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Une finalité idéale de la jurisprudence administrative

b Le contrôle de la bonne fo

SECTION 2 : La sécurité juridique victime de sa clandestinité

C. Une finalité idéale de la jurisprudence administrative

Certes, le Conseil constitutionnel ne reconnaît pas le principe de sécurité juridique. Mais cela signifie-t-il pour autant que la sécurité juridique constitue un miroir aux alouettes du champ d’application du droit administratif ? La réponse est négative. En effet, le Conseil d’État reconnaît le principe de sécurité juridique, bien qu’il ait récemment et expressément considéré que ce principe ne figure pas « au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution au sens de son article 61-1327 ». Cette inexistence constitutionnelle et cette ambiguïté du juge administratif ont pu conduire certains auteurs à qualifier la sécurité juridique de concept « clandestin328 ».

Solennellement, le Conseil d’État a pourtant pris soin, dans son rapport public 2006, de définir la notion de sécurité juridique et dire que : « Le principe de sécurité juridique implique que les citoyens soient, sans que cela appelle de leur part des

326 DELAUNAY (B.), La confiance légitime entre discrètement au Conseil constitutionnel, AJDA,

no 12, 31 mars 2014, p. 649.

327 CE, 10e et 9e SSR, 17 déc. 2010, Syndicat mixte de Papeete, no 343800, inédit, relatif à la QPC,

« Considérant que le principe de sécurité juridique n’est pas au nombre des droits et libertés garantis par la Constitution au sens de son article 61-1 », v. BRONDEL (S.), AJDA, 2010, p. 2456.

328 MATHIEU (B.), La sécurité juridique, un principe constitutionnel clandestin mais efficient, Mélanges P. GELARD, LGDJ, Montchrestien, 2000, p. 301.

efforts insurmontables, en mesure de déterminer ce qui est permis et ce qui est défendu par le droit applicable. Pour parvenir à ce résultat, les normes édictées doivent être claires et intelligibles, et ne pas être soumises, dans le temps, à des variations trop fréquentes, ni surtout imprévisibles329. » Le Conseil d’État, qui rappelle qu’elle « constitue l’un des fondements de l’État de droit », dégage deux approches : l’une formelle, l’autre temporelle.

La sécurité juridique n’est pas stricto sensu incorporée aux principes du droit administratif330. À son sujet, le doyen CARBONNIER écrit « C’est le besoin juridique élémentaire et, si l’on ose dire, animal331. »

Pourtant, il existe un contraste évident entre l’intérêt que suscitent ce principe et la « rigidité332 » de la réponse jurisprudentielle. Ainsi, en droit administratif, le principe de sécurité juridique n’existe pas de manière autonome. À la base de cette réticence, il est souvent souligné que la prise en compte du principe de sécurité juridique, voire de son pendant plus subjectif, le principe de confiance légitime, conduirait le juge administratif à remettre en cause le caractère objectif du recours pour excès de pouvoir. Pourtant, cet attachement classique du juge administratif à ce caractère d’objectivité est susceptible de ralentir l’évolution jurisprudentielle dans le sens d’une plus ample intégration de la jurisprudence communautaire333

.

Par ailleurs, explique la réticence du juge à l’égard de ce principe, l’idée que la confiance légitime est une menace pour le système juridique français334 susceptible de créer un déséquilibre en faveur des intérêts privés335. Dans le même sens, un tel principe reviendrait à remettre en question le statut du juge. C’est-à-dire que l’adoption du principe de sécurité juridique et de son pendant subjectif, le principe de confiance légitime, conduirait le juge à devoir mettre en balance les intérêts en

329 Conseil d’État, Rapport public, Doc. Fr., Paris, 2006, p. 281. 330

Préc. PACTEAU, (B.), La sécurité juridique, un principe qui nous manque ? AJDA, 1995, p. 151.

331 CARBONNIER, (J.), Flexible droit, LGDJ, 7e éd. 1992, p. 172.

332 WOEHRLING (J.-M.), La France peut-elle se passer du principe de confiance légitime ? in Gouverner, Administrer, Juger, Liber amicorum, Mélanges J. WALINE, Dalloz, Paris, 2002,797 p.,

p. 763.

333 V. en ce sens SEILLER (B.), Droit administratif, 1. Les sources et le juge, 5e éd., Champs

université, 2013, 345 p., p. 326.

334 CALMES (S.), Du principe de protection de la confiance légitime en droits allemand,

communautaire et français, coll. Nouvelle bibliothèque de thèses, Dalloz, Paris, 2001, 711 p., p. 490.

