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cœur de la seconde crise

3.1. Des logiques de gestion différentes selon les Etats-membres : regard croisé Royaume-Uni/France croisé Royaume-Uni/France

3.1. Des logiques de gestion différentes selon les Etats-membres : regard

croisé Royaume-Uni/France

3.1.1. Royaume-Uni : des farines animales retirées de l’alimentation des ruminants autochtones dès 1988 mais exportées jusqu’en 1996

« Dans les premières étapes de l’épidémie, l’utilisation des farines à base de viande et d’os fut

identifiée comme la cause majeure de l’infection » entraînant les experts et décideurs à mettre

P., 2013, p. 4]. Les Britanniques, premiers à isoler la maladie, édictèrent rapidement des mesures censées aider à comprendre biologiquement la maladie et à la contrecarrer [Little G., 2001 ; Packer R., 2006]. La première mesure prise fut de mettre en place un réseau d’épidémiosurveillance afin de suivre l’évolution de la maladie dans les cheptels. Il fut, par ailleurs, conclu, dès la fin de l’année 1987, que la consommation de farines animales produites à partir de carcasses animales était à l’origine de l’émergence de cette infection. Cette conclusion correcte et extrêmement rapide conduisit à la promulgation d’un arrêté interdisant de nourrir tous les ruminants (bovins, ovins et caprins) avec ces produits d’origine animale le 18 juillet 1988. Les Britanniques ne déclarèrent, pour autant, pas que ces farines étaient impropres à l’exportation. De ce fait, ils continuèrent à vendre, jusque mars 1996, leurs farines nationalement qualifiées à risque.

En parallèle, le gouvernement britannique, guidé par les membres du ministère de l’Agriculture, de la Pêche et de la Nourriture, apprécia très tôt la possibilité que l’ESB puisse se transmettre à l’Homme [Cummings L., 2010]. Il se dota, en ce sens, d’un comité spécifique, le Spongiform Encephalopathy Advisory Committee (SEAC) « chargé d’instruire un dossier d’information sur la « vache folle » et la santé publique » [Petitjean S. ; 1996]. L’épizootie fut donc prise très tôt au sérieux par les autorités britanniques. Le 14 juin 1988, l’ESB devint une maladie à déclaration obligatoire du fait de son caractère potentiellement épidémique, forçant les éleveurs et les organismes vétérinaires à obligatoirement informer les autorités de toute suspicion d’ESB. Moins d’un mois après, soit le 8 juillet 1988, il fut décidé que tous les bovins reconnus porteurs de l’agent pathogène ou suspectés de l’être devaient être automatiquement abattus et détruits à titre préventif. Les membres du ministère de l’agriculture s’inquiétaient de savoir s’il était acceptable que des bovins montrant les signes cliniques de l’ESB soient abattus pour la consommation humaine. Il s’agit ici de la première mesure cruciale de protection de la santé publique. Tandis que l’abattage systématique d’animaux malades ou suspectés de l’être augmentait, des compensations financières furent données par les autorités aux éleveurs concernés.

Le 13 novembre 1989, le gouvernement britannique décida d’interdire de la consommation humaine certains matériaux dits « à risques spécifiés » (MRS). Ces produits, majoritairement constitués d’abats bovins, furent identifiés comme les tissus animaux où le prion était le plus susceptible d’être présent. Cette mesure participa également à la sauvegarde de la santé

dangereux. Le 25 septembre 1990, le Royaume-Uni renforça son interdiction des farines animales en étendant l’interdiction d’inclure des abats à risques, considérés comme les MRS, dans la production de ces produits à destination de l’alimentation des porcs et des volailles. Avec l’avancée des connaissances scientifiques, de nouvelles préoccupations furent soulevées. Parmi celles-ci, le gouvernement britannique s’intéressa à la manière dont les MRS étaient retirés des carcasses d’animaux, notamment au niveau de la colonne vertébrale. En effet, un des tissus reconnus comme les plus infectieux est la moelle épinière et celle-ci put se retrouver dans des produits alimentaires grâce au retrait de tissus par un procédé mécanique qui, en quelque sorte, arrachait les morceaux de viande attachés à la colonne vertébrale. Cela fut notamment découvert en 1995 avec l’identification de cas occasionnels d’échec dans la suppression complète de la moelle épinière sur des carcasses entrant ensuite dans l’alimentation humaine. C’est donc en décembre 1995 qu’il fut interdit, sur les conseils du SEAC, de récupérer mécaniquement de la viande (MRM ou Mechanically Recovered Meat en anglais) des colonnes vertébrales de bovins.

En 1996, de nouvelles mesures furent prises au Royaume-Uni. Il fut décidé d’interdire toutes les farines animales du régime alimentaire de tous les animaux d’élevage, quels qu’ils soient (ruminants, porcs et volailles). Il fut également décidé de mettre fin aux exportations de ces produits, le Royaume-Uni vendant encore ces derniers à des pays tiers. Puis, il fut mis en place le programme dit « des plus de 30 mois » entrainant l’interdiction complète de faire entrer des bovins de plus de 30 mois dans la chaîne alimentaire humaine. Cette décision de fixer le barème à 30 mois repose sur une acceptation scientifique estimant que ce laps de temps correspond à la période minimale d’incubation de la maladie. Les animaux plus jeunes sont censés ne pas pouvoir être porteurs du prion.

