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Identification et prémices de la gestion de l’ESB entre 1985 et 1995 : un discours public en décalage avec les connaissances scientifiques de discours public en décalage avec les connaissances scientifiques de

BOVINE A LA VARIANTE DE LA MALADIE DE CREUTZFELDT-JAKOB : ITINERAIRE D’UN

1. Le temps de la découverte, de l’incertitude et de la controverse

1.1. Identification et prémices de la gestion de l’ESB entre 1985 et 1995 : un discours public en décalage avec les connaissances scientifiques de discours public en décalage avec les connaissances scientifiques de

1.1. Identification et prémices de la gestion de l’ESB entre 1985 et 1995 : un

discours public en décalage avec les connaissances scientifiques de

l’époque

1.1.1. Des désaccords scientifiques quant aux risques pour la santé publique qui émergent dès les premières authentifications

Si, pour beaucoup de personnes, l’ESB est un problème de santé publique qui émergea en 1996, sa gestion débuta dès 1985, date de la première authentification de cette nouvelle maladie bovine au sein du cheptel britannique. Il faudra toutefois attendre novembre 1986 pour qu’un nom soit donné à cette infection « après l’identification par le laboratoire vétérinaire central

britannique, dans un élevage de Surrey, d’une vache présentant des symptômes neurologiques

atypiques » [Petitjean S., 1996]. Après avoir analysé de manière préliminaire des échantillons du bovin suspect, le laboratoire indiqua qu’une nouvelle forme d’ESST venait d’être découverte.

Après ce premier cas, de nombreux autres furent découverts, d’abord au Royaume-Uni, puis dans d’autres Etats. Ainsi, l’Irlande identifia sa première vache malade en 1989 tout comme les îles Malouines (au large de l’Argentine) et le sultanat d’Oman (au Sud de la péninsule arabique) probablement à la suite d’importation de bétails britanniques. Le Portugal fut le suivant sur la liste, avec un premier cas identifié en 1990. L’épizootie prit, en parallèle, de l’ampleur au Royaume-Uni avec déjà plus de 300 bovins identifiés comme porteurs de l’ESB, tandis que, dans le même temps, deux chats domestiques anglais furent diagnostiqués comme souffrant d’une encéphalopathie spongiforme de type tremblante. Après des analyses, il fut constaté que ces chats furent infectés par voie alimentaire entrainant par là-même les premières angoisses dans l’opinion publique [Sigurdson C. J., Aguzzi A., 2006]. En effet, bien que le discours scientifique de l’époque, mené notamment par le comité Southwood, déclarait que le risque de transmission de l’ESB à l’homme apparaissait faible et qu’il était fort possible que cette maladie

n’ait aucune implication pour la santé humaine [Seguin E., 2002a]14, ces deux chats infectés alertaient sur la possibilité de franchissement de la barrière des espèces de cette maladie. L’apparition de ces deux premiers cas d’Encéphalopathie Spongiforme Féline (ESF), accompagnés d’autres dans les mois qui suivirent, démontra que l’ESB ne se limitait plus aux seuls animaux herbivores mais pouvait également atteindre les carnivores. Les populations commencèrent à craindre pour leur santé personnelle puisqu’un discours scientifique divergent [Bradley R., 1994 ; Brugère-Picoux J., 1998] commençait à s’élever pour annoncer que « tout

devient possible, y compris d’envisager des transmissions à l’homme » [Soyeux Y., Wolfer B.,

1997].

Pour autant, le discours politique dominant de l’époque restait ferme en lien avec les théories scientifiques développées jusqu’à présent. Ainsi, l’ESB était considérée comme une maladie dérivant de la tremblante, maladie neurodégénérative ovine, pour laquelle aucune infection humaine n’a jamais été détectée. Il n’y avait, selon cette position, aucune raison de présager un quelconque risque de contagion par l’ESB.

