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CHAPITRE 1 PROBLÉMATIQUE

1.4 Problème de recherche

1.4.3 Pertinence sociale et scientifique

La réflexion que nous proposons sur ce que nous pouvons appeler « l’agir professionnel des intervenants autochtones en muséologie » présente d’abord une pertinence sociale.

En effet, malgré les efforts pour changer les façons de faire et les perspectives15 qui ont permis aux Autochtones de s’impliquer davantage dans le secteur muséal, une hiérarchie négative persiste entre les savoirs « experts » et les savoirs autochtones qui contribuent à minimiser la capacité des Autochtones d’agir sur leur propre patrimoine culturel. Il est toujours difficile pour les institutions muséales autochtones qui souhaitent l’accréditation gouvernementale de l’obtenir en raison des écarts grandissants entre les approches autochtones de conservation et de mise en valeur du patrimoine et les « normes officielles » (Commission royale sur les peuples

15 On pense, entre autres, aux diverses politiques, législations et conventions, tant à l’échelle internationale, fédérale que provinciale, accompagnés de discours et de dispositions pour favoriser une plus grande participation des collectivités autochtones dans les musées, mais aussi d’une reconnaissance de leurs propres institutions et de leurs pratiques dans ce domaine.

autochtones, 1996 ; Dubuc et Vollant, 2006). Cela dit, il n'en demeure pas moins que la mise en place de ces musées, même si la plupart n’ont pas la reconnaissance (comme plusieurs institutions muséales non autochtones soit dit en passant) est un moyen pour les Autochtones d’affirmer leur autonomie.

Cette question d’autonomie est d’actualité dans les discussions et les actions en matière d’éducation, de culture, de langues et de développement socio-économique des collectivités autochtones depuis des décennies (Commission royale sur les peuples autochtones, 1996; Conaty, 2006 ; Dubuc, 2006 ; Forum socio-économique des premières nations, 2006 ; Michel, 2002 ; O’Bomsawin, 2006 ; Rivard et Renaud, 1989

; Turgeon, 2005 ; Vollant et Dubuc, 2004 ; Whiteduck, 2007). Dans cette lignée, notre recherche participera à formaliser des savoirs et des pratiques et qui pourront constituer des repères à des fins de formation.

En ce qui concerne la pertinence scientifique de notre recherche, il y a des connaissances à combler concernant les rapports aux savoirs du patrimoine et à la valorisation des expertises autochtones en matière de muséologie (Dubuc et Kaine 2010 ; Isaac, 2007 ; Sleeper-Smith, 2009 ; Stanley, 2009, 2013) et, plus largement, en matière de gouvernance patrimoniale (Paquette, 2012). Ici notre recherche fournit une synthèse des approches qui participent à la reconnaissance de ces savoirs ainsi que les apports et les limites des courants théoriques qui les sous-tendent. De plus, l’agir professionnel en muséologie comme objet de recherche constitue un espace analytique

qui nous permet de comprendre, plus largement, la transformation des rapports entre les professionnels de musées et la société. Face à une remise en question de la normativité occidentale à l’égard du patrimoine culturel, il est nécessaire de mieux comprendre comment les acteurs s’engagent avec les systèmes de savoirs ainsi que leurs conditions de production, d’échanges et de valorisation (Isaac, 2007 ; Paquette, 2012 ; Tornatore, 2007). Pour le dire autrement, il est nécessaire de « clarifier et mettre en forme la compétence des acteurs » selon la formule de Boltanski (1990) (citée par Tornatore, 2007, p. 6). Dans un contexte d’effritement des formes du travail, les identités professionnelles et à la constitution des professionnalités font face à d’énormes défis. Ainsi, notre recherche s’inscrit dans un corpus plus large d’études préoccupées à saisir l’expérience pratique des professionnels en situation de travail par l’analyse des dimensions symboliques et subjectives de leurs gestes professionnels (voir notamment Bucheton, 2009 ; Jorro, 1998 et 2009).

