartiers…). L’acteur doit, en ce sens, être compris comme une composante d’un système social occupant une position sociale déterminée [Noseda V., Racine J.-B., 2001, p. 67] par les instruments de l’action publique. En effet, c’est l’Etat qui, du moins au lancement d’une politique, mobilise des acteurs et leur impose des normes et des préconisations à respecter. Il s’agit donc d’analyser comment s’effectue cette mise en relation d’acteurs hétérogènes puis de relever et mesurer les interactions que ces acteurs entretiennent dans le temps pour résoudre les perturbations.

A ce sujet, les acteurs impliqués, bien qu’interagissant pour la résorption d’un problème commun, ne partagent pas nécessairement les mêmes intérêts. Ils disposent chacun d’un libre-arbitre, de logiques et de stratégies propres conduisant certains à n’éventuellement pas respecter à la lettre les préconisations publiques. La gouvernance met ainsi l’accent sur les « jeux de

négociation, de compromis, d’alliances et des rapports de force » [Leloup F., Moyart L.,

Pecqueur B., 2005, p. 329] qui se nouent dans l’action publique. Il convient, de la sorte, de saisir, d’abord, les éventuels comportements divergents, et, ensuite, d’isoler les raisons qui poussent ces acteurs à ne respecter que partiellement les normes émises par l’Etat.

1.2.2. Un concept utile pour appréhender les acteurs et leurs niveaux d’action

le bas (UE, départements…) [Lascoumes P. et Le Galès P., 2007]. L’action nationale se voit être de plus en plus interaction avec des acteurs agissant à des niveaux qui lui sont inférieurs (régions, départements, villes…) et/ou supérieurs (UE, firmes mondiales…). La lecture par la gouvernance peut permettre, d’une part, de mettre en scène ces différents niveaux d’action participant à l’action publique en situation de crise et, d’autre part, de mesurer l’importance de chacun dans la coordination.

A cet égard, la gouvernance se voit fréquemment affublée d’un qualificatif témoignant de processus transcendant les échelles. La gouvernance mondiale (« global governance ») [Chavagneux C., 2001 ; Vittori J.-M., 2010 ; Ansell C., Torfing J., 2016] est, par exemple, une expression devenue courante témoignant de l’élaboration de politiques et de programmes d’action à l’échelon supranational pour résoudre des problèmes tels que le SIDA, le terrorisme, la pauvreté ou encore le réchauffement climatique. L’essor de cette notion de gouvernance mondiale semble intrinsèquement lié à l’émergence et l’affirmation de grandes institutions de régulations comme la Banque Mondiale, le FMI ou l’ONU qui influencent, désormais, le développement et les orientations (politiques, économiques…) d’acteurs à des échelles plus fines (étatique, régionale…). La gouvernance locale (« local governance ») [Baron C., Belarbi W., 2010 ; Petrella F., Richez-Battesti N., 2012], ou « gouvernance territoriale » [Leloup F., Moyart L. et Pecqueur B., 2005, p. 321 ; Dupuis J., 2015, p. 8], définit, pour sa part, « l’association de la proximité géographique à deux autres formes de proximité, institutionnelle et organisationnelle » [Talbot D., 2006]. La gouvernance locale met, de ce fait, en valeur l’organisation et la coordination d’acteurs locaux, notamment au travers de la participation des citoyens « au débat démocratique […] pour décider de ce que sera leur vie quotidienne » [Dubus N., Helle C., Masson-Vincent M., 2010]. Elle renvoie, au-delà de la proximité géographique, à une proximité organisationnelle, où les acteurs obéissent « à des logiques de

similitude ou d’appartenance » [Bertrand N., Moquay P., 2004, p. 78], et à une proximité

institutionnelle « entendues comme les valeurs que partagent les acteurs dans le projet collectif » [Beaurain C., Longuépée J., Pannekoucke Soussi S., 2009, p. 374]. Par l’intermédiaire de la gouvernance locale, il s’agit de montrer l’importance des acteurs présents à cet échelon dans le développement de leur territoire et leur implication croissante dans les processus de décision. Elle est, en quelque sorte, une reconnaissance des changements qui se sont opérés ces dernières années dans le développement et l’application des politiques publiques à l’échelle locale.