Dans ce contexte, les identifications continuèrent à se multiplier. La Suisse et la France identifièrent, en ce sens, leurs premiers cas en 1991, plus précisément le 2 mars 1991 pour la France au sein d’un élevage des Côtes-d’Armor en Bretagne. L’ESB fut ainsi progressivement découverte dans de nombreux Etats (Figure 4) laissant présager un problème de grande ampleur.

       

14 Ce comité était composé d’experts indépendants et fut motivé par l’avis de l’Officier médical en chef britannique de l’époque, Donald Acheson. Pour plus d’informations sur le comité Southwood et leurs conclusions sur l’épidémiologie de l’ESB, consulter le rapport du Comité Phillips, intitulé The BSE Inquiry: The Report. The Inquiry into BSE and variant CJD in the United Kingdom. Ressource disponible sur internet.

1.1.2. La reconnaissance des farines animales britanniques dans la diffusion de la maladie

et du rôle de l’internationalisation des circuits agroalimentaires

En parallèle de cette évolution épizootique, les autorités britanniques, puis de chaque Etat, isolèrent assez vite l’origine de la contamination. Dès le mois de décembre 1987, soit moins d’un an après le premier cas officiellement répertorié, les premières études épidémiologiques menées par John Wilesmith, du Central Veterinary Laboratory Epidemiology Department, conclurent que « l’hypothèse la plus probable pour expliquer l’apparition de la maladie est

l’incorporation, dans la ration alimentaire des ruminants, de farines d’origine animale (ovins

et bovins essentiellement) non parfaitement décontaminées lors de leurs fabrications » [Petitjean S., 1996]. Les farines animales, produites à partir de carcasses animales, furent donc les vecteurs de propagation de l’agent infectieux. Cette conclusion extrêmement rapide reposait néanmoins sur des présomptions jugées a posteriori fallacieuses, notamment lors de la publication du rapport Phillips en 2000. Comme le soulignait cette commission d’enquête, John Wilesmith, en accord avec l’idée dominante que l’ESB était liée à la tremblante, concluait que la source d’infection des farines animales provenait de tissus de moutons infectés par la tremblante conventionnelle. Les farines étaient alors devenues infectieuses à cause des changements de procédés de fabrication (abaissement des températures de stérilisation, suppression de l’extraction des graisses par solvants) au cours des années 1970-1980 qui n’inactivaient plus l’agent de la tremblante à l’amont.

Or l’hypothèse dominante aujourd’hui est que l’ESB serait probablement la résultante d’une nouvelle infection endémique à l’espèce bovine apparue au début des années 1970 [Novakofski J. et al., 2005]. De ce fait, la genèse de l’ESB ne serait pas liée à la transmission de la tremblante mais au recyclage de bovins infectés par l’agent de l’ESB dans les farines animales. De même, la théorie qui portait à croire que l’ESB découlerait des changements dans les méthodes de fabrication de ces produits carnés n’a aucune validité au regard du rapport Phillips. Pour ce dernier, les méthodes de fabrication n’ont jamais été capables d’inactiver complètement les agents infectieux responsables des ESST dont fait partie l’ESB. Ainsi, pour Peter Horby [2002], professeur britannique spécialiste des maladies infectieuses émergentes, il apparaît plus probable d’incriminer le recyclage du bétail dans la chaîne alimentaire bovine, plutôt que les changements dans les processus de fabrication. Il n’existe toutefois pas non plus de consensus sur cette question des changements de procédés de fabrication des farines et leurs

française, l’étape défaillante dans la réalisation de ces produits est celle relative à leur traitement thermique. D’après elle, « les traitements de farines ont été modifiés à partir du début des années 1980, autant pour des raisons de coût que de sécurité. Il est en effet possible de supprimer le solvant, soit parce qu’il coûte cher, soit parce que sa manipulation présente des dangers. Il est enfin possible de supprimer ces solvants, ainsi que de baisser la température de cuisson pour permettre aux farines de devenir plus nutritives, car tous les acides aminés seront ainsi conservés »15. En d’autres termes, il est reproché au procédé britannique d’avoir retiré une étape d’élimination des solvants sur les farines, qui consistait en un traitement thermique humide à 125°C et qui aurait permis, pour certains chercheurs, de contribuer significativement à l’élimination des prions.