Notre étude des gestes professionnels des intervenants autochtones en muséologie se distingue des domaines d’investigation habituellement privilégiés par les recherches qui relèvent principalement de l’éducation, de la formation professionnelle ou du sport. Outre cet aspect, mentionnons qu’en portant une attention particulière à la place et au rôle du territoire dans l’ajustement de ces gestes et de ces pratiques, notre recherche propose une autre entrée pour investiguer cette problématique. À cet égard, cette étude s'inscrit dans un programme de recherche qui vise à comprendre et à théoriser les manières par lesquelles les Autochtones agissent

sur le territoire afin qu’il continue à produire leur société. Ce programme est développé au sein de la Chaire de recherche du Canada sur la gouvernance autochtone du territoire (Université du Québec en Outaouais) et est dirigé par le directeur de la présente étude, le professeur Thibault Martin. Notre contribution spécifique à ce programme consiste dans l'élaboration d'une description théorique permettant de mieux comprendre le rôle que les Autochtones veulent donner au territoire à travers leurs approches muséologiques afin que celui-ci puisse continuer à « guérir », « éduquer », « soigner » les membres de leurs collectivités16.

La problématique, le contexte théorique et le problème de la recherche ayant été exposés, nous pouvons maintenant présenter le cadre que nous avons choisi pour appréhender notre objet d’étude.

16 Pour de plus amples informations sur le programme de cette chaire de recherche, consultez son site Internet http://w3.uqo.ca/crcgat/index.html.

CHAPITRE 2

RÉFÉRENCES THÉORIQUES

Dans ce chapitre, nous allons présenter les théories et concepts qui encadrent notre analyse et expliquer pourquoi nous les avons choisis. Nous nous sommes appuyés sur des auteurs qui proposent une vision interactionniste et constructiviste des réalités sociales. La première partie de ce chapitre s’attarde donc à décrire cette perspective et les propositions d’auteurs interactionnistes qui nous ont particulièrement intéressées, c’est-à-dire celles de Berger et Luckman (1966), de Becker (1982) et de Joas (1999).

La deuxième partie présente la théorie de l’Action historique de Martin (2009) qui propose que les sociétés autochtones agissent sur elles-mêmes en effectuant une lecture de la réalité qui leur est propre. Mais avant nous effectuerons un retour sur les théories portant sur la modernité autochtone, c’est-à-dire celles présentent l’Autochtone comme le sujet d’un régime (post)colonial et celles qui le définissent comme étant assujetti à un processus évolutionniste homogénéisant. Nous verrons ensuite comment l’Action historique permet d’explorer l’originalité de la pratique des muséologues autochtones en évitant d’opposer l’idée d’une muséologie occidentale et d’une muséologie autochtone et, plus largement, celle d’une muséologie classique et d’une nouvelle muséologie.

Les concepts sous-jacents à la recherche sont présentés à la troisième partie intitulée « Clé conceptuelle ». La dernière partie de ce chapitre expose « l’hypothèse de travail » et le potentiel heuristique de notre cadre théorique pour se saisir de notre objet d’étude.

2.1 Une perspective interactionniste et constructiviste

L’interactionnisme est une tradition de recherche qui a vu le jour à l’Université de Chicago au cours des années 1920. Elle était portée par plusieurs chercheurs désireux de saisir autrement la « chose sociale ». En effet, la plupart des théories sociologiques de l’époque proposaient une vision déterministe et passive des conduites humaines où elles apparaissaient comme des réponses à des stimuli extérieurs (Becker, 2004). Parmi les travaux les plus connus, on retrouve ceux des pionniers Thomas & Znaniecki (1918-1920) (sur les migrations en milieu urbain) mais aussi ceux de Hughes (1951) (sur les activités professionnelles), Berger et Luckman (1966) (sur la construction sociale des réalités), et, dans un passé moins lointain, ceux de Becker (1982) sur les mondes de la culture et de l’art », etc. (Morissette, Guignon et Demazière, 2011).

Les chercheurs qui adoptent un tel positionnement, soulignent Morissette, Guignon et Demazière (2011), étudient les phénomènes sociaux « sous l’angle des interactions qui lient les acteurs au quotidien et des significations qu’ils engagent dans ces interactions » (p. 4). Le monde social est envisagé comme une « entité

processuelle » (p. 1), construite et interactionnelle. L’interaction est définie « comme un ordre négocié qui doit être reconstruit en permanence afin d’interpréter le monde ».

(Coulon, 1990, p. 12). Au sein de ce monde, l’individu est appréhendé « comme un acteur interagissant avec les éléments sociaux et non comme un agent passif subissant de plein fouet les structures sociales à cause de son habitus ou de la ‘force’ du système ou de sa culture d’appartenance » (Le Breton, 2004, p. 46). Dans cette perspective, les trajectoires d’acteurs ne sont pas uniquement conditionnées par des facteurs extérieurs, elles se réalisent au gré des interactions.

