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Communauté et pratique : deux concepts aux confins de la science de gestion et des

Chapitre 2 : les communautés de pratique à l’hôpital : entre émergence et volonté

2.1 La genèse du concept de Communauté de pratique : un essai d’épistémisation

2.1.5 Communauté et pratique : deux concepts aux confins de la science de gestion et des

Un exploit thérapeutique devient ainsi le résultat du groupe. Par exemple, le 23 septembre 1998, le professeur Jean-Michel Dubernard et son équipe ont réalisé la première allogreffe de la main sur Clint Hallam. Au sein du groupe, les agents sont en interactions relationnelles permanentes et s’influencent mutuellement. Le groupe devient alors un « nous » identifiable, organisé, explicite ou tacite, véritable organisation dans l’institution. Dès lors, la communauté de pratique au sein de laquelle le partage spontané et autonome est prépondérant constituerait un groupe primaire.

Les groupes dits secondaires, au sein desquels la place de l’individu est davantage représentative de celle occupée dans l’organisation sociale, sont davantage structurés et les rôles des participants naturellement définis. Cela peut être le cas des groupes de travail. Certaines communautés de pratique, pilotées par un Directeur sur un mode autoritaire, peuvent s’apparenter à ces groupes secondaires.

2.1.5 Communauté et pratique : deux concepts aux confins de la science de gestion et des organisations.

La désignation de communauté de pratique pose la question du lien entre communauté et pratique. Le concept de communauté et celui de pratique intéressent les sciences de gestion et la théorie des organisations. Il convient d’essayer de préciser davantage le lien entre communauté et pratique. Est-ce la pratique qui engendre la communauté où la communauté qui génère sa pratique ? Les fondateurs du concept de communauté de pratique semblent partagés.

Une première approche est de considérer la pratique comme étant à l’origine de la communauté de pratique. Dans ce cas, la pratique devient l’unité qui sert d’analyse à la communauté (Vaast, 2002). La notion de pratique englobe l’activité quotidienne des soignants. Elle a pour enjeu la qualité et la performance des actes de soins et aussi l’identité professionnelle individuelle et collective. Elle représente l’investissement des professionnels, le sens donné aux activités, la représentation de leurs compétences et les savoirs acquis

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(Vaast, 2002). Pour définir la notion de pratique, Wenger (1984) se réfère au concept de « praxis », développé par Karl Marx, qui remarque que les pratiques de l’homme influencent le monde environnant et la structure sociale dans laquelle il est engagé. Certains auteurs (Bourdieu, 1972 ; Brown et Duguid, 1991) observent et analysent la manière dont les professionnels effectuent les tâches prescrites. Ils opèrent une distinction entre les tâches prescrites par la hiérarchie et celles effectivement réalisées par le professionnel. A l’hôpital, la tâche prescrite relève de la prescription hiérarchique. Elle représente ce qui doit être fait. Lors de la réalisation pratique, le professionnel est influencé par la situation du patient, l’environnement et la réponse à ses propres attentes. Il doit adapter sa pratique pour respecter la prescription tout en tenant compte des contraintes de l’environnement. La tâche effectivement réalisée est dénommée « activité » (Leplat et Hoc, 1983). Elle se distingue de la tâche prescrite par le réel de l’activité, ce qui correspond aussi à l’addition des choix écartés ou empêchés par l’exécutant (Clot, 1999). La communauté de pratique peut constituer un espace d’expression des tensions liées à cette distorsion et permettre aux professionnels de donner du sens à leurs activités.

L’activité se déploie ainsi dans les failles de la prescription dont elle tente de palier les incohérences avec ce que cela implique de « bricolage » cognitif et de savoir tacites. Elle est située dans la pratique (Suchman, 1988). « La pratique réelle concrète recouvre des relations

complexes entre des comptes rendus abstraits et des exigences situées » (Vaast, 2002, p.9)

Cependant, dans le titre donné de communautés de pratique, la pratique est indiquée au singulier. S’agit-il d’une même pratique partagée par tous les professionnels quelles que soit leurs spécialisations ou peut-on considérer qu’il s’agit de plusieurs pratiques réunies en une « méta-pratique » ?

A cette question, Vaast (2002) propose l’analyse suivante : si l’on considère la pratique comme entièrement partagée, cela signifie que les professionnels exécutent les mêmes activités, pour répondre à des tâches similaires, dans un contexte identique. Ce qui parait peu vraisemblable dans l’univers hospitalier marquée par l’urgence et la diversité des situations. Il est davantage plausible que la pratique de la communauté englobe des pratiques plurielles des professionnels, dont les missions et grades sont différenciés au sein de l’hôpital.

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La seconde approche est de considérer que la communauté de pratique est constituée pour développer la pratique. L’apprentissage est sous-jacent à la communauté et celle-ci peut constituer un espace de socialisation de l’apprentissage (Wenger, 1998)

Elle répond à la définition de Wenger dans le paragraphe introductif à son étude de la pratique, cité par Vaast (2002): « en tant qu’êtres humains, nous sommes constamment

engagés dans la poursuite d’entreprises de toutes sortes, du maintien de notre survie physique à la recherche des plaisirs les plus nobles. Lorsqu’ensemble nous définissons ces entreprises et nous nous engageons dans leur réalisation, en interagissant les uns avec les autres et avec le monde. En d’autres termes nous apprenons. Avec le temps, l’apprentissage collectif aboutit à des pratiques qui reflètent à la fois la poursuite de nos entreprises et les relations sociales qu’il a établi. Ces pratiques sont par conséquent la caractéristique d’un certain type de communauté créée dans le temps par la poursuite maintenue d’une entreprise commune. Il est alors raisonnable d’appeler ces sortes de communauté des communautés de pratique » (Wenger, p. 45, cité par Vasst, 2002). Cependant, la pratique est

présente dans beaucoup de communautés. La question est dès lors : Si ce n’est la pratique elle-même, qu’est ce qui permet de différencier la communauté de pratique des autres formes de collectifs ?