Ces différents qualificatifs de la gouvernance apparaissent, cependant, trop réducteurs pour pouvoir rendre compte des processus mettant en lumière des dynamiques spatiales complexes. Ce concept a, en effet, pour particularité de pouvoir souligner les interactions entre plusieurs échelles au sein d’un jeu commun. L’idée de gouvernance multi-niveaux (« multilevel governance ») [Poupeau F.-M., 2017], ou « multiscalaire » [Létourneau A., 2009], semble, de fait, plus proche de l’objectif poursuivi par ce travail souhaitant isoler et mesurer l’importance respective de chaque niveau d’action mobilisé pour gérer les farines animales. Comme le souligne Catherine Baron [2003, p. 346], « l’intérêt de raisonner en termes de gouvernance réside dans le fait de dépasser des approches a-spatiales en tenant compte des interactions complexes entre le local et le global ». Par le biais du qualificatif multi-niveau, il s’agit de mettre l’accent sur le fait que l’action publique engagée pour répondre à un problème national peut être le fruit de décisions et d’interactions conduites par des acteurs n’agissant pas nécessairement à l’échelle nationale. Il s’agit donc de mettre en lumière l’enchevêtrement des niveaux d’action. Il est, dès lors, impossible de dresser une hiérarchie de ces multiples échelles car le concept de gouvernance remet fondamentalement en cause la centralisation des processus décisionnels en soulignant « la multiplicité et la variété (de nature, de statut, de niveau) des

acteurs associés à la définition et à la mise en œuvre de l’action publique » [Leloup F., Moyart

L. et Pecqueur B., 2005, p. 325]. Le modèle politique théorique traditionnel descendant et centralisé est battu en brèche au profit d’une nouvelle conception polycentrique. Dans cette acceptation, chaque acteur, quels que soient son échelle et son statut, est considéré comme participant activement aux dialogues et à la prise de décision, grâce à l’élargissement de la sphère résolutive et à l’interdépendance croissante de ces acteurs tant privés que publics. Il convient donc de regarder si, dans le cas d’une crise, où l’action publique semble devoir être, de prime abord, coercitive et centralisatrice, ce modèle classique est également dépassé. La notion de gouvernance est, en outre, pleinement investie par les géographes. Les questions développées par ces derniers portent notamment sur la manière dont les risques naturels sont localement gérés [Beucher S., 2008 ; Bawedin V., 2013] ou encore sur la façon dont les différents acteurs sont impliqués dans les politiques d’aménagement [Billard G., Madoré F., 2007 ; Signoret P., 2011]. En géographie, la gouvernance s’appuie sur l’identification des acteurs et des échelles mobilisés, sur leurs interactions et sur leur capacité respective à contrôler et réglementer un territoire. En géographie urbaine par exemple, l’entrée par la gouvernance dans l’étude des métropoles contemporaines permet d’analyser « une modalité d’action qui

coopératives à partir d’un constat de la pluralisation des modes de gouvernement et des acteurs

responsables des décisions » [Shearmur R., 2003]. L’approche par la gouvernance offre, en ce sens, la possibilité de s’affranchir des conceptions qui attribuaient la compétence de produire des politiques publiques uniquement aux acteurs institutionnels. Ainsi, les géographes, quelle que soit leur thématique d’étude, ont recours à ce concept afin d’ouvrir « la focale sur

l’ensemble des acteurs qui participent à la construction et au traitement des problèmes

collectifs » [Shearmur R., 2003].

La gouvernance nous oblige, de fait, à repenser un nouvel espace de régulation collective. Par exemple, le politologue André-Pierre Contandriopoulos isole trois niveaux de régulation appliqués au système de santé publique français. Certes, cet exemple s’attache à décrire un phénomène extrêmement précis mais la portée théorique de sa proposition est telle qu’elle peut facilement être appliquée à la description d’autres champs de régulation et d’action. Pour ce dernier, trois niveaux d’actions sont, en effet, identifiables quant la gestion du système de santé publique français : « macroscopique », « mésoscopique » et « microscopique » [Contandriopoulos A.-P., 2008, p. 193]. Chacun de ces niveaux est affublé de rôles spécifiques censés permettre le plein fonctionnement de la politique publique. A l’échelle mésoscopique, la définition des modalités d’application des mesures adoptées au niveau macroscopique. A l’échelle microscopique, en prise directe avec le problème à traiter, l’application des normes et préconisations mésoscopiques. Or, à ce niveau local, le contexte peut influencer le plus ou moins bon respect des normes, les acteurs pouvant être amenés à faire du « sur-mesure » au vu de problématiques qui leurs sont spécifiques. Ainsi, malgré une certaine vision hiérarchique, la prise de décision étant indissociable de l’échelle macroscopique, les processus de gestion sont extrêmement complexes à agencer du fait des multiples échelles et contextes impliqués. Il est alors primordial de comprendre les stratégies mises en place par les pouvoirs publics pour mobiliser des acteurs et les interactions qui en découlent pour appréhender les différents déterminants d’une gestion de crise.

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