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Corpus italien : notes biobibliographiques des auteurs

ANALYSE ET COMMENTAIRE DU CORPUS

1. LE CHOIX D’UN CORPUS HETEROGENE

1.2. Corpus italien : notes biobibliographiques des auteurs

Le phénomène littéraire migrant dans la péninsule manque encore d’une ouverture réelle et vraiment critique. Les trois raisons proposées par Hargreaves autour de la position des Français sur la littérature beur pourraient être appliquées au cas italien. Pour commencer, le sentiment nationaliste est fort en Italie aussi ; il suffit de remarquer la charge que le canon littéraire soulève dans l’étude de la littérature. Ensuite, le passé colonial italien pèse surtout dans les relations avec les zones de l’Afrique occupées par les colonisateurs italiens282 ; d’ailleurs la colonisation italienne de l’Afrique s’inscrit dans la même

280 http://africultures.com/personnes/?no=3201

281 https://www.laboutiqueafricavivre.com/s/3825/leila-houari 282Cf. Annexe 3.

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littérature italienne que ses auteurs autochtones283. Pour finir, une certaine difficulté à tolérer cette littérature - qui met en lumière la plaie des flux migratoires - est évidente, sans oublier la question de la langue italienne qui ne bénéficie pas de la même extension que la langue française.

Pendant notre recherche, nous avons eu l’impression qu’en Italie la littérature de migration était traitée comme un cas journalistique ou comme un exemple de littérature de témoignage, autobiographique et nostalgique, difficile à intégrer dans le cadre du canon littéraire. De la même façon que la littérature beur, la littérature de migration (dont la définition est beaucoup plus vaste) est perçue comme un genre documentaliste. Pourtant, à part la tentative de l’archive BASILI et les divers articles concernant cette thématique, les traits de cette forme narrative ne sont pas encore évidents et un catalogue de ses auteurs est difficile à construire ou consulter. En ligne ou dans les librairies, il n’est pas facile de tomber sur des noms connus d’écrivains italophones « venant d’ailleurs ». Sans aucun doute, Igiaba Scego et Amara Lakhous sont des noms connus en Italie. En particulier, Igiaba Scego est célèbre comme journaliste de la revue Internazionale284 et

du quotidien italien Il Manifesto et en tant qu’auteure de divers romans publiés par des maisons d’édition importantes (Laterza, Rizzoli, Giunti etc.).

Elle est née à Rome en 1974. Sa famille est somalienne. Ses parents se sont enfuis de Somalie à la suite du coup d’État de Siad Barre en 1969. Ils lui ont transmis les valeurs d’un peuple soumis aux vexations et aux régimes dictatoriaux, pour qui la même Italie figure en tant que puissance colonisatrice. Toutefois, elle-même se définit comme «Somalienne d'origine et italienne par vocation ». Même si, souvent dans son écriture et dans ses déclarations, elle exprime son sentiment sur les Italiens. Pour Scego, la situation tragique de la Somalie a été provoquée par l’action colonisatrice italienne et par les opérations politiques successives - réalité que, comme elle-même le raconte, les Italiens ne connaissent même pas.

Après des études en Langues et Littératures Étrangères à l'Université La Sapienza de Rome, elle commence à travailler en tant que journaliste et écrivaine. Elle collabore avec les journaux susmentionnés, mais aussi avec des revues qui s’occupent d’immigration et de culture africaine. En 2003, elle gagne le prix Eks&Tra, réservé aux écrivains migrants

283 COLIN M., « Des colonies à l’Empire fasciste. La conquête de l’Afrique racontée aux enfants italiens », Strenæ [En ligne], 3 | 2012, mis en ligne le 04 mai 2016, consulté le 05 janvier 2018. URL: http://journals.openedition.org/strenae/322 ; DOI : 10.4000/strenae.322

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avec le récit Salsicce (en français : Saucisses), pour lequel elle s’est inspirée de l’auteur Erri de Luca, ainsi qu’elle l’a déclaré dans une interview du 2013285. Cependant, son

premier modèle d’écriture est la littérature espagnole et sud-américaine. Elle se définit comme hispaniste et fait de Cervantès l’auteur qui l’a le plus inspirée. Depuis 2006, elle participe au Festival de la Littérature de Mantoue. Sa carrière d’écrivaine compte plusieurs œuvres publiées de 2003 à 2016286.

