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stratégies de l’action publique

2.1. Le gouvernement : production de normes et de règles

2.1.1. De l’autorité…

Le gouvernement exprimait au XVIIIe siècle la manière dont la souveraineté s’exerçait [Diderot D. et D’Alembert J., 1757]. Depuis, son sens a peu à peu évolué pour devenir le nom « de

l’institution conçue comme étant par excellence chargée de son accomplissement » [Crowley

J., 2003, p. 53]. Le gouvernement se caractérise par des principes généraux de constitution et d’organisation d’une collectivité ; par un organe qui instruit, décide, alloue, impose et administre ; par un processus de fonctionnement interne à l’organe et dans ses relations avec son environnement (administrés) ; et par ce qui « sort » du gouvernement, c'est-à-dire toutes les mesures (normatives, incitatives, coercitives…), les programmes et les politiques ayant des effets immédiats et tangibles pour les acteurs administrés [Leca J., 2012].

Le gouvernement renvoie à la question de l’autorité, à savoir à la légitimité qui est conférée à la puissance publique pour légiférer et induire des actions dans un domaine spécifique de la société et/ou du territoire [Thoenig J.-C., 1985]. Ainsi, toutes les politiques publiques « véhiculent des contenus […] et génèrent des effets. […] Elles se déploient à travers des

relations avec d’autres acteurs sociaux et collectifs ou individuels » [Lascoumes P., Le Galès

instigue un programme d’action par la combinaison de « lois, d’affectations de crédits,

d’administrations et de personnels dirigés vers la réalisation d’un ensemble d’objectifs plus ou

moins clairement définis » [Rose R., Davies G., 1994]. Il apparait, de ce fait, primordial de connaître ce programme d’action pour pouvoir, à terme, questionner la gestion des farines animales et le poids des acteurs publics, notamment nationaux, dans la résolution de cette crise : ont-ils été les plus centraux dans la gestion et ont-ils bien été en position d’autorité ? Dans cette optique, il convient d’isoler s’il y eut des comportements respectant toutes les règles instaurées par les pouvoirs publics pour gérer ces produits reconnus nationalement à risque ou si, au contraire, il y eut une diversité de pratiques, témoignant d’adaptation et/ou de contournement des préconisations du gouvernement. Il s’agit, en outre, de mesurer les conséquences temporelles et spatiales des potentielles adaptations infranationales et/ou supranationales dans la gestion nationale : ont-elles, par exemple, permis une résorption rapide de la crise ou, au contraire, ont-elles entrainé des perturbations contrariant certaines opérations ? Cela renvoie, de la sorte, aux stratégies et formes d’action des acteurs qui se mobilisent dans ce jeu commun.

2.1.2. … à « l’art de gouverner »

Aborder les stratégies des acteurs et leurs formes d’actions nécessite d’introduire la notion de gouvernementalité. Cette notion, forgée par Michel Foucault [1994] dans le cadre de ses travaux sur le libéralisme politique, qualifie les formes de pouvoir déployées par un ou des acteur(s) pour induire et guider les comportements et actions d’autres acteurs [Huxley M., 2008]. Les fondements de cette notion sont issus des sciences camérales. Cette philosophie politique, formée durant la seconde moitié du XVIIIe siècle en Prusse, désigne une « science de la police, c'est-à-dire de l’organisation concrète de la société » [Lascoumes P., Le Galès P., 2005, p. 17]. Elle cherche à rationnaliser la manière dont la souveraineté doit être appliquée pour conduire au bonheur des populations. L’origine du néologisme « gouvernementalité » fait débat dans la communauté scientifique. Pour certains, il serait le fruit de la contraction des termes « gouvernement » et « rationalité » alors que, pour d’autres, il serait le fruit du rapprochement entre « gouvernement » et « souveraineté ». Quoi qu’il en soit, la gouvernementalité exprime un processus destiné à modeler, guider ou influencer la conduite de personnes [Huff R., non daté ; Crowley J., 2003].

Bien que l’origine précise du terme reste sujette à caution, la gouvernementalité encouragea l’émergence de réflexions sur « l’art de gouverner ». Michel Foucault ne fut, à ce titre, pas le

premier à réfléchir sur ces questions. D’autres auteurs, tel que Karl Deutsch [1963], menèrent des travaux sensiblement analogues et, ce, dès les années 1960. Ils participèrent notamment à mettre en relation les notions de gouvernance et de cybernétique, celle-ci signifiant, au sens propre, « l’action de manœuvrer un vaisseau » et, au sens figuré, « l’action de diriger, de gouverner » [Theys J, 2002]. Karl Deutsch [1963] confond, d’ailleurs, la cybernétique avec tous les instruments fonctionnels de contrôle et de guidage de la population. Il écrivait, de la sorte, qu’il fallait étudier « le gouvernement, non pas comme un phénomène illustrant la présence du pouvoir, mais comme un instrument de guidage » [Deutsch K., 1963]. La gouvernementalité exprime, par conséquent, un processus qui « vise à suivre les mouvements des individus pour les laisser opérer » [Keck F., 2008, p. 300] dans un cadre défini. Il s’agit d’une forme d’activité qui tend à produire des règles, des normes et des comportements censés aboutir à des pratiques convenables permettant d’anticiper ou résoudre le ou les problème(s) à gouverner. Elle peut, de ce fait, se résumer comme « la conduite des conduites » [Burchell G., Gordon C., Miller P., 1991, p. 2].