Par la suite, deux autres mesures importantes furent prises. En août 1997, le Royaume-Uni fit entrer en vigueur un abattage sélectif de tous les bovins ayant un ou plusieurs ascendants ou descendants ayant contracté l’ESB. Enfin, la dernière principale mesure de protection de la santé publique fut édictée en janvier 1998 avec la décision d’étendre l’interdiction des matériaux à risques spécifiés à la moelle épinière et aux amygdales des petits ruminants (ovins et caprins) de plus de douze mois à l’instar de la rate de tous ces animaux.

Il est, dès lors, possible, de catégoriser ces mesures et de les placer dans un cadre temporel (Figure 8) pour identifier les axes de gestion qui ont été privilégiés par les autorités publiques britanniques. A ce titre, deux grands types d’actions ont été menés dans ce pays pour endiguer le problème national que représentait l’ESB. La catégorie « interdiction d’emploi de certains

produits dans l’alimentation humaine et/ou animale » fait référence aux mesures telles que

l’interdiction des matériaux à risques spécifiés ou des farines animales. Pour sa part, la catégorie « police sanitaire » illustre les mesures typiques d’épidémiosurveillance et d’endiguement de l’épizootie comme l’abattage systématique des animaux malades ou suspectés de l’être.

Fig. 8 Principales mesures de gestion prises par le Royaume-Uni entre 1987 et 2000 (d’après Phillips, 2000 ; Le Perchec S., 2004 ; Brugère H., Chardon H., Dedet V., 2013)

L’ESB fut ainsi prise en considération très rapidement (dès 1987), tant du point de vue de la santé animale que de la santé humaine. Pourquoi l’annonce en 1996 déclarant que les hommes pouvaient êtres infectés a autant choqué la population britannique ? Selon le rapport Phillips, cette crise de confiance est le fruit d’erreurs dans la communication du gouvernement et des scientifiques britanniques. En l’occurrence, ces derniers ont toujours pris des mesures pour anticiper une éventuelle possibilité de contamination tandis que leur discours officiel ne faisait qu’admettre aux yeux de tous que le risque était extrêmement faible, laissant ainsi penser

0 1 2 3 N ombr e d e me su re s p romu lgué e s Années Interdiction d'emploi de certains produits dans l'alimentation humaine et/ou animale Police Sanitaire

l’opinion publique, en 1996, que rien n’avait été fait à l’amont pour gérer ce problème. Il y a donc eu un décalage entre les actions du gouvernement et sa communication [Phillips, 2000]. Pour le Royaume-Uni, l’ESB fut une véritable catastrophe. Au niveau mondial, presque toutes les victimes de la vMCJ étaient britanniques et plus de 180 000 bovins ont été diagnostiqués comme porteurs de l’ESB. En 2000, plus de 4,7 millions de bovins britanniques avaient été abattus par les programmes de protection et leurs carcasses brûlées ou enterrées en tant que matières dangereuses24. Le gage d’une industrie agroalimentaire de haute qualité et le marché d’exportation ont été effacés tout comme les revenus de milliers de fermiers.

3.1.2. France : une gestion pendant longtemps orientée sur l’interdiction des produits britanniques au détriment des problématiques sanitaires internes

De son côté, l’Etat français n’attendit pas d’identifier des cas d’ESB sur son territoire pour mener les premières actions de gestion. Constatant l’émergence du problème au Royaume-Uni, le gouvernement édicta le 13 août 1989 sa première mesure interdisant l’importation de farines animales en provenance du Royaume-Uni dans l’alimentation des bovins, sauf si l’entreprise s’engageait à ne pas les distribuer à des ruminants. La France tira ainsi rapidement « les conclusions de ce mode de contamination » [Derpet G., 2000]. Peu de temps après, et avant que le premier cas de « vache folle » français fut découvert, l’ESB obtint le statut de maladie à déclaration obligatoire le 12 juin 1990, la soumettant à des mesures de police sanitaire. Le gouvernement français fut, en outre, le second, après celui du Royaume-Uni, à interdire ses propres farines animales dans l’alimentation des bovins et, ce, dès le mois de juillet 1990. La France se dota également d’un réseau d’épidémiosurveillance clinique passive de l’ESB sur les bovins en élevage ou à l’abattoir dans tous les départements dès le 3 décembre 1990.

