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Une définition pour conceptualiser la littérature de migration

CONCEPTUALISATION D’UNE FORME LITTÉRAIRE

1.2. Une définition pour conceptualiser la littérature de migration

Une fois l’origine de l’expression « écritures migrantes » définie, il faut se concentrer sur une question cruciale pour avancer dans cette thèse : la littérature de migration.

Tout d’abord, il faut préciser que la décision d’employer cette définition a été compliquée pour nous. Trouver une définition « neutre » pour indiquer l’ensemble des ouvrages issus des auteurs de deuxième génération, ou des migrants de première génération vivant en France et en Italie, a été une des premières difficultés de cette recherche. Les motivations sont nombreuses. Notamment, il existe une véritable constellation d’éléments théoriques dédiés à l’étude de la littérature dans le phénomène de la migration ou, vice-versa, du phénomène de la migration dans la littérature. Une première distinction est pourtant à faire. Parler de « littérature de migration » signifie premièrement comprendre la « place

de la littérature dans les études de la migration108», c’est-à-dire la

tendance à envisager la production littéraire comme un instrument empirique pour dévoiler le monde empirique de la migration, toujours en retrait par rapport aux données statistiques109.

Deuxièmement on doit envisager « la place de la migration dans les études

littéraires110 », c’est-à-dire

la difficulté à rendre compte des littératures venant d’ailleurs […]» dont la découverte « a permis d’instaurer un dialogue entre les littératures nationales et les nouvelles « littératures migrantes111,

tout comme dans la région du Québec.

« Littérature de l’immigration », « littérature migrante », « écriture migrante » ou « poétique migrante » ne sont que certaines des possibles « traductions » françaises de la version anglaise « migration literature ». Sans compter les courants littéraires qui impliquent les questions de l’exil, du nomadisme, du post-colonialisme, du témoignage ou de la diaspora. Il n’est donc pas facile de trouver une définition qui puisse englober la figure de l’écrivain « migrant » et les produits littéraires qui dérivent de son travail artistique. D’ailleurs, l’écrivain « migrant » n’est que l’agent actif du déplacement d’un

108DECLERCQ Elien, « « Écriture migrante », « littérature (im)migrante », « migration literature » : réflexions sur un concept aux contours imprécis », Revue de littérature comparée, 2011/3 (n°339), p. 302 ; URL : https://www.cairn.info/revue-de-litterature-comparee-2011-3-page-301.htm

109id., p. 302. 110id., p. 303. 111id., p. 303.

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lieu vers un autre (souvent dicté par la nécessité d’une vie meilleure) qui devient le protagoniste absolu des littératures venant d’autres lieux.

Mais pourquoi définir cette littérature est-il si difficile ? Quand on parle des ouvrages écrits par des auteurs venant d’ailleurs, de première ou de deuxième génération, cela implique plusieurs niveaux d’analyse.

Tout d’abord, on peut se demander si la question de la migration, et avec elle celle de l’immigration, sont à considérer comme les seules thématiques de cette littérature. Certainement pas. Au contraire, dans la plupart des cas, il s’agit d’une forme littéraire dont la caractéristique principale est l’authenticité de la narration en tant que reflet de la même expérience migratoire. Mais ceci ne signifie pas que la littérature de migration se compose forcément d’autobiographies ou de contes de témoignage. King, Connell et White (1995) l’expliquent très bien :

The migrant voice tells us what it is like to feel a stranger and yet at home, to live simultaneously inside and outside one’s immediate situation, to be permanently on the run, to think of returning but to realise at the same time the impossibility of doing so, since the past is not only another country but also another time, out of the present. […] It tells of long-distance journeys and relocations, of losses, changes, conflicts, powerlessness, and of infinite sadness that severely test the migrant’s emotional resolve112.

Evidemment, les voix migrantes abordent aussi la problématique du phénomène migratoire. Souvent elle n’y est pas abordée de façon explicite mais elle existe. Ce qui en dérive et apparaît, ce sont plutôt ses conséquences silencieuses, les effets du déplacement de ceux qui vivent deux réalités culturelles diverses, parfois aux antipodes l’une de l’autre. Une sorte d’interstice invisible donne à cette forme de littérature des aspects singuliers que nous essayons d’envisager à l’aide de la philosophie. Avant de définir notre méthodologie et notre hypothèse théorique, nous tenons à mettre en valeur une autre caractéristique de cette littérature qui concerne l’interdisciplinarité que demande son étude, à partir de la langue utilisée et des motifs littéraires qui en émergent.

Voilà pourquoi nous avons choisi d’adopter la définition de « littérature de migration » tirée de l’article d’E. Declercq, parmi les autres possibles, avant d’avancer notre hypothèse, concernant une « littérature de l’entre » :

[…] l’usage de deux lexèmes (« littérature » et « migration ») séparés par l’article neutre « de » permet de concevoir l’interpénétration des deux phénomènes — et des deux disciplines ainsi que de coiffer d’un seul concept les littératures par le migrant, pour le migrant et sur la figure du migrant et son

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processus migratoire. Remarquons finalement que, sur un plan plus historiographique, le concept de « littérature de migration » défie toute tentative de recentrement national ou monoculturel des histoires littéraires dites « nationales », puisque la « littérature de migration » ne peut être juxtaposée à la littérature nationale ni intégrée d’un seul tenant en son sein113.

Ensuite, on peut reconnaitre que le problème d’un conflit entre la « littérature de migration » et la « littérature nationale » est sans doute possible, dans la mesure où on refuse un discours d’ordre culturel interdisciplinaire et transculturel d’hybridité. Ainsi, tout au long de notre étude nous nous sommes interrogée sur la place de la littérature de migration par rapport à la littérature nationale ; en particulier en Italie où la question du « canon littéraire » est bien enracinée.

La question du canon littéraire, ressortissant de la théorie d’Harold Bloom à propos du « canon occidental » et des Cultural Studies mérite ici quelques précisions. Cette théorie et le courant d’étude qui lui est adjacent rencontrent les Études Postcoloniales et la notion de « littératures mineures ». Nous allons en introduire quelques données grâce aux travaux de G. Deleuze et F. Guattari, avant de nous familiariser avec d’autres notions où le rôle de la littérature est crucial.