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ii La garantie du Conseil de l’Europe

A. Les manifestations de l’abus

3) La recherche du lucre

Bien souvent, c’est la recherche d’un arrangement substantiel – sonnant et trébuchant – qui motive les abus. Ces abus ne sont pas anodins. Par un arrêt du 22 janvier 2014208, la chambre criminelle de la Cour de cassation a même admis qu’un recours abusif en annulation contre un permis de construire peut être qualifié d’escroquerie. Dans cette affaire, la chambre criminelle de la Cour de cassation a confirmé l’arrêt de la cour d’appel de Paris rendu en date du 9 novembre 2012. Pour la première fois dans l’histoire du contentieux d’urbanisme, la cour d’appel a retenu le chef d’accusation d’escroquerie à l’encontre d’auteurs de recours contentieux contre des permis de construire. Ces auteurs avaient déposé quatre recours, en six mois, contre quatre importants projets immobiliers commerciaux sur toute la France et systématiquement la veille de l’expiration du délai de recours contentieux. Ils justifiaient leur intérêt à agir par des acquisitions réalisées simultanément à la date des délivrances des autorisations d’urbanisme attaquées.

Compte tenu de la particularité des faits, la cour d’appel a retenu l’existence d’une manœuvre frauduleuse eu égard à l’artificialité de l’intérêt à agir. Chacun des recours – introduit à la veille de l’expiration du délai de recours – a enclenché des négociations d’urgence avec les promoteurs soucieux de trouver rapidement une solution. Deux de ces négociations ont donné lieu au versement d’importantes sommes d’argent par les promoteurs. Les deux autres n’ont pas pu aboutir car l’un des promoteurs ayant déposé une plainte, une enquête a été diligentée interrompant les négociations en cours.

En première instance, les juges ont relevé que deux des personnes auteurs des recours étaient des anciens directeurs d’une société de promotion immobilière intervenue dans deux des projets en cause, ce qui leur donnait accès à des informations privilégiées exploitées par le troisième auteur, un avocat, qui lui-même fit appel d’une part à un quatrième, quant à lui à la tête d’une société immobilière sans activité, pour acquérir un bien dans la zone de travaux d’une des opérations, et d’autre part à un cinquième propriétaire d’un immeuble dans la zone d’une autre

208

Cass., crim., 22 janv. 2014, no 12-88042, F-D, no LXB : A0008MDN ; Le FOLL (Y.), Hebdo édition publique, Un recours abusif en annulation contre un permis de construire peut désormais être considéré comme une escroquerie, fév. 2014, Édition no 320, Urbanisme, no LXB : N0805BUD ; ROUJOU DE BOUBEE (G.), Recours abusifs et escroquerie, RDI 2014, no 06, 6 juin 2014, p. 351.

opération. Pour infirmer le jugement et dire établies les infractions d’escroquerie et de tentatives d’escroquerie, la cour d’appel a considéré que « si l’exercice d’une action en justice constitue un droit, son utilisation, hors le dessein de faire assurer ou protéger un droit légitime et après qu’un intérêt à agir eut été artificiellement créé dans le seul but d’obtenir le versement de sommes au titre d’une transaction, constitue une manœuvre déterminante de la remise des fonds ». Tirant les conséquences de ses constatations, la cour d’appel de Paris condamne « pour escroqueries et tentatives, les deux premiers, à dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis et 50 000 euros d’amende, les troisième et quatrième, à un an d’emprisonnement avec sursis et 20 000 euros d’amende, pour escroquerie, les deux derniers, à huit mois d’emprisonnement avec sursis et 10 000 euros d’amende ». Appelée à se prononcer sur la légalité d’une telle décision, la Cour de cassation confirme l’arrêt de la cour d’appel et jugeant que :

Attendu que, pour infirmer le jugement et dire établies les escroqueries et tentatives d’escroquerie reprochées aux prévenus, l’arrêt énonce, notamment, que, si l’exercice d’une action en justice constitue un droit, son utilisation, hors le dessein de faire assurer ou protéger un droit légitime et après qu’un intérêt à agir eut été artificiellement créé dans le seul but d’obtenir le versement de sommes au titre d’une transaction, constitue une manœuvre déterminante de la remise des fonds ;

Attendu qu’en statuant ainsi, la cour d’appel, qui a caractérisé, sans insuffisance ni contradiction, l’existence de manœuvres frauduleuses et répondu aux chefs péremptoires des conclusions dont elle était saisie, a justifié sa décision209.

Cet arrêt reflète les formes d’excès (pour ne pas dire les infractions pénales) auxquels peuvent conduire les recours abusifs contre les permis de construire quand les auteurs de ces recours négocient leur désistement à des prix prohibitifs, ces montants étant proportionnels à l’ampleur du projet immobilier considéré. En outre, la Cour de cassation montre ici, à la suite de la cour d’appel, sa volonté de réagir contre les

209 Préc. Cass., crim., 22 janv. 2014, no 12-88.042, F-D, no LXB : A0008MDN ; Le FOLL (Y.),

Hebdo édition publique, Un recours abusif en annulation contre un permis de construire peut désormais être considéré comme une escroquerie, février 2014, Édition no 320, Urbanisme, no LXB : N0805BUD ; ROUJOU DE BOUBEE (G.), Recours abusifs et escroquerie, RDI 2014, no 06, 06 juin 2014, p. 351.

recours abusifs et de sanctionner les abus, a fortiori quand ils relèvent d’une organisation criminelle faisant appel à des manœuvres telles qu’en l’espèce, c’est-à- dire des recours à des prête-noms, des abus de qualité, une artificialité de l’intérêt à agir, et en fin de compte un détournement de la procédure de recours en annulation à des fins exclusivement lucratives.

Commentant l’arrêt, Gabriel ROUJOU DE BOUBEE précise que « cet arrêt ne fait pas l’objet d’une publication au Bulletin, car il n’apporte aucune innovation quant à la mise en œuvre de l’article 313-1 du Code pénal ; il constitue, néanmoins, un avertissement fort bienvenu adressé à ceux dont les recours s’avèrent n’être que le moyen d’obtenir des versements indus210 ».

Les autres aspects notables de cet arrêt sont analysés dans le titre second sous l’angle de la réponse pénale face aux recours abusifs.

B. L’interdiction de l’abus de droit et l’obligation de