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En revanche, les auteurs du rapport PELLETIER observent qu’il serait plus aisé pour la victime d’un recours abusif d’exercer une action en responsabilité devant le juge judiciaire, si le juge administratif, en rejetant le recours, l’avait précisément qualifié de recours abusif.

En pratique, les conclusions invitant le juge à infliger une amende pour recours abusif sont irrecevables586. Aussi les auteurs du rapport indiquent, de manière alambiquée, d’une part que le juge serait peut-être plus à l’aise s’il n’avait qu’à qualifier le recours abusif en tant que tel sans être tenu de prononcer une amende. Et d’autre part ils indiquent que, si les conclusions invitant le juge à infliger l’amende pour recours abusif sont irrecevables, il serait néanmoins souhaitable que la procédure permette aux défendeurs d’inciter le juge à relever l’abus de droit du requérant, là aussi, indépendamment du prononcé d’une amende pour recours abusif. À ce titre, les auteurs émettent la recommandation consistant à permettre au bénéficiaire de l’autorisation d’urbanisme critiquée de demander au juge administratif de relever, lorsqu’il y a lieu, l’abus de droit du requérant et inciter le juge à y procéder587.

Restée lettre morte, cette proposition appellent deux observations nuancées.

Tout d’abord, s’il est vrai qu’introduire un mécanisme pour aider le juge à identifier l’abus peut sembler une solution intéressante, car elle permettrait peut-être de qualifier plus souvent les abus quand il y en a. En cela, il nous semble que la

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Ce nouveau mécanisme fait l’objet d’un développement spécifique dans le titre second.

586 Préc. CE, 23 janv. 2008, Époux MAZO, no 308591, Rec. Lebon, T. ; note MONTECLER (de) (M.-

C.), Le recours abusif devant le juge des référés, D. actu., 4 févr. 2008.

proposition présente un certain intérêt, notamment dans une perspective de suivi statistique.

Ensuite, s’il est vrai également que les juridictions administratives répugnent à prononcer l’amende pour recours abusif, il ne peut en être déduit qu’il faut saborder pour autant le dispositif de sanction de l’article R. 741-12. En d’autres termes, on imagine mal quel intérêt il y aurait à maintenir un article R. 741-12 prévoyant une sanction qui, par l’effet d’une sorte d’accord tacite commun, ne serait jamais appliquée. Et par suite on imagine mal quel intérêt il y aurait à dispenser les juges administratifs de tirer les conséquences de leurs constatations et de leurs propres qualifications. L’argument avancé par les auteurs est celui d’inciter, par cette qualification, le juge judiciaire, mais là encore, on voit mal en quoi le juge judiciaire serait lié par une qualification dont même son auteur n’a pas voulu tirer les conséquences.

C’est donc sans doute une bonne chose que cette proposition soit restée lettre morte.

B. Présentation de la controverse

Faut-il maintenir le dispositif de l’amende pour recours abusif ? À la lueur des commentaires doctrinaux et de la pratique juridictionnelle relative à l’amende abusive, la question du maintien du dispositif peut être posée. Presque unanimement, la doctrine se montre réticente à l’égard du dispositif de l’amende pour recours abusif (1.). Toutefois, il nous semble que sa suppression pure et simple ne peut être envisagée sans appeler un certain nombre d’éléments de nuance (2.).

1)

Les réticences de la doctrine

Le libre accès des administrés au juge et la liberté d’user des droits de recours juridictionnels offerts par la loi sont des principes inscrits de longue date dans la tradition républicaine et démocratique. Il en résulte que, en principe, le juge administratif ne peut priver un administré du droit de former au moins un recours

pour excès de pouvoir contre tout acte administratif lui faisant grief588. De même, l’administré ne peut pas être privé du droit de former au minimum un pourvoi en cassation devant le Conseil d’État contre toute décision d’une juridiction administrative589.

En outre, ainsi qu’il a été rappelé, l’accès au juge est un principe de valeur constitutionnelle. Rappelons que le Conseil constitutionnel a déduit de l’article 16 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789 qu’« il résulte de cette disposition qu’en principe il ne doit pas être porté d’atteintes substantielles au droit des personnes intéressées d’exercer un recours effectif devant une juridiction590

». Mais comme le rappelle Terry OLSON dans ses conclusions dans l’affaire POLLART591, le droit d’accès au juge n’est pas absolu et trouve sa limite naturelle dans une « utilisation excessive, abusive de ce droit592 ».

Cette amende a pour objet de punir. Mais plus précisément, et ainsi que Marc HEINIS, conseiller à la cour administrative d’appel de Bordeaux, a pu le préciser, l’amende pour recours abusif vise à « compenser le coût pour la collectivité du service public de la justice, aujourd’hui gratuit, qui a inutilement fonctionné, à sanctionner la désinvolture à l’égard du juge ou le refus de s’incliner devant ses décisions, à dissuader les plaideurs d’introduire des recours abusifs qui encombrent les juridictions et donc retardent le jugement des requêtes fondées des tiers et à sanctionner un comportement préjudiciable à l’adversaire inutilement pris à partie devant la justice593 ».

Dans le même sens, certains auteurs indiquent que l’amende pour procédure abusive repose sur des fondements théoriques complexes, mais les textes juridiques qui l’établissent sont contestables594. Ainsi, Éric CALLON souligne que le droit au juge est une liberté publique équivalente à un principe général du droit et que, par conséquent, seule une loi peut limiter ou restreindre ce principe. Par voie de conséquence, le droit au juge étant une liberté publique qui relève du champ

588 Préc. CE, ass., 17 févr. 1950, Dame LAMOTTE, Rec. Lebon, p. 110 ; concl. DELVOLVE (J.), note

WALINE (M.) ; RDP, 1951, p. 478 ; S. 1950, III, p. 65 ; GAJA, 18e éd., D. 2011, no 61, p. 394.

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CE, ass., 7 févr. 1947, M. D’AILLIERES, Rec. Lebon, p. 50, note MORANGE (G.) JCP, 1947, II, p. 3509 ; concl. ODENT (R.), RDP, 1947 et note WALINE (J.), ibid.

590 Cons. const., 9 avr. 1996, no 96-373 DC ; Cons. const., 23 juill. 1999, no 99-416 DC. 591 Préc. OSLON (T.), L’amende pour recours abusif, RFDA, 2008, p. 137.

592

Ibid.

593 Note HEINIS (M.), ibid.

594 CALLON (E.), L’abus du droit au juge peut-il être sanctionné ?, LPA, 28 mars 2000, no 62, p. 4,