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ii Le délai du recours

SECTION 2 : La procédure de prédilection des recours abusifs

B. L’inadéquation de la sanction traditionnelle

2) Un châtiment inadéquat

Les réticences des juges à appliquer cette amende s’expliquent. En pratique, compte tenu du caractère fondamental du droit au juge, l’amende est peu appliquée.

Incitation plus théorique à la retenue pour des requérants malveillants, processifs ou dilatoires que réelle, le juge administratif se méfie d’une sanction qui laisse trop de place à l’appréciation subjective de l’intention malveillante du requérant.

La doctrine relève que l’usage de cette sanction demeure réservé à des cas particuliers que sont les recours appuyés de faux102 ou gravement inconsistants ou infondés103, voire insultants ou encore l’usage désordonné des voies de recours, et certaines rétractations104, ou encore les recours dilatoires105, ou manifestement irrecevables106.

mois » ; TA Marseille, ord., 25 mars 2013, HADDAD, no 1300051 (pour un permis portant sur un ensemble immobilier de 286 logements, une maison d’enfants à caractère social et des locaux à usage de bureaux) : Est condamné à une amende de 3 000 euros pour recours abusif un requérant dont l’intérêt est illégitime, d’une part en ce qu’il demeure à plusieurs kilomètres du projet et a conclu un compromis de vente pour un appartement voisin peu de temps après la délivrance du permis de construire et rédigé un recours gracieux dès le lendemain de ce compromis, et, d’autre part, en ce qu’il a déjà présenté, en sa qualité de gérant de deux sociétés civiles immobilières des recours rejetés pour défaut d’intérêt à agir et pour lesquels il a déjà été condamné à des amendes pour recours abusifs ; CAA de Marseille, 20 mars 2014, SCI KAROUS, no 13MA01369, inédit ; CAA de Marseille, 20 mars 2014, Cts HADDAD, no 13MA02161, inédit, NOGUELLOU (R.), Le droit de l’urbanisme post ALUR, RFDA, no 3, 9 juill. 2014, p. 553.

102

WALINE (J.), note sous CE, Ass, 27 avr. 1979, RDP, 1980, p. 1163.

103 CE, 19 avr. 1982, no 16179, Rev. Jurispr fisc. 1982, p. 314 ; CE, 13 janv. 1997, Mlle DROULERS,

inédit ; CE 10 juin 1998, MM. LAVET et BERTIN, inédit, relatif à la demande de communication de documents inexistants.

104

PACTEAU (B.), Manuel de contentieux administratif, Droit fondamental, PUF Droit, 2e éd., Paris, 2010, 318 p., p. 205, no 222.

105 CE, 9 déc. 1981, Rev Jurispr. Fisc., 1982, p. 78 ; CE, 1er oct. 1958, PAISNEL, Rec. Lebon, T.,

p. 466, recours en interprétation d’une décision du Conseil d’État ne présentant « ni obscurité ni ambiguïté » ; CE, ass., 27 avr. 1979, MINEFI c. Mme LESTRADE ; CAA, Paris, 20 févr. 1990, Cne

d’Evry c. Mlle PROVOST, Rec. Lebon, T., p. 931.

106 CE, 15 févr. 1980, SCI du 73 avenue du Commandant BERRI à Viry-Châtillon, Rec. Lebon, T.,

La doctrine se méfie de cette sanction. Bernard PACTEAU considère que le risque de se voir condamner à supporter les frais de procédure des défendeurs doit être assez dissuasif pour le requérant107.

En pratique, s’il est clair que les juges appliquent assez peu souvent l’amende pour recours abusif. Il est naïf de croire que le risque de devoir supporter les frais de procédure des défendeurs décourage le requérant mal attentionné. Et pour cause, comme pour l’amende, les juges renâclent à faire supporter ces frais aux requérants, simples particuliers ou SCI familiales ou encore commerçants locaux, lorsque le titulaire du permis de construire est un professionnel ou une autorité administrative importante. Certes, le défendeur qui s’estime lésé par un recours abusif peut se tourner vers le juge judiciaire et solliciter l’allocation de dommages-intérêts dans les conditions de l’article 1382 du Code civil, pour abus d’ester en justice même si l’action a été intentée devant le juge administratif108et 109, ceci dans l’hypothèse où le requérant n’aura pas fait de demande reconventionnelle dans les conditions de l’article L. 600-7 du Code de l’urbanisme. Mais avant l’introduction en 2013 de ce dispositif, seule la voie judiciaire était envisageable pour obtenir réparation du préjudice causé par l’abus.

La rareté de l’application de cette amende témoigne de la difficulté pour les juges à manier cette sanction. Il semble qu’en matière d’urbanisme, seuls des cas caractérisant des recours abusifs « manifestes » peuvent donner lieu à l’application de l’amende, auxquels cas, les juges n’hésitent pas, dans ces hypothèses, à prononcer le maximum de l’amende prévu par le texte110

.

107

PACTEAU (B.), op. cit., Manuel de contentieux administratif, Droit fondamental, PUF Droit, 2e éd., Paris, 2010, p. 205, no 222.

108 DEBBASCH (C.) et RICCI (J.-Cl.), Contentieux Administratif, précis, Dalloz, 8e éd., Paris, 2001,

p. 616 s, § 693.