Un survol de la littérature interactionniste permet d’apprécier l’hétérogénéité des perspectives de « cette tradition de recherche qui rassemble des chercheurs qui se soucient d’analyser le sens des actions et les univers symboliques dans lesquels celles-ci prennent place » (Chapoulie, 2011, p. ii). On y retrouve notamment l’interactionnisme symbolique développé par Blumer (1937) et revisité plus tard par Becker, l’interactionnisme constructiviste de Berger et Luckmann (1966) qui devint une théorie de la connaissance, l’interactionnisme réaliste conçu par E. Goffman (1973).

Les perspectives que nous retenons pour les fins de cette recherche découlent de l’approche constructiviste de Berger et Luckmann (1966) ainsi que de quelques propositions interactionnistes de Becker (1982) et de Joas (1999). Ces différentes tendances trouvent d’abord leur fil conducteur dans l’objectif « de saisir et de restituer

les significations des actions, de mettre au jour la pluralité les points de vue et les interprétations des acteurs ainsi que les processus d’ajustement, de négociation et de régulation des activités sociales » (Morissette, Guignon et Demazière, 2011, p. 3).

Ensuite, elles partagent des fondements épistémologiques qui relèvent de la sociologie compréhensive de Mead (1863-1931) et de la sociologie phénoménologique de Schütz (1899-1959) (Le Breton, 2004).

Mead (1863-1931) tient parmi les théoriciens influents du courant interactionniste. Inspiré par la sociologie compréhensive de Weber (1864-1920), Mead insiste sur l’idée que les conduites humaines, ou l’acte social, ne peuvent se comprendre que de « l’intérieur » et qu’en relation avec les significations que les gens donnent aux choses et à leurs actions. Il s’intéresse à la dimension symbolique des conduites humaines à savoir, les valeurs et les significations que les individus, en interaction, attribuent à leurs actions. Ce processus de construction de l’identité sociale dans l’interaction avec autrui permet de comprendre qu’à partir d’une même situation objective peut se manifester une multitude d’action différentes. Il envisage la socialisation comme une construction de la communication du Soi en tant que membre d’une communauté participant à son existence. L’acte social, selon Mead, résulterait

« de l’interaction de différents organismes, c’est-à-dire de l’ajustement mutuel de leurs conduites dans la réalisation du processus social » (Le Breton, 2004, p. 133). À l’instar de Weber, il avance que le travail du sociologue ne consiste pas à réduire la réalité à des lois et des faits mais plutôt à comprendre l’univers de significations subjectives de

l’action. Ce postulat sur l’interprétation subjective de la signification sera repris par Schütz (1987).

Schütz (1987) avance l’idée que la seule manière de garantir l’uniformité du monde et de s’assurer que la réalité sociale ne soit substituée par un monde fictif construit par l’observateur scientifique est « la sauvegarde du point de vu subjectif de l’acteur » (p. 12). Pour lui chacun a sa propre expérience du monde, son propre « stock de connaissance » (Schütz, 1987, p. 12). Schütz attache une grande importance aux significations de la vie quotidienne et au monde vécu des acteurs sociaux, « notamment leurs expériences interactives sous formes de types » (Blin, 1998, p. 10). Le travail du sociologue consiste donc à saisir comment se construit ce qu’il appelle « le monde de la vie quotidienne ». Ainsi, cette connaissance du sociologue est en continuité avec la connaissance commune, c’est-à-dire « qu’à la base de la connaissance savante du monde il y aurait une connaissance ordinaire » (Schütz, 1987, p. 12). Ces savoirs permettraient aux individus de construire une typification leur permettant d’appréhender le réel dans la vie quotidienne.

En se référant notamment aux travaux de Mead et à la problématique des savoirs de Schütz, Berger et Luckmann (1996 [1966]) proposent un ouvrage intitulé La construction sociale de la réalité. Ces auteurs envisagent le « monde vécu » à la fois comme un « univers symbolique » et un savoir sur ce monde. Ils présentent la vie quotidienne comme étant une réalité interprétée de manière subjective en tant que

monde cohérent. Au-delà de cette subjectivité, ce monde existe aussi en tant qu’objectivations et typifications qui permettent d’édifier son sens à travers les pensées et les actions qui contribuent à le maintenir en tant que réalité. Ainsi la « réalité sociale

», selon Berger et Luckmann (1996 [1966]) apparaît toujours comme doublement construite : objectivement, à travers les expériences, et subjectivement à partir des propositions et des langages qui les mettent en mots.

