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LA TERRITORIALISATION DE LA GESTION DE CRISE : REFLEXIONS ET ORIENTATIONS DE

1. La gestion de crise : temps, espace, acteurs

1.2. L’action en situation de crise : entre adaptation et « bricolages »

1.2.1. La crise comme perturbation pour l’action publique

La crise entraîne une vive « déstructuration de tous les repères, une dérégulation des

mécanismes et des réactions habituelles. C’est une dynamique qui s’autoalimente par un effet

boule de neige provoquant une incapacité grandissante à maîtriser l’incertitude » [Combalbert L., Delbecque E., 2012, p. 9]. Les acteurs qui y font face ont, en ce sens, tendance à se sentir « noyés » face à la complexité et l’incertitude des actions à prendre. La crise apparaît être, pour l’ensemble de la collectivité qui en connaît les effets, une situation d’urgence qui dépasse les aptitudes immédiates. Elle nécessite néanmoins une réponse sociale et/ou politique rapide qui contribue « à modifier la société » [Beucher S., Reghezza M. et Veyret Y., 2004, p. 24]. Une crise peut, en outre, « en cacher une autre » [Strassel C., 2013, p. 33] puisqu’elle met en jeu un grand nombre d’éléments sociaux et spatiaux aux intérêts potentiellement éloignés et aux caractéristiques différentes. Les situations de crise se distinguent par une déstabilisation des autorités qui ont une difficulté à appréhender l’ensemble des perturbations et à anticiper un plan de gestion cohérent et accepté par tous. Cette déstabilisation peut, à ce titre, se caractériser d’au moins deux façons. Elle peut, d’un côté, se marquer par le désengagement progressif ou brutal de certains individus ou structures de l’organisme touché. Par ce mécanisme de repli, les acteurs cherchent à protéger leurs activités et/ou structure d’éventuelles retombées négatives. C’est notamment lors de cette étape que les mouvements de contestations, les manifestations citoyennes, voire même des comportements hostiles au plan de gestion, sont les plus virulents. Les crises instaureraient, de manière insidieuse, une scission dans les sociétés qu’elles touchent. La déstabilisation peut, d’un autre côté, être liée à l’incertitude et la masse de données et d’informations à gérer dans un temps restreint [Dautun C. et al., 2006]. Il peut alors exister un décalage entre les stratégies affichées dans les premiers temps de la crise et les pratiques et procédures effectivement appliquées.

C’est pourquoi la gestion de crise, malgré les efforts et la volonté des acteurs, est le fruit de « bricolages » incessants. Il s’agit de « faire avec l’environnement, le contexte et les ressources

[…] présent[e]s » [Meunier D., Lambotte F., Choukah S., 2013, p. 348], ces derniers pouvant évoluer dans le temps et influencer l’orientation de la gestion. Les chemins pour atteindre les objectifs peuvent ainsi être divergents par rapport aux premières orientations. Ces deux dimensions singulières de la crise revêtent donc un véritable intérêt, ces dernières exprimant les temporalités qui animent une crise. Quoi qu’il en soit, par les mécanismes qu’elle met en jeu, la gestion de crise participe au développement de nouvelles actions publiques plus ou moins bénéfiques pour les sociétés et acteurs qu’elle concerne [November V., Delaloye R., Penelas M., 2007 ; November V., Creton-Cazanave L., 2017].

1.2.2. Des causalités linéaires à dépasser pour appréhender la gestion d’une crise et ses conséquences

Il apparaît caduc de rester sur un modèle compréhensif de la crise cloisonné entre dynamique positive et/ou négative. La crise est, par essence, une notion ambivalente, celle-ci désignant le fait de prendre une décision dans un contexte nécessitant l’action mais dont nous ne maîtrisons et ne connaissons pas ses conséquences. Un tel phénomène semble être tout à la fois chargé de nuisances et d’opportunités, la distinction entre les deux s’opérant en fonction des acteurs, de leurs pouvoirs et de leurs stratégies. Il paraît, à ce sujet, plus intéressant d’analyser ces phénomènes, non plus seulement à l’aune d’un prisme négatif – les crises induisant uniquement des difficultés pour l’ensemble des acteurs qui s’y confrontent – mais comme pouvant être une potentielle ressource saisie par des acteurs pour se développer et s’affirmer.

