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Le mode de partage des compétences caractérise différents types de communautés

Chapitre 2 : les communautés de pratique à l’hôpital : entre émergence et volonté

2.1 La genèse du concept de Communauté de pratique : un essai d’épistémisation

2.1.7 Le mode de partage des compétences caractérise différents types de communautés

Afin de compléter le cadre d’observation, nous précisons, dans ce chapitre, les formes de communautés orientées vers le partage des connaissances et de l’expérience, dont les membres cherchent à « opérer une gestion de l’expérience accumulée » (Koening, 1994, p.3). La finalité, le mode d’organisation, la temporalité de chacune peuvent différer selon les objectifs et le statut des professionnels participants. Les principales communautés proches de la communauté de pratique semblent être la communauté d’apprentissage, la communauté d’intérêt, la communauté épistémique, la communauté stratégique, et le réseau, forme particulière de partage transversal.

Les communautés d’apprentissage se rencontrent notamment dans le secteur de

l’éducation. Elles s’organisent en réponse à un besoin identifié de transfert de connaissances particulières dont le périmètre est prédéfini (Gagnon, 2003). Elles sont centrées sur l’apprentissage et l’acquisition des connaissances dans le cadre de formations institutionnelles (Laferrière, 2000). Le partage des connaissances se construit sur le dialogue, l’entraide et l’attention qui constituent des éléments clé de la transmission. Le partage peut générer des hypothèses, des idées, des réflexions marquées par l’innovation. La communauté se construit sur une volonté commune d’apprendre ensemble, pilotée par l’enseignant, lui-même guidé par le programme scolaire. La durée de la communauté est préétablie et le contenu lié au programme d’études.

La communauté épistémique se développe de manière privilégiée dans le domaine des

politiques publiques. Pour Haas (1992), la communauté épistémique est "un réseau de

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particulier qui peuvent faire valoir un savoir pertinent sur les politiques publiques du domaine en question » (Haas, 1992, p.3).

La notion de communauté épistémique trouve son origine dans les écrits de Michel Foucault qui étudie le concept « d’épistémè ». ce concept « désigne les conditions de possibilités

(propres à une époque donnée) qui déterminent nos connaissances par l’association entre les discours et les choses » (Bossy et Evrard, 2010, p.2). Holzner (1968) reprend ce concept et

précise que la communauté épistémique « regroupe des individus partageant une même

construction de la réalité et assigne des rôles et des positions sociales à ses membres »

(Bossy et Evrard, 2010, p.2). La notion de communauté épistémique a évolué et désigne aujourd’hui des groupes d’experts d’une discipline particulière ou d’une profession qui détiennent des savoirs, « des valeurs, des diagnostics et des solutions propres à améliorer le

bien être humain » (Haas, 1990, p.41). L’objectif de la communauté épistémique est de « légitimer la production des connaissances dont les participants revendiquent l’autorité, pour influencer la politique stratégique et permettre la résolution de questions identifiées non encore résolues. » (Meyer, 2011,p.142). Pour Haas (1990), les caractéristiques de la

communauté épistémique sont les suivantes :

« - Un ensemble commun de croyances normatives et de principes qui fournissent une justification fondée sur la valeur pour l’action sociale des membres de la communauté ; - Des croyances partagées sur les causalités, qui sont issues de leur analyse de pratiques qui amènent ou contribuent à un ensemble central de problèmes dans leur domaine, et qui servent ensuite de base pour élucider les liens multiples entre actions politiques possibles et résultats souhaités ;

- Des notions communes de validité, c’est-à-dire, des critères intersubjectifs, définis en interne, pour la pondération et la validation des connaissances dans leur domaine d’expertise ; et une entreprise politique commune, c’est-à-dire, un ensemble de pratiques communes associées à un ensemble de problèmes vers lesquels leur compétence professionnelle est dirigée » (Haas, 992,3, cité par Meyer et Molineux-Hodgson, 2011, p.8).

Les communautés épistémiques produisent et utilisent les connaissances, les publicisent et les politisent pour modifier le futur. Elles possèdent ainsi une influence sur de nombreux aspects de la vie politique. De ce fait, elles constituent des entités non figées et mouvantes.

