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1.2 L’hôpital, une institution où la dynamique professionnelle peine à s’épanouir

1.2.4 Une dynamique managériale partagée entre autorité et régulation

L’introduction de processus de modernisation bouleverse l’organisation et provoque des tensions et paradoxes précédemment décrits. Il en résulte des ambiguïtés de rôle (Dionne et Rhéaume, 2008) et des confusions (Uhalde, 2005, 2007). La gestion humaine, jusqu’à présent portée par les cadres de proximité, enserrée dans des échanges linéaires, est construite sur la notion de hiérarchie et d’autorité. Le changement de paradigme génère une modification du rôle des cadres et notamment la prise en charge des tensions, des paradoxes voire des contradictions (Detchessahar, 2009). La dynamique managériale doit apporter de la régulation dans la gestion des conflits de rôles et aider les professionnels à donner du sens à leur pratique. Celle ci doit intégrer le rendre compte à la hiérarchie, l’accompagnement des dispositifs d’assurance qualité, et l’appropriation des systèmes d’information. Il s’agit d’un défi important pour les cadres, touchés par la nécessité de trouver l’équilibre entre l’ancienne posture de soignants qui assurent un rôle de coordination avec ses pairs et le nouveau rôle de gestionnaire dont l’attribut essentiel est l’aide à l’implémentation des orientations stratégiques de la tutelle. Pour mieux comprendre les difficultés liées à ce glissement, il nous paraît opportun de définir la notion d’autorité sur laquelle repose la posture initiale des cadres puis les interrogations soulevées par le développement d’une « gestionnite chronique ».

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L’autorité est considérée comme l’aptitude qui force l’obéissance (Weber, 1922). Weber distingue trois types d’autorité légitimes. L’autorité traditionnelle, construite sur la tradition, a pour origine le droit coutumier et est attribuée de droit divin. Elle implique le respect de la personne qui la détient. Peu rencontrée dans l’univers normé de l’hôpital, elle est davantage supplantée par l’autorité dite rationnelle-légale. Cette dernière est conçue pour valoriser la performance de l’institution et se décline par le biais de règlements, de procédures, de circulaires, chartes et protocoles. Elle s’incarne dans des outils de management tel qu’un organigramme. Celui-ci rend explicite et formalise la répartition de l’autorité, sur laquelle s’appuie la répartition des tâches et la division du travail. Elle est dépendante de la fonction et le Cadre de santé ou le directeur perdent cette autorité traditionnelle sur l’institution lorsqu’ils quittent leurs fonctions. Elle est la forme la plus courante qui prévaut dans les relations explicites hiérarchiques hospitalières. Elle peut être indépendante ou complétée par une autorité naturelle dite charismatique (Weber,1922). L’autorité charismatique est dépendante d’un individu que les autres considèrent comme doté de capacités exceptionnelles. Pour Weber, l’organisation bureaucratique induit la mise en place de l’autorité rationnelle légale qui correspond à un modèle d’efficacité idéal.

L’émergence de nouvelles tensions et paradoxes impose aux cadres de réaliser un travail important de régulation auprès des soignants pour réduire le décalage entre travail prescrit et activité réalisée c’est-à-dire entre les nouvelles injonctions de la hiérarchie et l’ activité réelle des soignants, empreinte de routine. Ils doivent donc accompagner les équipes au travers d’arbitrages et de temps de partage nécessaires pour donner du sens aux actions et trouver « des accords locaux et révisables qui leur permettent de faire le travail » (Detchessahar, 2009).

La démarche s’appuie sur la théorie de la régulation proposée par Jean Daniel Reynaud (1988) et de Terssac (2003). Celle-ci repose sur l’articulation de deux éléments contradictoires : l’autonomie et le contrôle. La régulation conjointe est comprise comme une rencontre entre deux régulations : la régulation de contrôle (l’évaluation des objectifs prescrits, réalisée par les cadres) et une régulation autonome (les efforts entrepris par les professionnels de soins pour accueillir les injonctions de la hiérarchie tout en préservant leur autonomie). La régulation conjointe génère « un ensemble de règles qui sont acceptables

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pour les deux parties, par exemple parce qu’elles combinent harmonieusement règles de contrôle et règles autonomes, plus fréquemment parce qu’elles sont arbitrées de manière acceptable sur les points où les parties s’opposent. » (Reynaud, 1994, p. 230)

Cependant, peu de moyens sont identifiés pour favoriser l’épanouissement et l’efficacité de cette régulation (Detchessahar, 2003). Les ressources mise à disposition semblent demeurer hermétiques à toute adaptabilité. Les cadres soignants, phagocytés par la gestionnite, risquent de s’éloigner de la réalité pratique des équipes, dont ils ne réussissent plus à mesurer les difficultés éprouvées. Cette prise de distance peut être vécue comme un signe de désintérêt par les subalternes. La régulation portée par le cadre s’atrophie et risque de nourrir le sentiment de solitude et d’isolement des professionnels, confrontés aux situations sensibles des patients. L’absence de régulation est propice à des épisodes de stress, pouvant se transformer en « burn out ». Cette insuffisance peut apparaitre comme une aplasie de la régulation conjointe. La création d’une activité de coordination semble essentielle au sein de l’hôpital où la dimension normative prégnante ne réussit pas à imposer des résultats de gestion car ils demeurent trop dépendants de situations humaines sensibles (Detchessahar, Grevin, 2009).

L’absence ou l’insuffisance de soutien de la hiérarchie, pour favoriser cette régulation, ignorée par les nouveaux principes managériaux, peut conduire à « l’épuisement des

collectifs » (Raveyre, Ughetto, 2003.). Une des pistes de régulation proposée est la mise à

disposition de groupe de paroles qui favorise l’expression, parfois accompagnés par un psychologue. L’objectif est de réguler les tensions organisationnelles. La question, dès lors est de savoir si les échanges existants dans ces lieux d’expression sont réellement l’écho des difficultés du travail des professionnels et de celles rencontrées dans la relation avec la hiérarchie ? Organisés et commandités par la hiérarchie, ces groupes peuvent devenir des espaces « d’opérationnalisation » des projets portés par les Directions.