La crise ne met pas seulement en lumière la ou les vulnérabilité(s) d’une société face à un ou plusieurs aléa(s). Ces derniers, seuls, ne suffisent d’ailleurs pas pour comprendre l’ensemble des mécanismes en jeu lors d’une telle situation [Fabiani J.-L., Theys J., 1987 ; Alexander D., 1993]. En effet, un aléa d’intensité faible peut avoir de graves conséquences dans certaines sociétés tandis qu’un aléa de forte intensité ne débouche pas obligatoirement sur une catastrophe de grande ampleur dans d’autres. La vulnérabilité est, à ce titre, une notion difficile à saisir car elle revêt un double sens selon les auteurs. Pour certains, elle fait référence aux endommagements potentiels que peut subir une société alors que, pour d’autres, elle qualifie la faiblesse des capacités de réponse d’une organisation [Provitolo D., 2007]. Il existe, en ce sens,

objectif l’identification des éléments vulnérables – les enjeux (personnes, infrastructures, activités…) – et l’évaluation des pertes et dégâts qu’une catastrophe ou crise pourrait entraîner sur ces éléments [Adger W. N., 2006 ; Provitolo D., Dubos-Paillard E., Müller J.-P., 2009]. Cette approche cherche à réaliser des grilles d’évaluation des dommages potentiels pour chaque enjeu retenu. Dans cette acceptation, la vulnérabilité n’est perçue que comme une composante passive. Or, dans le cadre de ce travail, il semble plus cohérent de la considérer comme une composante active, la crise étant un phénomène endogène dont l’émergence, le maintien et la résorption sont liés à l’action humaine. Dans ce second courant, la vulnérabilité exprime alors la capacité d’une société ou d’un individu à éviter, anticiper et maîtriser une crise [Blaikie P et al., 1994 ; Luers A., 2005] Pour autant, la recherche sur ces phénomènes ne s’oriente encore que peu sur l’analyse de l’action publique et ses effets dans le traitement des problèmes [Wybo J.-L., 2010 ; Fallon C. et al., 2012]. Ce pan est d’ailleurs assez peu investi par les géographes [Robert J., D’Ercole R., 2014].

La compréhension d’une crise et ses conséquences doit, dès lors, mettre l’accent sur les modes d’organisation de la gestion et sur le poids des pratiques de chaque acteur et niveau d’action mobilisés. La vulnérabilité, généralement admise comme un élément négatif, soumettant les sociétés à un danger potentiel, doit ici porter sur l’analyse des stratégies et comportements propres à chaque acteur qui s’immisce dans la gestion d’un phénomène perturbateur. La vulnérabilité ne s’inscrit ainsi plus uniquement dans une vision négative et passive. En effet, si un acteur s’implique dans la gestion d’une crise, c’est qu’il a, outre les perturbations, identifié des retombées qui lui seront positives. Il faut alors pousser l’analyse plus en amont pour connaître les raisons qui poussent un ou des acteur(s) à prendre en charge la résolution d’un problème qui peut, au départ, ne pas le concerner ou l’affecter. Il faut également questionner, dans le cadre d’un problème national, l’importance des effets induis par l’application locale des normes nationales : ces dernières ont-elles toutes été pareillement respectées ? En cas d’adaptations locales, celles-ci ont-elles entraîné des difficultés ou, au contraire, par la prise en compte des problématiques de terrain, ont-elles favorisé une résorption rapide des problèmes ? Dans cette vision, c’est la gestion qui apparaît être intrinsèquement porteuse de vulnérabilité et non pas uniquement l’aléa. L’objectif de ce travail est de proposer une analyse qui dépasse les causalités linéaires par l’analyse des acteurs et des effets de leurs pratiques dans la résolution d’une crise.

