• Aucun résultat trouvé

Des savoirs et des pratiques qui participent du renouvellement de la

CHAPITRE 1 PROBLÉMATIQUE

1.3 Reconnaissance des savoirs et des pratiques muséologiques des Autochtones

1.3.1 L’approche « scientifique » de la muséologie critique et comparative

1.3.1.2 Des savoirs et des pratiques qui participent du renouvellement de la

La reconnaissance de l’existence de pratiques et de savoirs parallèles à la muséologie occidentale amène certains chercheurs à s’intéresser aux manières de les conjuguer avec les méthodes muséologiques classiques pour en renouveler les bases théoriques et les pratiques (Cobb, 2008 ; Flynn et Hull-Walski, 2001 ; Kreps, 1998 ; Rouvier, 2010

; Sully, 2007). Pour Kreps (1998), « whilst indigenous curatorial practices are unique cultural expressions that deserve documentation and preservation in their own right, they can also be heuristic, awakening us to some the assumptions and values embedded in our own practices » (p. 3). Ainsi, les savoirs et les pratiques muséologiques autochtones circulent dans l’univers « savant » de la muséologie et sont appréhendés comme parties prenantes de sa transformation.

Dans le domaine de la conservation des objets par exemple, Sully (2007) fait valoir la nécessité décoloniser la conservation, c’est-à-dire de libérer les approches occidentales de conservation du patrimoine « [...] from its Eurocentric constraints and provide an opportunity for a self-reflective examination of past circumstances, which

can inform our current responsabilities and those for the future » (p. 49). Dans un article intitulé Merging Traditional Indigenous Curation Methods with Modern Museum Standards of Care, Flynn et Hull-Walski (2001) avaient déjà commenté les arguments pour et contre de l’incorporation des méthodes traditionnelles autochtones de conservation12 aux normes muséologiques contemporaines. Elles soutenaient que certains professionnels de musées considéraient que les musées, en tant qu’institutions garantes d’un savoir scientifique, et qu’ils ne devraient pas être les véhicules d’expressions religieuses ou spirituelles et devraient gérer les collections d'une manière strictement objective (p. 32). Cependant, ces auteures estiment que l’incorporation de la signification religieuse et rituelle dans la conservation et la préservation de ces objets accroît leur valeur informative et ajoute une histoire supplémentaire à l'histoire de la vie de ces objets.

À travers cette thématique de la libération des savoirs, la muséologie autochtone participe à un processus de reconnaissance des différences sous le sceau de la réconciliation (Kelly et Gordon, 2002 ; Harrison, 2011 ; Simpson, 2009 ; Wakeman, 2008) et de la volonté d’en faire un modèle (Kreps, 2006 ; Flynn et Hull-Walski, 2001

; Turgeon 2003, cité par Dubuc et Turgeon, 2004, p. 11). Les transformations que les Autochtones ont apportées à la muséologie conventionnelle, en l’adaptant, « have not remained at the local level: they have inspired significant changes in the disciplines of

12 Flynn et Hull-Walski (2001) décrivent les méthodes autochtones traditionnelles de conservation

« describes the care, treatment, and handling of sacred or religious objects in the manner prescribed by the culture for which the object has ritual significance. » (p. 32)

museology and anthropology nationwide and throughout the Western Hemisphere » (Erikson, 2002, p. 170).

L’ampleur des discussions autour des approches d’exposition du National Museum of the American Indian (NMAI) à Washington, ouvert en 2004, est un exemple de cette volonté de faire des musées autochtones des modèles incarnant cette muséologie que l’on veut nouvelle et « décolonisée ». Lonetree (2006), se rappelle comment ce musée est rapidement devenu « the most visible model for community collaborative exhibitions with Indigenous groups » (p. 635). Les attentes étaient grandes envers cette institution. Une auteure, déjà en 1991, Elaine H. Gurian, consultante en muséologie, avait écrit que le NMAI « is prepared to rewrite or expand the definition of the museum as currently understood » (Gurian, 2006, p. 190).

Cependant, n’oublions pas, comme Lonetree (2006) le fait remarquer, que bien d’autres musées « have pursued this approach prior to the NMAI, and the institution is not unique in this regard » (p. 309). Mais en raison de son envergure nationale et parce que le personnel avait adopté délibérément les pratiques associées à la nouvelle muséologie, le NMAI représentait le plus grand « laboratoire » de cette nouvelle muséologie autochtone.

Les trois vagues de critiques dont ce musée a été l’objet ont ainsi servi en quelque sorte à « mesurer » « how well the New Museology can meet the goals and needs of an institution dedicated to indigenous-based museum practice » (Ronan, 2014,

p. 132). Plusieurs ont salué l’efficacité de la présentation de la philosophie et de l’identité autochtone. Certains y ont même décelée « an Indigenous way of knowing in the exhibitions, an Indigenous museology » (Lonetree, 2012, p. 111) faisant du NMAI un modèle d’une muséologie de la décolonisation. D’autres ont fortement critiqué la surutilisation de technologies interactives et surtout le silence autour de l’histoire du colonialisme à travers les Amériques. Pour certains, faire abstraction de l’histoire et des impacts des politiques coloniales n’était pas non plus un choix judicieux pour une institution qui disait vouloir éduquer une nation restée trop longtemps ignorante du traitement des Autochtones et des pratiques qui ont contribué au génocide culturel dont ils ont été l’objet (Ronan, 2014). Il semble que pour ces critiques, les muséologues du NMIA n’ont pas répondu à cette exigence implicite qui est attendu d’un musée autochtone, c’est-à-dire celle d’orienter la muséologie différemment de celle des musées occidentaux.

Pour conclure, il est intéressant de souligner les propos de Stanley (2007) qui nous met en garde de baser les analyses de la muséologie autochtone exclusivement sur les manifestations matérielles et les contenus [ou l’absence de certains contenus]

de leurs expositions. Selon lui, il y a un danger à les considérer comme étant les seules illustrations des principes qui sous-tendent leurs pratiques. Selon cet auteur, on oublie souvent tout le travail qui se déroule en coulisses (comme l’élaboration des politiques de collection) qui permet de mieux comprendre ce vers quoi ils aspirent.

Maintenant, reprenons sous forme de synthèse les apports et les limites des interprétations qui découlent de ce courant.