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Une expertise qui relève du patrimoine culturel autochtone

CHAPITRE 1 PROBLÉMATIQUE

1.3 Reconnaissance des savoirs et des pratiques muséologiques des Autochtones

1.3.2 L’approche patrimoniale de la muséologie située

1.3.2.1 Une expertise qui relève du patrimoine culturel autochtone

Le concept de patrimoine culturel immatériel a été popularisé dans le cadre des travaux de la Convention sur la protection du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO au début des années 2000. Selon l’article 2.1 de cette convention, le patrimoine immatériel comprend notamment

[…] les traditions ou les expressions vivantes héritées de nos ancêtres et transmises à nos descendants, comme les traditions orales, les arts du spectacle, les pratiques sociales, rituels et événements festifs, les connaissances et pratiques concernant la nature et l’univers ou les connaissances et le savoir-faire nécessaires à l’artisanat traditionnel.

Plusieurs ont soulevé l’importance d’établir une certaine une distanciation critique face à cette définition et aux travaux de l’UNESCO (Giguère, 2006 ; Jadé, 2005 ; Kirshenblatt-Gimblett, 2004 ; Savova, 2009 ; van Zanten, 2004) qui véhiculent un concept auquel on reproche d’être « une confusion entre un objet… et son interprétation » (Morisset et Noppen, 2005). Néanmoins, le patrimoine immatériel représente un cadre d’action et un moyen efficace de revitalisation du social et du territorial qui donne aux individus et à la communauté un sens d’identité et de continuité par le soutien aux savoirs et à la créativité humaine (Kato, 2006 ; Jadé, 2006

; Turgeon, 2010).

Pour Kreps (2005, 2009), les pratiques traditionnelles de conservation et de préservation développées par les Autochtones cadrent bien avec la définition du patrimoine culturel immatériel véhiculée par la Convention. L’Indigenous curation, ces approches non-occidentales de conservation, de préservation et de valorisation du patrimoine sont, aux yeux de Kreps (2005) des expressions tangibles de l'immatériel, c’est-à-dire des idées sur ce qui constitue le patrimoine, la façon dont il devrait être perçu, traité, et transmis. Elle precise que ces expressions « exemplify holistic

approaches to heritage preservation that are integrated into larger social structures and ongoing social practices » (p. 3). Cette auteure voit en cette Convention moins un outil de protection qu’un instrument supplémentaire pour faire reconnaître de ces autres formes de savoirs et de pratiques muséales, et pour les rendre légitimes aux côtés de la muséologie occidentale. Le but, dit-elle, « is to give credence to bodies of knowledge and practices that have been historically overlooked or ignored » (p. 6).

Cet ensemble de connaissances se caractérise par un enchevêtrement des rapports au Temps, à l’Espace et à Soi dans les stratégies mises de l’avant par les Autochtones pour se réapproprier, conserver et mettre en valeur leur patrimoine. Ces stratégies font appel aussi bien au savoir ancestral des lieux géographiques qu’à l’histoire orale de faits et de gestes spécifiques (Arsenault, 2009 ; Morin, 2007 ; Robertson, 2009). Dans une recherche sur la mise en valeur du patrimoine autochtone in situ au Canada, Morin (2007) constate que pour les Haïdas à SGang Gwaay en Colombie-Britannique, l’esprit sacré des lieux est tout autant important que les mâts totémiques qui ont survécus à la colonisation. Elle explique que ce principe s’incarne dans l’une de leurs croyances voulant « ce que l’on prend à la Terre devra lui être retourné. » (p. 154) Aucun produit chimique n’a d’ailleurs été appliqué sur les mats pour contrer l’action destructrice de l’humidité, des insectes ou de la végétation. En respectant ce principe de « conservation-destruction » culturellement enraciné,

« devant les yeux des visiteurs s’accomplit ce en quoi les Haïdas croient depuis toujours : la Terre qui réclame ses mâts » (Morin, 2007, p. 154).

On comprend alors que ce qui est préservé et montré ne puisse être isolé de son contexte et de ce qui lui donne sens. C’est, à notre avis, un des éclairages les plus pertinents apporté par le concept de patrimoine immatériel sur les savoirs et les pratiques muséologiques des Autochtones c’est-à-dire, de révéler l’état d’esprit des acteurs envers ces éléments sacrés. Kreps (2005) estime que la reconnaissance de cet état d’esprit des acteurs envers leurs objets revient à montrer un plus grand respect pour leurs droits humains et culturels. Cette reconnaissance contribuerait aussi, selon cette auteure, « to a better understanding of how feelings and emotions are part of the cultural milieu in which objects exist and are given meaning and values » (p. 151-152). Ainsi, cette dimension émotionnelle peut s’avérer un autre principe de base de la pratique muséale considérant que tous les humains ont la capacité de ressentir des émotions et de les exprimer à travers différents médiums, comme les objets (Kreps, 2005, p. 151-152). Mais il y a plus. Cet état d’esprit des acteurs envers ces éléments du patrimoine révèle aussi, de façon encore plus saisissante, leur relation avec leur propre corps (Galinier, 2004) et leurs propres gestes. « Les objets ont leur importance mais les gestes bien plus », souligne Vollant à Dubuc lors d’une entrevue sur la mise en place d’un musée dans la communauté de Uashat Mak Mani-Utenam (Vollant et Dubuc, 2004).

Vu sous cet angle, ce qui fait aussi la spécificité de la pratique muséologique sous l’angle du patrimoine immatériel sont ces gestes qui traduisent autant de postures éthiques (Edson, 1997) liées à leur pratique.

En resituant ainsi les savoirs et les pratiques muséologiques des Autochtones comme constitutifs du concept de patrimoine immatériel, les expressions culturelles deviennent un ensemble de connaissances concrètes acquises par l’usage et le contact avec la réalité, prêtes à être mises en pratique par les acteurs. Cette « expertise » devient alors le résultat de cette acquisition. L’acteur, devient ainsi un expert dont l’expérience de la définition, de l’utilisation et de la perpétuation de son propre patrimoine culturel devient à son tour savoir. Hugues de Varine, un spécialiste de la muséologie communautaire et des nouvelles muséologies, propose d’ailleurs le concept d’experts d’usage pour valoriser l’expérience et le savoir de ces acteurs (Dubuc, 2007).

1.3.2.2 Des savoirs et des pratiques adaptés et qui participent d’un processus