Selon ces auteurs, « [l]e langage utilisé dans la vie quotidienne […] procure continuellement les objectivations nécessaires et établit l’ordre au sein duquel celles-ci acquièrent un sens, de même que l’ordre au sein duquel la vie quotidienne devient […] signifiante » (Berger et Luckmann, 1996 [1966], p. 35). Ainsi les « formulations théoriques de la réalité n’épuisent pas ce qui est « réel » aux yeux des membres d’une société. Elles seraient plutôt « le tissu sémantique sans lequel aucune société ne pourrait exister » (Berger et Luckmann, 2006, p. 62). Cette perspective invite à considérer l’élaboration des schèmes de penser comme rendant possible la compréhension entre des individus qui ne partagent pas nécessairement le même univers de référence. On y retrouve également l’idée que ces différentes typifications sont l’objet d’une négociation continuelle entre soi et autrui à l’intérieur de situations d’interaction.

Pour appréhender l’interaction, les propositions de Becker, dans son ouvrage Art Worlds (1982), nous sont apparues pertinentes. Ce sociologue américain met l’accent sur la dimension collective de l’action et montre comment elle relève d’une

mise en partage de savoirs, pratiques et de valeurs communes susceptibles de se transformer mais aussi d’être confrontées (p. 39). Dans cette perspective, l’interaction est appréhendée comme un champ d’influences à l’intérieur d’un monde au sein duquel les acteurs agissent selon leur appréciation mutuelle de ces conventions, leurs confrontations, leurs contournements, etc. Sa vision élargie de l’interaction n’implique pas seulement des situations où il y a une coprésence « physique » des acteurs impliqués dans l’action collective. Elle participe aussi « de manières de faire » qui

« sont venues à se stabiliser dans des conduites qui deviennent habituelles » (Morissette, 2011, p. 15) à travers un réseau de coopération d’une multitude d’acteurs.

Les productions ou les pratiques qui découlent de cet « univers de conduites » ne sont pas, selon Becker (1982, 2004) le produit d’acteurs qui travaillent de façon isolée. Comme il l’explique, elles sont plutôt des « [...] joint products of all the people who cooperate via an art world’s characteristic conventions to bring the works like that into existence » (p. 35). L’existence de ces réseaux de coopération repose sur ce qu’il nomme « conventions ». Becker les définit comme des savoirs et des pratiques constitutifs d’un groupe et intégrés au quotidien qui facilitent la coopération entre les acteurs :

[…] conventions provide the basis on which art world participants can act together efficiently to produce works characteristics of those worlds. Different groups of participants know different parts of the total body of conventions used by an art world, ordinarily what they need to know to facilitate the portion of the collective action in which they take part. (p. 42)

Par le prisme des propositions théoriques de Becker, la pratique des intervenants autochtones en muséologie se présente comme une pratique sociale qui s’exprime par un processus continu de coproduction des connaissances entre divers acteurs. Dans Quelques idées sur l’interaction, Becker (2004) a recours à la métaphore du joueur d’échec pour illustrer la complexité du processus d’interaction. Becker (2004) rappelle d’abord les trois principes qui le sous-tendent : 1. « les êtres humains sont actifs, […] ils sont toujours en train d’agir, d’essayer de faire quelque chose, et de chercher autour d’eux les voies et les moyens de l’accomplir », 2. la conduite humaine n’est jamais automatique, mais implique toujours une pause pendant laquelle l’acteur réfléchit sur l’action en cours et pense à d’autres possibilités d’agir » et, 3. pendant cette pause, l’acteur pense à la manière dont les autres vont réagir à ce qu’il est en train d’envisager et il adapte ce qu’il est en train de faire en tenant compte de cette réponse qu’il anticipe » (p. 248). Becker précise que l’acteur tout en s’appuyant sur son expérience antérieure, « tient compte de tous les gens impliqués dans l’action entreprise, […] les spectateurs, d’autres joueurs, les officiels de l’organisation du tournois, les membres de la famille, etc. » (p. 248-249).