Le 20 décembre 1994, il fut décidé de renforcer les mesures d’interdiction des farines animales, exceptées celles à base de poisson, en étendant la prohibition de ces produits dans l’alimentation des ovins et des caprins. De la sorte, la plupart des farines animales furent interdites pour l’ensemble des ruminants. Il fallut, cependant, attendre 1996 pour observer un pic dans la promulgation de mesures de gestion à l’encontre de cette maladie. Ainsi, dès le jour même de l’annonce au Royaume-Uni de la possibilité de transmission de la maladie à l’Homme, la France

       

décréta un embargo complet sur les bovins vivants, les viandes bovines et les produits d’origine animale préparés à partir de viandes bovines en provenance de Grande-Bretagne. Moins d’un mois plus tard, le 12 avril 1996, le gouvernement décida de retirer de la chaîne alimentaire humaine et animale des matériaux à risques spécifiés, à l’image de ce que les Britanniques mirent en place dès 1990. Pour de nombreux observateurs, cette « mesure fut la plus importante »25 pour veiller à la santé publique. Au cours de l’été 1996, deux nouvelles mesures vinrent renforcer la gestion des farines animales. Il fut statué à la fois de retirer du cycle de production de ces produits les cadavres d’animaux morts en dehors d’un abattoir tout comme le système nerveux central des ruminants, tissu où le prion est potentiellement le plus présent, et d’interdire les farines à base de poisson de l’alimentation de tous les ruminants.

Au mois de septembre 1997, la France renforça sa police sanitaire en promulguant une disposition instaurant l’abattage systématique du troupeau dont était issu un cas d’ESB. Jusqu’alors, seuls les bovins malades étaient obligatoirement euthanasiés et incinérés après analyse post mortem. L’éleveur avait ensuite la possibilité de commercialiser le restant du troupeau ou de le faire abattre en échange d’une contrepartie financière. Avec cette nouvelle mesure, et dans le cas où un bovin infecté avait connu plusieurs exploitations au cours de sa vie, tous les troupeaux où il avait séjourné étaient recherchés et abattus. Quelques mois plus tard, soit le 6 février 1998, la France transposa un arrêté européen visant à uniformiser les procédés de fabrication des farines animales et à sécuriser d’un point de vue sanitaire leur production.

L’année 2000, à l’instar de l’année 1996, symbolisa un tournant dans la gestion de l’ESB. Celle-ci fut marquée par deux mesures extrêmement importantes qui conduisirent à l’émergence de la seconde crise de la « vache folle ». La première mesure, en date du 9 juin 2000, marqua le lancement d’un nouveau programme de dépistage actif sur 48 500 bovins à risque (animaux trouvés morts, euthanasiés parce que malades ou abattus d’urgence pour accident) dans les régions du grand Ouest (Bretagne, Normandie et Pays-de-la-Loire). La mise en place de ce réseau de surveillance active, se superposant au réseau passif, conduisit à la découverte d’un plus grand nombre de cas. Ces découvertes accrues, corrélées à des scandales tels que celui

       

25 Informations recueillies auprès de M. Des Déserts, directeur de la FNICGV : « […], la mesure la plus importante fut le retrait des MRS. Ce ne sont pas les nouveaux tests de dépistage ou l’interdiction des farines animales. » Voir

connu sous le nom d’affaire Soviba-Carrefour, conduisirent le gouvernement à interdire, le 14 novembre 2000, toutes les farines animales dans l’alimentation de tous les animaux de rente. Enfin, une autres décision clef peut être présentée, à savoir la levée de l’embargo sur les produits britanniques survenue le 18 octobre 2002, soit plus de six ans après son entrée en vigueur. Ces mesures, au même titre que celles du Royaume-Uni, ont été résumées en quatre catégories et placées dans un axe temporel (Figure 9). La première catégorie, intitulée « interdiction

d’importer des produits britanniques » fait référence aux mesures d’embargo. La seconde

catégorie, « police sanitaire », témoigne notamment de la mise en place des réseaux de surveillance épidémiologique. La troisième catégorie, dénommée « interdiction d’emploi de

certains produits dans l’alimentation humaine et/ou animale », comporte, par exemple, les

décisions de prohiber les farines animales tandis que la quatrième catégorie, « nouveaux procédés de fabrication des farines animales », illustre l’unique mesure relative à l’uniformisation des techniques de production de ces produits.

Fig. 9 Principales mesures de gestion prises par la France entre 1987 et 2006 (Assemblée Nationale, 2001 ; Le Perchec S., 2004 ; Brugère H., Chardon H., Dedet V., 2013)

L’ESB apparaît avoir été rapidement prise en considération en France, avant même que des cas ne se soient déclarés sur le territoire national. Toutefois, alors que des mesures ont été prises très tôt, il fallut attendre 1996 pour que des mesures de retrait des MRS ne soient promulguées. Les problématiques de santé publique semblent ainsi avoir été plus longues à émerger en France qu’au Royaume-Uni. 0 1 2 3 4 1 9 8 7 1 9 8 8 1 9 8 9 1 9 9 0 1 9 9 1 1 9 9 2 1 9 9 3 1 9 9 4 1 9 9 5 1 9 9 6 1 9 9 7 1 9 9 8 1 9 9 9 2 0 0 0 2 0 0 1 2 0 0 2 N ombr e d e me su re s p romu lgué e s Années Nouveaux procédés de fabrication des farines animales Interdiction d'emploi de certains produits dans l'alimentation humaine et/ou animale Police sanitaire Interdiction d'importer des produits britanniques

3.2. Sécurité sanitaire versus libre circulation : une gestion communautaire

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