La gouvernementalité doit être comprise comme l’ensemble des stratégies, jeux de pouvoir et formes d’actions mobilisés par un ou des acteurs pour atteindre des objectifs fixés à l’avance [Rouban L., 1998], en l’occurrence de résoudre les perturbations induites par l’interdiction complète des farines animales. La gouvernementalité peut, par exemple, être, pour les pouvoirs publics, de définir les acteurs à impliquer dans la gestion d’une crise et leur confier un ou des rôles spécifiques. Cela signifie donc que la gouvernementalité ne relève pas d’un modèle établi et reconnu. Elle est, au contraire, le fruit, d’une part, de choix pris par les instances publiques nationales dans une optique et un contexte particulier et, d’autre part, leur acceptation et respect par un éventail plus ou moins large d’acteurs distants de l’Etat central [Hacking N., Flynn A., 2018]. La gouvernementalité questionne ainsi pleinement l’action publique au travers des moyens qu’elle peut déployer et des formes qu’elle peut prendre.

La gouvernementalité recouvre donc, dans la conception foucaldienne, « l’ensemble [des] institutions, mais aussi [des] procédures, analyses, réflexions et tactiques qui permettent » au gouvernement « d’exercer […] le pouvoir » [Foucault M., 1994, p. 655]. Le gouvernement est, de ce fait, compris à la fois comme une figure d’autorité et comme un ensemble de règles et de normes puisqu’il définit et fixe des responsabilités aux différents acteurs impliqués dans ces politiques publiques. C’est ce dernier qui cadre la gestion d’une crise par le programme d’action

civils. Il faut envisager la gouvernementalité comme un processus, une « stratégie de contrôle ou de pilotage » [Crowley J., 2003, p. 59] de l’action humaine dont le gouvernement (lois, règles, normes…) est le produit, le résultat. Par conséquent, gouvernance, gouvernement et gouvernementalité présentent une réelle proximité théorique au regard de l’objet scientifique que représente la gestion de crise. La gouvernance, en tant que processus de coordination d’acteurs, s’inscrit dans un ensemble de règles institutionnelles inscrites dans des stratégies pensées à l’amont qui permettent à chaque acteur mobilisé de connaître son rôle et sa capacité d’action.

La gouvernementalité semble, de plus, pouvoir être appréhendée dans une perspective spatiale. En effet, bien que la spatialité ne soit pas au cœur de la réflexion foucaldienne, de nombreux auteurs opèrent un rapprochement entre cette notion et la géographie [Huxley M., 2008 ; Prince R., Dufty R., 2009 ; Ettlinger N., 2011 ; Hacking N., Flynn A., 2018]. Pour ces auteurs, l’espace fait partie intégrante de la gouvernementalité puisqu’elle s’intéresse aux techniques utilisées par l’Etat pour imposer et gérer à distance le comportement de ses citoyens en fonction des normes et lois qu’il établit [Ettlinger N., 2011, p. 538]. La gouvernementalité abordée dans une perspective géographique met l’accent, d’une part, sur la manière dont l’Etat procède pour que ses préceptes soient localement respectés et, d’autre part, sur la manière dont le comportement des ses administrés peut influencer l’orientation de ses politiques. Il s’agit de s’affranchir, au moins partiellement, de la conception traditionnelle d’un pouvoir hiérarchique centralisé et descendant. Elle propose, au contraire, une conception plus large, basée sur les liens d’interdépendance entre les niveaux d’action et sur leur poids respectif dans le maintien, l’adaptation ou le changement des politiques publiques.

Outre l’attention apportée aux échelles dans l’action publique, la géographie, au travers de la gouvernementalité, cherche également à mettre en lumière la manière dont l’espace est pris en compte dans les stratégies de l’Etat. C’est dans ce cadre que l’expression « spatial governmentality » [Merry S. E., 2001, p. 16] fut notamment forgée pour désigner les formes de contrôle par la gestion de l’espace. S’inscrivant, à ces prémices, dans des études sur la criminalité urbaine, elle servit à qualifier la création d’espaces « sûrs » pour les citadins en déplaçant les personnes et/ou les activités réputées dangereuses dans des zones clairement identifiées. Les « gated communities » [Caldeira T., 1999] pour se prémunir d’éventuelles violences ou les « quartiers rouges » [Perry R. W., Sanchez L. E., 1998] pour réguler le commerce du sexe sont autant d’exemples de modes de gestion de et par l’espace. Ils sont la

transcription de politiques publiques qui, au travers de stratégies spatiales, participent à la construction de lieux. La gouvernementalité spatiale met ainsi l’accent sur les liens qu’entretiennent les acteurs gestionnaires avec leur espace et la manière dont ils l’administrent et font respecter ces normes.

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