Pour ce qui concerne Amara Lakhous, il est né à Alger en 1970 et il habite à Rome depuis 1995. Il est le sixième de neuf enfants d’une famille berbère. À quatre ans, il fréquente l’école coranique, où il apprend l’arabe classique. Très vite, il découvre l’arabe algérien parlé dans les rues de sa ville et à l’école primaire, il apprend le français. Le plurilinguisme est une constante de sa vie dès l’enfance. Pendant la période de l’adolescence, il lit Mahfouz, Flaubert et Hemingway. Après le baccalauréat, il s’inscrit à la faculté de Philosophie dans la ville d’Alger pour « apprendre à penser avec sa propre

tête » et pour réfléchir sur les bases de l’identité algérienne, à savoir la religion, la guerre

de libération, la supériorité des hommes. Une fois sa Maitrise obtenue, il collabore à une radio algérienne et, comme la plupart de ses amis écrivains et journalistes, il subit beaucoup de menaces. Las de cette situation, Amara Lakhous décide de quitter l’Algérie. En 1995, il arrive à Rome. Quatre ans plus tard, la maison d’édition Arlem publie son premier roman, Le cimici e il pirata (en français : Les punaises et le pirate), traduit de l’arabe en italien par Francesco Leggio. Il s’agit d’un livre bilingue, écrit par Lakhous à l’âge de 23 ans. Le personnage principal est un homme de 40 ans qui s’appelle Hassinu, une sorte de pirate imaginaire qui n’arrive pas à vivre complètement sa liberté. Lakhous termine ce roman au mois d’octobre 1993, quand le terrorisme avance et la guerre civile algérienne provoque plus de 150.000 morts en moins de 10 ans.

Dans la ville de Rome, il s’installe à Piazza Vittorio, un quartier populaire où il reste jusqu’en 2001. À l’Université de Rome La Sapienza, il obtient sa deuxième Maitrise en

285 Interview de Simone Brioni, Rome, 22 novembre 2013

http://www.academia.edu/11914276/Brioni_S._2013_._Interview_with_Igiaba_Scego._http_modernlang uages.sas.ac.uk_igiaba-scego

286La nomade che amava Alfred Hitchcock, Sinnos, 2003; Rhoda, Sinnos, 2004 ; Dismatria e Salsicce dans

Pecore nere. Racconti, Laterza, 2005 ; Italiani per vocazione, curatrice, Cadmo, 2005; Identità dans

l’ouvrage Amori Bicolori. Racconti, Laterza, 2007; Quando nasci è una roulette. Giovani figli di migranti

si raccontano, curatrice con Ingy Mubiayi, Terre di Mezzo, 2007 ; Oltre Babilonia, Donzelli, 2008 ; L'albero dans Nessuna Pietà, Salani, 2009 ; La mia casa è dove sono, Rizzoli, 2010 ; Roma Negata, écrit

avec Rino Bianchi, Ediesse, 2014 ; Adua, Giunti 2015 ; Caetano Veloso. Camminando controvento, Add, 2016.

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Anthropologie Culturelle et devient docteur, avec une thèse sur les immigrés arabes musulmans en Italie. En 2006, il publie Scontro di civiltà per un ascensore a Piazza

Vittorio (en français : Choc de civilisation dans un ascenseur Piazza Vittorio287), son deuxième roman. Il s’agit de la réécriture d’un roman publié en Algérie et puis en Liban en 2003. Le roman de 2006 a été traduit en français288, hollandais, anglais et allemand. Il a été couronné du prix « Racalmare - Leonardo Sciascia » et a partagé le prix international Flaiano 2006 avec Enrique Vila-Matas et Raffaele La Capria. Il a également été porté à l’écran en Italie en 2010. Son dernier roman est paru en Italie au mois de septembre 2010 ; le titre est Divorzio all’islamica a viale Marconi (Edizioni E/O), en français : Divorce à

la musulmane à Viale Marconi (Babel)289.

Les notes bio-bibliographiques de deux auteurs que nous venons de présenter révèlent des ressemblances mais aussi différences importantes à mettre en évidence qui contribuent à l’hétérogénie de notre corpus. Une première distance entre les deux auteurs concerne l’adoption de la nation italienne en tant que deuxième culture et identité. En fait, si Amara Lakhous a choisi volontairement de venir s’installer en Italie, ce choix n’a pas été partagé par Igiaba Scego. L’histoire de sa famille et son histoire personnelle - qu’elle-même raconte dans le roman choisi pour cette thèse La mia casa è dove sono (en français : Ma

maison est là où je suis) – a défini sa vie et le fait d’être devenue une citoyenne italienne

de deuxième génération certes, mais à part entière. L’apprentissage de la langue est une autre différence entre les deux. Si I. Scego maitrise l’italien en tant qu’Italienne, Amara Lakhous a choisi ce pays et l’a adopté comme refuge, en quittant son pays natal et il a appris la langue italienne en faisant ses études à Rome.

Bien qu’ils y soient venus de façons différentes, la langue n’est donc un obstacle ni pour Igiaba Scego ni pour Amara Lakhous. Mais d’autres disparités existent dans le style et dans les contenus de leurs romans. Le roman d’I. Scego est plus autobiographique, presque nostalgique ; celui d’A. Lakhous est comparable à une détective story. Le premier est plus proche des caractéristiques de la littérature de migration, conçue en tant qu’écriture documentaliste et témoignage ; le deuxième met en place une histoire qui s’approche de cette catégorie de façon transversale.

287 Roman traduit de l’italien par Élise Gruau, Babel, 2007 288 https://www.actes-sud.fr/contributeurs/lakhous-amara-0 289 http://www.amaralakhous.com/biografia/

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