Il convient, pour cela, de mettre en relation la notion de vulnérabilité avec celle de résilience [Berkes F., Ross H., 2013 ; Buchheit P., d’Aquino P., Ducourtieux O., 2016] qui cherche « non

pas à s’opposer à l’aléa, mais à en réduire au maximum les impacts » [Dauphiné A., Provitolo

D., 2007, p. 115]. La résilience exprime l’idée qu’il est impossible d’empêcher la survenue d’un accident mais qu’il faut, en revanche, tout faire pour en réduire les impacts. Elle s’inscrit dans un courant de pensée contemporain estimant que nous ne pouvons vivre dans un monde sans risque [Beck U., 1986]. Pour autant, résilience et vulnérabilité restent couramment opposées alors qu’il semblerait intéressant de les lier, notamment lorsqu’il s’agit de questionner l’action publique et ses effets dans la gestion d’une crise. Ainsi, un grand nombre d’études sur la résilience ont tendance à démontrer que le niveau socio-économique de la société exposée influence grandement sa capacité à faire face à des évènements perturbateurs [Dauphiné A., Provitolo D., 2007]. Or, si le développement économique est une dimension à ne pas négliger, les dimensions mémorielles et organisationnelles paraissent toutes aussi importantes. Le prisme économique et financier ne doit aucunement venir masquer le poids explicatif des décisions et organisations déployées pour éviter ou résoudre une crise. Il apparaît, de ce fait, judicieux d’utiliser l’expression de « vulnérabilité résilienciaire » [Provitolo D., 2012].

Cette notion propose d’étudier les notions de résilience et de vulnérabilité comme un continuum quand bon nombre de recherches les opposent encore. Elle démontre qu’un questionnement se porte sur la pertinence des modèles de compréhension traditionnels des dynamiques de risques, catastrophes et crises. La « vulnérabilité résilienciaire » [Provitolo D., 2012] paraît être, de ce fait, porteuse d’un renouveau scientifique puisqu’elle émet l’hypothèse que « la vulnérabilité peut avoir un effet positif lorsque le changement conduit à une transformation positive, et que la résilience peut avoir un effet négatif » [Dauphiné A. et Provitolo D., 2013, p. 36] lorsqu’elle induit un faux sentiment de sécurité. Elle offre l’opportunité « de mettre en lumière l’ensemble des potentialités, capacités et réactions » permettant à une société « de se protéger et faire face aux évènements mineurs ou extrêmes » [Provitolo D., 2012].

La « vulnérabilité résilienciaire » est un processus dynamique qui s’inscrit à la fois dans le domaine concret et le domaine idéel, entre ce qui existe et ce qui est perçu, entre ce qui est fait et ce qui sera fait. Elle cherche « à comprendre les relations tissées entre la résilience et la

vulnérabilité et à se défaire de l’idée que la vulnérabilité est forcément un concept à

dans l’émergence et la résolution de phénomènes perturbateurs. Les conséquences de ces derniers apparaissent intimement liées à la capacité des acteurs à formuler un plan de gestion adapté et adaptable par toutes les parties prenantes.

Dans le cadre spécifique d’une crise et de sa gestion, la ou les décision(s) prise(s) pour le bien commun peut(peuvent) être considérée(s), en partie, comme un aspect positif, démontrant la capacité d’une société à décider et à agir face à un problème. Pour autant, ces décisions peuvent conduire à des perturbations et des dérèglements qui n’ont pas forcément été appréhendés par les gestionnaires. L’interdiction des farines animales illustre d’ailleurs parfaitement ce point puisque les autorités durent, à partir du 14 novembre 2000, trouver de nouveaux exutoires pour ces produits dont la production demeura et demeure obligatoire. Ce sont donc la prise de décision et les formes d’action adoptées qui peuvent générer des perturbations quand leurs conséquences n’ont pas été parfaitement définies et mesurées. Les autorités peuvent, à ce titre, soit surestimer leur capacité, soit avoir complètement omis certaines réactions. C’est ainsi plus l’action publique qui peut être source de vulnérabilité, notamment par la non-anticipation de toutes les variables potentiellement en jeu, que l’aléa lui-même. Il s’agit alors de mettre la focale sur le plan de gestion adopté par les autorités nationales et son application locale pour comprendre comment un problème est appréhendé, géré et dépassé par divers acteurs interagissant ensemble. Par ce biais, il s’agit de regarder comment ce plan, inscrit dans des textes et guidant, en théorie, l’action des gestionnaires est véritablement appliqué : est-il respecté ? si non, pourquoi et quelles en sont les conséquences ?

1.3. La participation des acteurs au programme de gestion : entre capacité et

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