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Chapitre 2 : les communautés de pratique à l’hôpital : entre émergence et volonté

2.3 Les éléments d'une dynamique étroitement liés à la pratique

2.3.3 La cycle de vie d’une communauté de pratique

La construction d’une CoP, de son identité, de sa culture et le développement de la collaboration entre professionnels s’inscrivent dans le temps. « Aussi, une communauté de

pratique est-elle généralement construite pour durer » (Dillenbourg et al, 2002, p.9).

Différents auteurs ont identifié des étapes de fonctionnement dans la vie des CoP. La notion de cycle de vie est reprise Wenger (1998), Mac Dermott (2000), Dillenbourg et al (2002). La durée de vie des CoP n’est pas limitée. Elle sera fonction de l’atteinte des objectifs, qui peuvent eux-mêmes fluctuer. « Les communautés qui réussissent sont celles qui évoluent

pour suivre le rythme de leurs membres (Kim, 2000, p.3)

Le cycle de vie d’une CoP n’est pas figé mais possède sa propre dynamique, fruit de l’engagement social des professionnels qui la composent et l’animent. Les phases identifiées semblent correspondre à l’évolution de la maturité de la communauté. Pour Wenger, il est possible d’identifier cinq phases : construction, regroupement, maturation, organisation, transformation.

La phase de construction potentielle correspond à celle ou les professionnels se rencontrent, font connaissance, découvrent qu’ils éprouvent un intérêt à partager sur des sujets communs et peuvent construire ensemble des pratiques communes.

La phase de regroupement constitue la première étape durant laquelle les professionnels se rapprochent et identifient des possibilités d’échanges ou de pratique en commun. Ils décident de collaborer en dehors du cadre institutionnel. En contexte hospitalier, les échanges sont en lien avec un domaine d’expertise partagé. Les premiers échanges

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s’effectuent de manière spontanée et informelle, le plus souvent durant les temps de pauses, ou durant les temps d’habillage et de déshabillage dans les vestiaires. Par exemple, les professionnels se réunissent sans mandat officiel pour résoudre la manière d’utiliser une nouvelle pompe à morphine ou un appareil d’entrainement respiratoire qui leur paraît complexe. Les échanges s’accroissent et les interactions se développent. L’identité commune s’élabore peu à peu. Les interactions permettent aux participants de comprendre qu’ils peuvent échanger en l’absence de la hiérarchie et se rassurer pour faire face aux cas de malades gravement atteints. Le domaine d’intervention choisi rend la communauté attractive pour ses participants. Cette étape permet de repérer les professionnels qui se sentent concernés par le sujet et leur faire prendre conscience des gains individuels possibles à participer à la communauté. Le recrutement des membres s’opère par cooptation, de manière informelle. L’engagement des professionnels dans la communauté de pratique constitue un élément de sélection. La participation spontanée et la posture emprunte d’empathie vis-à-vis des pairs (entraide spontanée en cas de surcharge de travail) peuvent constituer des éléments informels de sélection. L’intégration ne repose pas seulement sur les compétences partagées mais sur l’investissement dans la pratique sociale. Les participants découvrent qu’ils peuvent construire des solutions locales dans les failles et les interstices de l’organisation prescrite, là où la hiérarchie n’est plus en mesure de jouer son rôle d’appui. Ainsi, discuter de la manière de positionner Monsieur X dans son lit pour éviter d’aggraver une escarre ou prévenir les fausses routes lors des repas, constituent des interrogations auxquelles les participants s’efforcent de répondre et trouver des solutions. C’est durant cette étape que les participants définissent des objectifs explicites à atteindre. La phase de regroupement chez Wenger (1998) n’est pas sans rappeler la phase d’unification décrite par Mac Dermott (2000) Cette phase doit permettre de resserrer les liens entre les membres du groupe. La confiance s’installe et le partage permet de donner de la consistance aux rencontres. Le défi de cette phase est la prise de conscience par les participants du bénéfice reçu, en échange de leur investissement et du temps dédié au partage des compétences. Cette phase de construction de la communauté suppose de définir les espaces de fonctionnement, d’initialiser des évènements, de légitimer ses coordonnateurs, de bâtir les relations entre les participants, d’identifier les idées et les pratiques qui sont au cœur des échanges (Wenger, McDermott, and Snyder 2002). La communauté de pratique peut ainsi

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définir les manières pertinentes de partager les connaissances, de documenter et de mémoriser les compétences partagées pour les enrichir et apporter des solutions aux problèmes rencontrés. Elle organise les supports qui permettent de consulter et d’accéder aux réalisations de la communauté. Elle contribue ainsi a valoriser les activités de la communauté (Davel et Tremblay 2011). Cette étape permet de développer :

-Le perfectionnement et l’approfondissement des pratiques professionnelles, l’accueil et la socialisation progressive des jeunes professionnels qui intègrent la communauté.