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Elles fonctionnent en lien avec d’autres institutions ou communautés puisqu’elles permettent d’articuler des évènements, des histoires, des possibilités futures. « Elles

peuvent devenir des lieux de travail politique ; elles sont variables en fonction des temporalités, des intensités d’interaction, et de la force des liens qui les unissent » (Meyer et

Molineux-Hodgson, 2011, p.27).

Les communautés d’intérêts (community of interest) sont identifiées notamment par Joseph

Carl Robnett Licklider et Robert Taylor en 1968, dans un article intitulé "The Computer as a

Communications Device". Elles se construisent de façon spontanée pour partager des idées

ou une même passion, et servir des intérêts personnels d’ordre professionnel ou privé. Les participants semblent ne s’intéresser que peu aux autres en dehors de ce domaine. Il n’y a pas de but commun d’apprentissage (Campos, 2001). L’accès, le transfert, le partage et le tri d’informations variées composent une forme de veille stratégique au service des intérêts individuels. Chaque membre est engagé individuellement mais il n’est pas identifié de processus de résolution de problème collectif. Afin de protéger les intérêts et d’assurer la pérennité de la communauté, les membres décident d’une organisation légitimée par un règlement. La durée de la communauté et la qualité des échanges peuvent être influencés par le sentiment de gratitude des participants (Gagnon, 2003).

Communauté de pratique Communauté d'intérêts Communauté épistémique Réseau Finalité principale Mutualiser les connaissances Résoudre les problèmes Mener une action commune grâce aux ressources détenues par les partenaires Créer des connaissances Innover Partager les ressources détenues par les membres

Logique fédératrice Reconnaissance professionnelle Entraide Partenariat Reconnaissance académique et professionnelle Liens d’appartenance

104 Facteur clé de réussite Force de la logique d'amélioration continue des activités des membres Force de l'engagement politique Capacité de négociation des membres Qualité des anticipations Identification des voies de recherche pertinentes

Qualité des relations humaines Instaurées entres les membres

Mode d'action privilégié Analyse des pratiques Formalisations Capitalisation Echanges Communication Plan d'actions Lobbying Protocole de recherche Publications Rencontre Partage

Tableau 6 : Les principales différences entre les communautés (Le Clech, 2007)

A ces communautés identifiées s’ajoute une nouvelle forme de communauté. Il s’agit de la communauté stratégique. Une communauté stratégique est « une structure inter

organisationnelle multidisciplinaire formelle à laquelle on confie le mandat d’imaginer et de mettre en place des innovations concernant les services et les produits à offrir » (Roy et al.

2009, p.48)

Elle associe des professionnels, des cadres opérationnels des spécialistes et même parfois des clients. Sa durée de vie est limitée. Le vieillissement de la population, les contraintes financières, le développement des technologies constituent de nouveaux enjeux pour l’offre de soins. La réponse à ces nouveaux défis implique d’interroger et d’analyser les pratiques professionnelles existantes pour mieux les adapter. Cependant, les regroupements de services en pôles internes à l’hôpital ou externes sous forme de regroupements hospitaliers de territoires constituent des incitations structurelles pertinentes en termes d’innovation mais elles ne permettent pas de dépasser les positionnements individuels parfois emprunts de résistances. La communauté stratégique a donc pour objectif le développement de la capacité des institutions à mettre en place une politique de changement. Il y a rupture avec les pratiques antérieures. Elle est dite stratégique car sa production influence et favorise le développement de compétences stratégiques et apporte des avantages compétitifs explicites à l’organisation (Gagnon, 2003.) Elle est orientée vers la re-création du potentiel stratégique de l’entreprise. Elle engage donc un apprentissage en double boucle (Argyris et Schon, 1996). Elle est investie par les directions qui apportent les moyens nécessaires en

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ressources humaines et financières pour lui permettre de creer de nouvelles ressources. « Plutôt que de s’intéresser à l’amélioration des processus existants, la communauté

stratégique tente d’imaginer de nouveaux processus et de nouvelles pratiques à partir de sa compréhension de l’expérience du client et de son interface avec les diverses composantes du système de santé » (Roy et al. 2009, p.49).