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Les stratégies défensives évoquées ci-dessus forment un système. Selon l’institution, les équipes, des spécificités peuvent se retrouver dans l’équilibre entre les différentes formes de stratégies défensives. Une tension existe entre les finalités concernant la sécurité affective, le respect de l’enfant en tant que personne et le respect du jeu autonome. Plus le jeu autonome est limité, plus il est possible de veiller au langage et aux actes témoignant d’un respect pour l’enfant, ainsi que d’assurer sa sécurité affective. Si les éducatrices s’efforcent de façon concertée de favoriser le jeu autonome, tout en assurant la sécurité affective des enfants, la tension provoquée par cette posture exigeante se cristallise fréquemment sur une personne désignée comme bouc émissaire.

Quels sont les paramètres du métier d’éducatrice du jeune enfant qui correspondent à ces caractéristiques évoquées dans la définition d’une idéologie défensive du métier proposée par Dejours ? La charge psychique et l’anxiété d’être débordée par elle semblent bien constituer une « anxiété particulièrement grave ». Les pratiques réelles, tout en ayant des points communs avec d’autres métiers du social, démontrent des mécanismes de défense spécifiques à la prise en charge d’enfants d’âge préscolaire en collectivité, elles sont donc empreintes de la spécificité d’un groupe social particulier. L’éducatrice du jeune enfant doit également faire face à des dangers et des risques réels. Les angoisses des enfants sont réelles, et leurs difficultés à y faire face, à les exprimer, à les contenir également. Des débordements existent, tant individuels que collectifs.

Comme déjà évoqué, les stratégies de défense rencontrées sont bien construites de façon collective. La cohérence de l’idéologie défensive en question est sous-tendue par des représentations construites collectivement, représentations souvent rigides qui empêchent de voir l’enfant réel, la situation réelle.

En ce qui concerne la sixième caractéristique évoquée, une éducatrice exclue de l’équipe, rejetée, se trouve bien démunie face à la réalité. Ces situations, généralement, se soldent par le départ de la personne en question.

Au terme de ce travail, il semble bien que les stratégies défensives décrites forment une idéologie défensive du métier. Ceci va à l’encontre de l’hypothèse de Dejours qui considère que les femmes ne recourent pas à de telles idéologies :

L’analyse du courage au féminin, et de l’analyse des formes spécifiques du courage chez les femmes, qui pourraient bien être caractérisées par l’invention de conduites associant reconnaissance de la perception de la souffrance, prudence, détermination, obstination et pudeur, c’est-à-dire des conduites bien différentes de celle de la virilité, en ce qu’elles ne tentent pas d’opposer de déni à la souffrance ni à la peur, ne proposent pas de recours à la violence, ne procèdent pas à la rationalisation et n’inscrivent pas dans la recherche de la gloire. (Dejours, 1998, p. 169)

Certes, une idéologie propre aux éducatrices du jeune enfant se différencie fortement de celle des ouvriers du bâtiment, par exemple.

Le travail d’une éducatrice correspond bien à la description que Jobert (2005) reprend de Hannah Arendt : « La lutte quotidienne dans laquelle le corps humain est engagé ressemble bien peu à l’héroïsme ; l’endurance qu’il faut pour réparer chaque matin le gâchis de la veille n’est pas du courage, et ce qui rend l’effort pénible, ce n’est pas le danger, mais l’interminable répétition. » (p. 77).

Face aux dangers rencontrés, les ouvriers du bâtiment se protègent en jouant sur leur bravoure, leur virilité, leur courage : ils sont maîtres du risque.

Les éducatrices cherchent à s’appuyer sur leur féminité, à rester sereines, au-dessus de la mêlée, de la tempête déchaînée des émotions et des souffrances. Si, pour pouvoir « tenir » face à ces flots, mais surtout face à la peur d’être débordée, d’être engloutie, il faut parfois fermer les yeux, ne pas écouter, c’est le prix à payer …

Nous affirmons que si la peur n’était pas neutralisée de cette façon, si elle pouvait surgir à tout moment pendant le travail, alors, les ouvriers ne pourraient continuer leurs tâches plus longtemps. (Dejours, 2000, p. 88)

L’idéologie défensive mise en place a un sens : protéger les éducatrices contre la peur de ne pas pouvoir faire face à la charge psychique parfois trop lourde de leur métier. Par leurs stratégies défensives, les éducatrices se protègent, parfois au détriment des enfants accueillis :

Il est en effet des cas où la stratégie défensive elle-même devient tellement précieuse pour les travailleurs qui s’efforcent de faire face aux contraintes psychologiques du travail qu’elle devient un but en soi. Sur elle convergent tous les efforts en vue de la maintenir et de vaincre tout ce qui peut la déstabiliser.

[...] Loin de porter en elle les germes d’une nouvelle organisation du travail moins délétère, l’idéologie défensive ne débouche que sur des conflits de pouvoir, dont on peut montrer que les diverses issues n’apportent aucune solution à la question des effets pathogènes des contraintes organisationnelles. (pp. 57-58)

Se pose ainsi la question de savoir s’il est possible de mettre en place un travail collectif qui puisse tenir compte, en même temps, des enfants et des professionnelles ? Par quels moyens est-il envisageable de construire une prise en charge qui prend simultanément en compte les travailleurs et les conditions qui leur permettent de « tenir », d’un côté, et le sens et les finalités du travail à accomplir, de l’autre ?