335 WOEHRLING (J.-M.), op. cit., La France peut-elle se passer du principe de confiance légitime ? in Gouverner, Administrer, Juger, Liber amicorum, Mélanges J. WALINE, Dalloz, Paris, 2002,797 p.,

présence à travers le prisme de sa propre conception de l’équilibre raisonnable336 alors que le système juridique français préfère l’objectivité que véhicule une règle formelle et univoque qui ne laisse pas au juge une telle marge d’appréciation337. Cependant, le principe de confiance influence la jurisprudence. Par exemple, il justifie l’interdiction du retrait des actes administratifs individuels créateurs de droit devenus définitifs, quand bien même seraient-ils illégaux. Pour autant, le juge administratif n’est que le juge de la légalité de l’action administrative. Ainsi, il ne s’autorise pas à prendre parti sur l’opportunité de celle-ci ni sur la nécessité d’édicter ou de modifier tel ou tel acte338. En effet, le juge administratif se borne à contrôler l’activité administrative. S’il peut, à ce titre, annuler pour excès de pouvoir les décisions explicites ou implicites prises par l’Administration, ou s’il peut condamner l’Administration à s’acquitter d’un dédommagement de l’administré, il ne peut pas, en revanche porter atteinte à l’indépendance de l’Administration en raison non pas de la sécurité juridique mais des principes du droit public qu’il a lui-même dégagés. En particulier, il s’interdit de porter atteinte à l’indépendance de l’Administration339. La question de la sécurité juridique a également été posée en droit de l’urbanisme. Ainsi nombreux sont les auteurs qui ont déploré l’insécurité juridique qui règne dans ce domaine340.

Afin d’améliorer ce besoin de sécurité juridique, l’article 37 de la loi no 2000-1208 du 13 décembre 2000 relative à la solidarité et au renouvellement urbains (SRU)341 a créé l’article L. 600-4-1 du Code de l’urbanisme. Cet article dispose :

336 Ibid. p. 769. 337 Ibid.

338 SEILLER (B.), op. cit. Droit administratif, 1. Les sources et le juge, 5e éd., Champs université,

2013, 345 p., p. 325.

339 ODENT (R.), Contentieux administratif, T. 1, Dalloz, Paris, 2007, 1051 p., p.1013 ; RIVERO (J.),

Le Huron du Palais Royal ou quelques réflexions naïves sur le recours pour excès de pouvoir, Dalloz, 1962, Chron, p. 37 ; CHEVALLIER (J.), L’élaboration historique du principe de séparation de la

juridiction administrative et de l’administration active, LGDJ, Paris, 1970 ; CHEVALLIER (J.), L’interdiction pour le juge administratif de faire acte d’administrateur, AJ, 1972, p. 67.

340 Préc. PACTEAU, (B.), La sécurité juridique. Un principe qui nous manque ? AJDA, 1995, p. 151 ;

MORAND-DEVILLER, (J.), Travaux du Notariat français résumant les rapports présentés au 89e Congrès des notaires à Cannes, Urbanisme et sécurité juridique, Defrénois 1993, art. 35608, p. 953 ; LIET-VEAUX, (G.), La pochette-surprise des « sites remarquables », LPA, 21 nov. 1997, p. 17 ; J.-Cl. Administratif, Fasc. 418, Urbanisme – Définitions. Principes. Orientations.

Lorsqu’elle annule pour excès de pouvoir un acte intervenu en matière d’urbanisme ou en ordonne la suspension, la juridiction administrative se prononce sur l’ensemble des moyens de la requête qu’elle estime susceptibles de fonder l’annulation ou la suspension, en l’état du dossier342.

L’esprit du législateur est explicitement celui de « prévenir la multiplication des contentieux successifs sur un même dossier343 ». Le juge BONICHOT344 conclut à ce sujet que « le législateur a su maintenir l’indispensable équilibre entre légalité et sécurité juridique en laissant de côté ce qui aurait porté une atteinte trop grave au droit au recours juridictionnel345 ».

Cependant, une certaine instabilité est née de la jurisprudence administrative. En effet, si le législateur a su maintenir un équilibre entre légalité et sécurité, c’est le juge administratif qui a dû arbitrer entre les exigences de sécurité juridique et celles imposées par le contrôle de légalité. Cet arbitrage a, quant à lui, donné lieu à un certain déséquilibre face auquel, le législateur a fait le choix de dissocier le contentieux des actes individuels du contentieux des normes346.

II.

Un principe en mal de reconnaissance

Le principe de sécurité juridique, fondement de l’État de droit347, n’est, en tout état de cause, pas un principe constitutionnel. Le questionnement juridique qui l’entoure divise les plus hautes juridictions nationales (A.). Et cette division n’est pas sans incidence pour le contentieux de l’urbanisme et donc pour la sécurité juridique des bénéficiaires d’autorisation d’urbanisme (B.).

342 Code de l’urbanisme, art. L. 600-4-1. 343

Rapporteur RIMBERT, (P.), JOAN, Année 2000, no 92 [2] AN (C.R.), 22 nov. 2000, Compte rendu intégral, 2e séance, 21 nov. 2000, p. 9169.

344 Jean-Claude BONICHOT, ancien président de la sous-section à la section du contentieux (2000-

2006) au Conseil d’État, est juge à la Cour de justice depuis le 7 octobre 2006.

345 BONICHOT (J.-Cl.), Vers une plus grande sécurité juridique ? BJDU, no 6, 2000, p. 405 et s. 346

LECOQ, (V.), Contribution à l’étude juridique de la norme locale d’urbanisme, coll. Droit public, Publim, 2004, Paris, 565 p., p. 514.

347 Conseil d’État, Rap. public 2006, Jurisprudence et avis 2005, sécurité juridique et complexité du