Quoi qu’il en soit, le vecteur de cette maladie est, au moins au départ, les farines animales britanniques, ce qui témoigne d’une internationalisation des circuits agroalimentaires puisqu’à terme, pratiquement tous les Etats européens, ainsi que quelques autres Etats dans le monde, identifièrent des cas autochtones. Pour corroborer cette affirmation, il convient de s’attarder sur l’évolution des exportations de farines anglo-saxonnes à partir des informations offertes par un rapport du sénat français16. En effet, à partir de 1979 et jusqu’en 1988, une augmentation régulière des exportations de ces produits vers d’autres Etats membres de l’Europe fut constatée. En se basant sur les propos de ce rapport sénatorial, et sans disposer des données statistiques de douanes, un certain lien semble se dessiner entre la détection de cas et l’importation de produits bovins britanniques. Ainsi, la France et l’Irlande, pays parmi lesquels les plus grands nombres de cas d’ESB ont été découverts, furent également les principaux importateurs de farines anglaises « entre 1986 et 1989 » [p. 69]. En outre, un représentant de la société d’équarrissage britannique Prosper de Mulder déclarait, toujours au sein de ce document, que « de tels produits ont bel et bien été exportés vers l’Europe ainsi que vers

quelques pays tiers (principalement l’Indonésie, la Thaïlande et le Sri Lanka) à des fins

d’incorporation dans l’alimentation des porcs et volailles » [p. 69]. Les réseaux de distribution

ont, de fait, pu jouer un rôle prépondérant dans la diffusion de la maladie aux bovins.

       

15 Citation in Sénat (2000). Rapport de la commission d’enquête sur les conditions d’utilisation des farines

animales dans l’alimentation des animaux d’élevage et les conséquences qui en résultent pour la santé des

consommateurs. Session ordinaire de 2000-2001, n° 321, Tome 1 (p. 59). Ressource disponible sur internet. URL : http://www.senat.fr/rap/r00-321-1/r00-321-11.pdf.

1.1.3. Une volonté européenne de coordonner et centraliser les recherches scientifiques par

la création d’EuroCJD

Après la France en 1991, le Danemark et l’Allemagne annoncèrent avoir authentifié des cas d’ESB sur leur territoire en 1992. En 1993, le Canada fut également officiellement atteint, après des importations de bétails en provenance du Royaume-Uni aujourd’hui suspectés d’être la source de l’infection. Les données épidémiologiques de l’époque (Figure 5) démontraient une évolution croissante des cas, laissant présager une contamination de nombreux cheptels européens.

Fig. 5 Nombre de cas d’ESB authentifiés, tous pays confondus et par année, de 1987 à 1993 (d’après l’OIE, 2018)

C’est donc dans ce contexte que la Communauté européenne créa en 1993 le premier réseau européen de recherche épidémiologique sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob, dénommé EuroCJD17. Celui-ci incluait sept pays : six Etats-membres (l’Allemagne, l’Autriche, la France, l’Italie, les Pays-Bas et le Royaume-Uni) et un Etat européen non-membre de la Communauté (la Slovaquie). La coordination de ce réseau était effectuée par le Royaume-Uni. L’objectif d’EuroCJD était de regrouper les données nationales des pays participants et de les mettre en perspective afin d’avoir une surveillance épidémiologique renforcée sur les encéphalopathies spongiformes humaines. Ces données nationales étaient adressées chaque trimestre au centre

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de coordination européen situé à Edimbourg (Ecosse, Royaume-Uni) qui publiait ensuite les statistiques européennes. D’un point de vue organisationnel, les équipes membres d’EuroCJD se réunissaient deux fois par an pour échanger et discuter des données collectées sur la maladie de Creutzfeldt-Jakob.

2. D’une crise à l’autre : l’importance des discours politiques et

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