Vu sous cet angle, l’ajustement des pratiques muséales des intervenants autochtones à leurs valeurs repose sur une activité réflexive et un système d’attentes mutuelles, de conventions et de savoirs ainsi que de divers symboles partagés ou non entre les praticiens, les divers publics du musée, les membres de la communauté dans lequel il est implanté. Ce processus d’ajustement, ou cet agir, est « continuellement

remodelé pour tenir compte de ses attentes et celles autres et ce, en fonction d'expériences passées »17 (Becker, 2004, p. 248). Dans cette vision interactionniste, l’ajustement de ces pratiques passe par le « langage » au sens large du terme. Pour Becker, le langage inclus autant le langage verbal que corporel, et tout ce qui fait partie des expressions symboliques, visuelles etc., qui lient les gens et leur permettent de s’ajuster. » Ainsi, ses propositions nous permettent de constituer l’« enquête » autour de diverses formes de sociabilité et de systèmes d’échanges dans lesquels se construit la pratique des intervenants. Par ailleurs, la perspective de Becker (1982) nous invite à envisager les savoirs et les pratiques des muséologues autochtones comme un ensemble de conventions sociales et de conventions propres à leur groupe professionnel. Ces conventions peuvent concerner aussi bien la manière d’aborder une visite guidée avec un public d’adolescents canadiens, de touristes européens ou de membres d’autres nations autochtones que les aspects culturels valorisés dans les expositions, etc. Pour Becker (1982), ces conventions sont loin de représenter un diktat rigide, elles sont aussi là pour laisser émerger un agir créatif. C’est ici que nous faisons intervenir les propositions de Joas (1999).

Le projet de Joas (1999) est le suivant : il s’agit « de mettre au jour dans tout agir une dimension créative qui n’est pas suffisamment prise en compte dans les

17 Notamment ce qui a pu s’avéré fructueux ou ce qui a été revisité à la suite d'échecs.

modèles théoriques de l’action rationnelle et de l’action à visée normative » (p. 14).

Inspiré par les apports intellectuels de la phénoménologie sociale, de l’interactionnisme et du pragmatisme, la théorie de la Créativité de l’agir qu’il propose rompt avec le modèle de l’agir purement rationnel. Plus particulièrement, Joas (1999) souhaite sortir du schéma de la fin et des moyens dans l’interprétation de l’agir humain, c’est-à-dire de l’interprétation téléologique de l’intention qui supposerait une séparation entre la connaissance et l’action. Il explique :

Dans la conception téléologique dont nous cherchons à sortir ici, cet acte semble s’accomplir dans la plus totale liberté, jusqu’à paraître parfaitement arbitraire : comme si le sujet formait ses buts sans être en aucune manière influencé par le monde. (p. 173)

Ne rejetant pas les perspectives normatives de l’action rationnelle, Joas fait remarquer que la créativité est marginalisée dans l’analyse de l’action. Cette mise à l’écart engendrerait, selon lui, deux situations. Tout d’abord, celle de créer une contre-catégorie à l’action rationnelle, c’est-à-dire une action non rationnelle qui est, selon les normes, non souhaitable. Et conséquemment, celle de rassembler sous cette contre-catégorie toute une gamme d’actions relevant de logiques différentes telles que l’action émotionnelle, esthétique, amorale, etc. (Joas, 2001). En réponse à ces « lacunes », il propose donc le modèle de l’action créative, un modèle englobant l’action rationnelle et l’action normative. Selon sa perspective, ce n’est pas la situation qui détermine l’action mais ce que « l’individu ne peut percevoir une situation dans la mesure où il

est en capacité d’agir : la nature de l’action s’oriente ensuite par un mouvement réflexif en fonction de la perception construite de la situation dans laquelle il se trouve » (Monnoyer-Smith, 2006, p. 58). Bref, les motivations ne sont pas les causes de l’agir, elles sont le produit d’un travail réflexif porté sur le contexte et la convenance de l’action à conduire (Monnoyer-Smith, 2006).

Ce qu’il cherche à comprendre ce n’est pas la réalité en elle-même, mais plutôt l’application du perçu dans le contexte de l’activité (Joas, 1999). Dans ce processus de

Ce qu’il cherche à comprendre ce n’est pas la réalité en elle-même, mais plutôt l’application du perçu dans le contexte de l’activité (Joas, 1999). Dans ce processus de