109

T.G.I. Grasse, 7 févr. 1989, CRICA c. groupement de défense Bernard MARZANO et autres, AJDA, 1989, p. 549.

110 V. Préc. pour une illustration les tribulations de la SCI KAROUS et des consorts HADDAD : TA

Marseille, ord., 5 févr. 2013, SCI KAROUS, no 1300198 : est également condamnée à une amende de 3 000 euros pour recours abusif une société auteur de plusieurs recours contre d’importants projets immobiliers, rejetés et ayant donné lieu à l’infliction d’amendes pour recours abusifs, et dont l’intérêt est illégitime, la société requérante se prévalant de la location d’une toiture-terrasse en face du projet, faite quelques jours avant la présentation de la demande de permis et sans contrepartie financière pendant plusieurs mois ; TA Marseille, ord., 25 mars 2013, HADDAD, no 1300051 (pour un permis portant sur un ensemble immobilier de 286 logements, une maison d’enfants à caractère social et des locaux à usage de bureaux) : Est condamné à une amende de 3 000 euros pour recours abusif un requérant dont l’intérêt est illégitime, d’une part en ce qu’il demeure à plusieurs kilomètres du projet

Châtiment au maniement trop délicat pour être efficace, la doctrine pose fréquemment la question du maintien de cette amende111 et s’interroge sur « le réel intérêt que peut présenter une sanction rarement infligée, d’un montant modeste, et d’un maniement délicat pour le juge112

», estimant, à raison, qu’il faut éviter de trop sanctionner ceux qui ont cru pouvoir obtenir gain de cause plus par méconnaissance du droit et des subtilités de celui-ci que par malveillance113. Et, ainsi que le souligne Bernard PACTEAU, il est vrai que « sans l’acharnement de tant de requérants téméraires plaidant sans se lasser à contre-courant des jurisprudences les mieux établies certains progrès historiques du droit administratif n’auraient jamais vu le jour114. »

Nous verrons dans la suite de notre développement qu’en dépit des réserves les plus profondes émises par la doctrine à l’égard de cette amende, la « rénovation » de ce régime a figuré parmi les propositions de réformes formulées dans le rapport PELLETIER auquel nous consacrons un développement particulier dans le troisième chapitre du présent titre afin de démontrer la difficulté d’identifier des remèdes efficaces pour remédier à l’insécurité juridique subie par les bénéficiaires d’autorisation d’urbanisme face aux recours abusifs des tiers.

En conclusion de cette section, il ressort des observations qui précèdent que la procédure pour excès de pouvoir est favorable aux tiers. En outre, bien connue et bien maîtrisée, elle est une procédure qui peut être maniée avec habileté pour demander en apparence l’annulation de l’autorisation d’urbanisme et pour

et a conclu un compromis de vente pour un appartement voisin peu de temps après la délivrance du permis de construire et rédigé un recours gracieux dès le lendemain de ce compromis, et, d’autre part, en ce qu’il a déjà présenté, en sa qualité de gérant de deux sociétés civiles immobilières des recours rejetés pour défaut d’intérêt à agir et pour lesquels il a déjà été condamné à des amendes pour recours abusifs ; CAA de Marseille, 20 mars 2014, SCI KAROUS, no 13MA01369, inédit ; CAA de Marseille, 20 mars 2014, Cts HADDAD, no 13MA02161, inédit, NOGUELLOU (R.), Le droit de l’urbanisme post ALUR, RFDA, no 3, 9 juill. 2014, p. 553.

111

PACTEAU (B.), op. cit., Manuel de contentieux administratif, Droit fondamental, PUF Droit, 2e éd., Paris, 2010, p. 205, no 222 ; DEBBASCH (C.) et RICCI (J.-Cl.), op. cit., Contentieux

Administratif, précis, Dalloz, 8e éd., Paris, 2001, p. 616 s, § 693 ; FRAISSEIX (P.), op. cit., Droit au

juge et amende pour recours abusif, AJDA, 2000, p. 20.

112 DEBBASCH (C.) et RICCI (J.-Cl.), op. cit., Contentieux Administratif, précis, Dalloz, 8e éd., Paris,

2001, p. 616, § 693.

113 PACTEAU (B.), op. cit., Manuel de contentieux administratif, Droit fondamental, PUF Droit, 2e

éd., Paris, 2010, p. 205, no 22.

poursuivre, en réalité, un but inavouable et illégitime tel obtenir une transaction rentable moyennant un désistement d’instance et d’action, ou la négociation d’avantage dans l’opération. Occulte, discret, pernicieux, le recours abusif n’est pas aisément décelable pour le juge de la légalité qui n’est pas en mesure de sanctionner l’abus et qui par conséquent, renâcle à faire application de la sanction prévue par l’article R. 741-12 du Code de justice administrative. En outre, il ne faut pas minorer le fait que son identification n’est pas la priorité du contrôle de légalité lequel est, par essence, un contrôle objectif avant tout. Enfin, les demandes reconventionnelles en indemnisation faites en application du nouvel article L. 600-7 du Code de l’urbanisme font naître l’espoir que le juge administratif, dont la conviction sera emportée par la démonstration du bénéficiaire du permis, fera dorénavant davantage application de l’amende prévue par le Code de justice administrative.