-De mettre en valeur et d’identifier les liens entre les nouvelles pratiques et l’expérience afin d’aider les participants à donner du sens.

-De réfléchir pour résoudre collectivement un problème.

Il s’agit aussi de rendre lisible les résultats partiels qui permettront d’engager les gestionnaires dans la démarche (Gagnon, 2003). En affirmant son existence, la communauté affiche ainsi ses frontières avec les autres communautés. La maturité acquise durant cette phase lui permet d’accueillir de nouveaux participants.

La phase de maturité permet à la communauté d’étendre ses champs de fonctionnement et de préoccupations. Son fonctionnement peut connaitre des temps de fluctuation dans la dynamique selon l’intérêt des membres, le cours des dossiers. L’enjeu de cette période est de clarifier les orientations, les rôles et les frontières de la communauté : cette dernière est également en mesure de se livrer à une auto-analyse réflexive.

La communauté est à ce stade capable de redéfinir ses pratiques professionnelles. Elle développe ainsi sa maitrise du domaine de compétences. La gestion de nouvelles informations et d’éventuelles documentations devient essentielle à cette phase. Elle participe à la construction d’une mémoire collective de la communauté.

La phase de momentum. La CoP se réunit de manière régulière et répond aux besoins des participants de manière routinière. Il s’agit d’une phase sensible car la communauté doit maintenir sa capacité à fonctionner. Le défi est de préserver l’intérêt et la motivation des membres. Un appauvrissement de l’engagement mutuel des participants peut apparaitre. La CoP doit prévenir les baisses de motivation et entretenir l’investissement des membres pour ne pas s’altérer. Elle doit préserver et entretenir son potentiel et assurer le renouvellement

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des membres. En effet, la relation au sein d’une communauté de pratique n’est pas linéaire. Les controverses et oppositions qui peuvent animer les débats sont sources de richesse. Cette phase est propice à la gestion des éventuelles tensions existantes.

L’arrivée de nouveaux professionnels peut modifier le profil de la communauté. Il semble important d’accompagner et encadrer les nouveaux participants pour maintenir la cohésion du groupe (Davel et Tremblay 2011). Le respect de l’évolution du rythme de la communauté apparait comme essentiel. « Les communautés qui réussissent sont celles qui évoluent pour

suivre le rythme de leurs membres » (Kim 2000, p. 31). En effet, « Les communautés traversent des cycles de vie, des phases de forte cohésion, de croissance, d’éclatement ou de ralenti qui peuvent aller jusqu’à sa disparition ou la transformation des relations entre ses membres. » (Dillenbourg et al, 2003, p.5).

L’enjeu est de rester en phase avec l’évolution des pratiques pour être capable de résoudre les nouvelles questions. À la suite de ces différentes phases, la communauté semble subir une transformation. Si la communauté a su atteindre ses objectifs et résoudre les questions à l’origine de sa création, elle peut redéfinir ses objectifs et ses pratiques et recruter de nouveaux membres. Elle débute un nouveau cycle. Elle peut également fusionner avec une autre communauté de pratique (Davel et Tremblay, 2011, ibid., p.110). Cependant, face au changement, les membres peuvent aussi développer des intérêts divergents et s’éloigner. Cette évolution peut aussi être la conséquence de désaccords et de tensions non résolus lors de la phase précédente.

Enfin, la transformation de la CoP peut survenir plus ou moins progressivement. Elle peut être menacée par le désir d’appropriation par la hiérarchie. Cette dernière peut en effet voir dans la CoP un espace d’ autonomie propice au développement de contre-pouvoirs. La hiérarchie peut préconiser l’encadrement des thèmes discutés en fixant l’ordre du jour. La communauté de pratique se transforme ainsi peu à peu en groupe de travail.

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A l’inverse, une communauté dynamique peut offrir une trop grande ouverture aux nouvelles idées ou avoir du mal à gérer l’afflux de trop nombreux nouveaux professionnels. Les intérêts et l’engagement peuvent être éparses et réduire l’intérêt de la participation. Le désengagement progressif des membres peut conduire à la mort de la communauté. Le schéma réalisé par Etienne Wenger , repris par McDermott (2002) montre l’enchainement des différentes phases.

Figure 20 : Les stades de développement des communautés de pratique (D’après McDermott,2000)

Ainsi les phases d’évolution sont clairement identifiées dans les écrits de Wenger et Lave (2005), et McDermott (2000). L’enchainement des phases apparait comme logique et rationnel. Cependant, nous nous interrogeons sur la réalité de cet enchainement au sein de l’hôpital. Cet enchainement est-il immuable ? Peut-il y avoir fluctuation et alternance entre les phases ?

Le cycle de vie peut-il être influencé par les finalités des communautés de pratique ?